La législation sur la liberté des médias (ou European Media Freedom Act) est une initiative inédite de la Commission - proposée en septembre 2021 lors du discours sur l’Etat de l’UE - qui intervient dans un contexte où la liberté des médias est de plus en plus menacée. Les tentatives de pressions exercées sur les journalistes ou les médias s’enchaînent et entravent l’Etat de droit et la démocratie au sein de l’Union européenne. L’asssasinat de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia et du slovaque Ján Kuciak, entre autres, ont révélé l’urgence de mieux protéger les journalistes et, plus généralement, la liberté de la presse. Sabine Verheyen, eurodéputée (PPE) et rapporteure du texte, affirmait en septembre dernier que “nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le fait que la liberté des médias est gravement menacée dans plusieurs États membres de l’UE.”
Cette législation a alors pour but d’établir un cadre commun pour les 27 Etats membres permettant aux citoyens d’avoir accès à des informations libres et pluralistes, et aux journalistes d’exercer plus facilement leur profession. L’European Media Freedom Act permet de garantir la protection de l’indépendance éditoriale en exigeant plus de transparence concernant la propriété des médias ainsi que le pluralisme, en luttant contre la concentration dans le secteur des médias. Il est aussi question d’assurer un financement stable des médias du service public, acteurs indispensables de la diffusion d’informations impartiales et accessibles à tous. L’article 17 de la législation, quant à lui, offre une protection des contenus en ligne face aux décisions arbitraires des grandes plateformes (les VLOPS tels que Facebook, Google, X…).
La législation prévoit également la création d’un nouveau comité européen pour les services de médias, une instance indépendante composée de membres délégués d’autorités nationales, qui soutiendra la Commission dans l’élaboration de lignes directrices concernant la réglementation des médias. Le comité aura également pour mission d’émettre des avis sur des mesures et décisions nationales et de coordonner le dialogue entre le secteur des médias et les VLOPS afin de contrôler le respect des bonnes pratiques des plateformes numériques.
L’article 4 au coeur des tensions
Le dernier trilogue, réunissant les trois institutions (la Commission ayant un rôle de médiateur) le 15 décembre dernier, s’est principalement penché sur l’article 4 du règlement interdisant notamment l’utilisation de logiciels d’espionnage contre les journalistes. Néanmoins, l’alinéa 4 de cet article mentionnait la possibilité d’espionner des journalistes en cas de suspicion de “menace à la sécurité nationale”. C’est cette clause qui a donné du fil à retordre aux négociatiateurs. Au cours des derniers mois, de grands médias d’investigation comme Disclose, Médiapart ou encore Investigate Europe avaient mis en lumière les pressions exercées par certains Etats membres, dont la France, pour autoriser la surveillance des journalistes, invoquant la “sécurité nationale” pour justifier l’utilisation de logiciels d’espionnage.
Nombreux sont les journalistes et syndicats à s’être opposés farouchement à cette mention qui a été perçue comme une véritable atteinte à la protection des journalistes et au respect de leurs sources. Tout ce que ce règlement cherche pourtant à éviter initialement. La protection des sources étant une condition essentielle à la garantie de la liberté de la presse, une multitude de tribunes a été signée afin de s’opposer à cette clause. La tribune “touche pas à mes sources” partagée par l’association Sherpa invitait le président Emmanuel Macron et le gouvernement français à “retirer cette dérogation au titre de la « sécurité nationale » incompatible avec les standards européens pour l’exercice du journalisme.” Se concluant par : “Sans protection des sources, pas de journalisme, pas de démocratie.”
La représentante de Reporters sans frontières auprès de l’Union européenne, Julie Majerczak, s’est également exprimée à ce sujet en affirmant que “L’exception de sécurité nationale n’a rien à faire dans ce règlement, [RSF insiste] pour que le Conseil de l’UE suive les préconisations du Parlement et renonce à une disposition particulièrement malvenue.”
Lors de la négociation interinstitutionnelle du 15 décembre, rythmée par des débats houleux, les requêtes des professionnels du secteur de la presse ont été entendues et la notion de “sécurité nationale” a finalement été écartée de l’article 4. Le syndicat CFDT Journalistes s’est ainsi réjouie en écrivant sur X (ex Twitter) : “Grand jour pour la protection des sources !”
Victoire !!!!!! Le règlement européen pour la liberté des médias (EMFA), une grande avancée, in extremis expurgé de la mention de sécurité nationale (qui justifiait l’usage de logiciels espions par les États pour écouter les journalistes) Grand jour pour la protection des sources ! https://t.co/CPbsLLunzW
— CFDT Journalistes (@USJCFDT) December 15, 2023
En conférence de presse, l’eurodéputée Ramona Strugariu (Renew) a félicité la capacité des co-législateurs à se mettre d’accord et a affirmé : “L’accord d’aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une reconnaissance. La reconnaissance des efforts considérables et du travail acharné que tous les journalistes accomplissent chaque jour, au péril de leur vie, pour préserver nos démocraties” en concluant par “ils le méritent”.
La prochaine étape
Maintenant qu’un accord a été trouvé entre les co-législateurs, le texte doit à présent être formellement approuvé par la Commission parlementaire de la culture et de l’éducation. Par la suite, le Parlement européen sera invité (probablement) au mois de mars 2024 à voter le texte en session plénière. Le Conseil de l’UE devra également se prononcer. Le règlement, une fois adopté, sera immédiatement applicable aux 27 Etats membres.
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