L’Union européenne ne reconnaît pas les résultats des élections bélarusses

Pourquoi est-ce une décision salutaire, mais risquée.

, par Théo Boucart

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L'Union européenne ne reconnaît pas les résultats des élections bélarusses
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, s’entretenant ce mercredi avec les ministres des Affaires étrangères au sujet du Bélarus. Crédit : Union européenne 2020 - Service audiovisuel de la Commission européenne.

L’Union européenne a décidé mercredi 19 août de ne pas reconnaître la victoire du président Alexandre Loukachenko à l’issue des élections présidentielles bélarusses. Une décision motivée par les manifestations que connaît le pays depuis dix jours, violemment réprimées par le régime, mais qui pourrait mener à une géopolitisation de la crise bélarusse.

Trop, c’est trop. Alors que des centaines de milliers de citoyens bélarusses manifestent sans relâche depuis dimanche 9 août, date du scrutin présidentiel entaché une nouvelle fois de fraudes, l’Union européenne a décidé de se positionner clairement en faveur des protestataires et de l’opposition.

Mercredi 19 août, les ministres des Affaires étrangères des 27 États membres de l’UE ont organisé une seconde réunion (après celle du 14 août) au sujet de la situation tendue au Bélarus, où le pouvoir oscille entre violentes répressions et main tendue vers les manifestants, notamment les ouvriers en grève. Dans ses conclusions publiées sur le site du Service européen d’action extérieure (SEAE), l’Union a dénoncé une nouvelle fois la tenue d’un scrutin « ni libre, ni équitable », tout en refusant de reconnaître la large réélection du président Loukachenko, ce qu’elle n’avait pas fait lors de la première réunion. « L’Union européenne suit de très près, et avec une inquiétude croissante, l’évolution de la situation au Bélarus. Les élections du 9 août n’ont été ni libres, ni équitables, c’est pourquoi nous ne reconnaissons pas les résultats ».

L’UE a également exprimé son entière solidarité avec les manifestants anti-Loukachenko et a promis de nouvelles sanctions contre le régime de Minsk, tout en appelant au dialogue avec Loukachenko. « Le peuple bélarusse a le droit de choisir son avenir. Les membres du Conseil européen expriment leur solidarité sans équivoque avec le peuple bélarusse dans leur désir d’exercer leurs droits démocratiques fondamentaux. Les membres du Conseil européen condamnent l’usage disproportionné et inacceptable de la violence par les autorités étatiques contre les manifestants pacifiques […] L’UE imposera sous peu des sanctions contre un nombre substantiel d’individus responsables de la violence, de la répression et de la falsification des résultats électoraux […] L’UE supporte pleinement la proposition de dialogue au Bélarus avancé par l’OSCE ».

Une déclaration qui répond de manière positive aux demandes de l’opposition, et notamment de sa chef de file Svetlana Tsikhanovskaïa, considérée comme le véritable vainqueur de l’élection. Dans une vidéo, elle avait en effet exhorté les leaders européens à ne pas reconnaître les résultats frauduleux de l’élection. L’élaboration de cette position s’est faite notamment sous l’impulsion de l’Allemagne qui préside le Conseil de l’UE, mais aussi indirectement du Royaume-Uni, pourtant hors de l’UE, mais qui a déclaré ne pas accepter l’issue des élections dès le 17 août.

Prise de position salutaire

Habituée à adopter une habitude timorée et surtout divisée sur les dossiers de politique étrangère, l’Union européenne montre cette fois-ci son unité dans la défense des valeurs fondamentales qu’elle promeut, comme l’État de droit, le pluralisme et la liberté de manifester.

Une unité qu’elle atteint pourtant uniquement vis-à-vis de pays situés hors de l’Union européenne. A l’intérieur de ses frontières, certains pays d’Europe centrale sont pointés du doigt par Bruxelles pour leur dangereuse dérive autoritaire, sans que des actions à la hauteur des enjeux ne puissent être prises.

L’engagement européen sur le dossier bélarusse est notamment encouragé par les pays limitrophes, comme la Lituanie, la Lettonie, et surtout la Pologne, un pays particulièrement dans le collimateur des institutions européennes depuis que le PiS, peu soucieux du respect des valeurs établies dans les traités européens, gouverne le pays. Le volontarisme de Varsovie pourrait peut-être faire oublier son propre bilan démocratique. La Pologne, la Lituanie et la Lettonie ont notamment proposé une médiation politique, vigoureusement refusée par Alexandre Loukachenko.

La mise en place de sanctions ciblées est donc une des solutions préconisées par l’UE pour tenter de faire plier le régime de Minsk. Pourtant, certains doutent d’ores et déjà de la pertinence de la position européenne au sujet du Bélarus. Dans une tribune parue sur le site Politico.eu, l’activiste bélarusse Maryia Sadouskaya-Komlach ne croit pas que les sanctions vont « résoudre le problème au Bélarus » : « Presque chaque élection au Bélarus a été suivie de sanctions de l’Union européenne. Et pourtant, le régime répressif du président Loukachenko reste en place, en usant toujours des mêmes moyens violents pour voler les résultats d’un scrutin ».

D’autres observateurs jugent que quoique fasse l’UE, la Russie tirera profit de la situation. C’est notamment le cas de Galia Ackerman, historienne et traductrice spécialiste de la Russie, pour qui le régime de Loukachenko est pourtant condamné à la chute.

Vers une « géopolitisation » de la crise bélarusse ?

Alors que la « crise bélarusse » peut surtout être expliquée par des facteurs internes non géopolitiques (un nombre croissant de citoyens aspirent à la démocratie et à un nouveau type de prospérité pour leur propre pays), le positionnement de l’Union européenne pourrait conduire à de nouvelles tensions avec la Russie de Vladimir Poutine. Ces derniers jours, ce dernier a en effet demandé à l’UE de ne « pas se mêler des affaires intérieures du Bélarus ».

Il faut dire que le maître du Kremlin est l’un des rares alliés du président Loukachenko, ce dernier ne s’étant d’ailleurs pas fait prié pour implorer l’aide de la Russie, afin de « résoudre le problème des manifestations ». Lors de plusieurs appels téléphoniques ce weekend, Poutine aurait assuré Loukachenko du soutien russe dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective. En vertu des clauses de ce traité, la Russie pourrait donc intervenir militairement au Bélarus pour sauver le régime, et c’est peut-être ce qui est en train de se passer.

Certains chefs d’État européens, comme Emmanuel Macron ou Angela Merkel, ont toutefois bien compris le rôle essentiel que la Russie joue dans le dossier bélarusse, en s’entretenant de manière privilégiée avec Vladimir Poutine.

La prise de position de l’UE émise aujourd’hui pourrait donc avoir des répercussions géopolitiques non négligeables, même si l’UE s’est défendue d’envisager la crise sous une telle grille de lecture. L’issue des manifestations donneront des indications supplémentaires sur l’état des rapports de force entre les deux blocs en Europe orientale. Pour le moment toutefois, Loukachenko ne semble pas montrer de signes de départ .

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