Le pape avait raison. Le monde est plein de conflits et de guerres, et dans ces dernières années, nous, Européens, l’avons également compris. Nous nous sommes réveillés d’une longue léthargie géopolitique, qui a duré plus de 20 ans. Et nous nous sommes rendu compte que le monde a changé plus rapidement que notre capacité à nous adapter à ce dernier et à ses défis.
Dans ce scénario à peine décrit, quel est le rôle de l’Union européenne ? En premier lieu, la guerre en Ukraine a montré au monde l’absence d’une politique extérieure commune de l’UE qui n’a pas eu le pouvoir diplomatique d’empêcher l’invasion russe. Les différents leaders européens, qui se sont succédé à la longue table blanche du Kremlin, n’ont pas dissuadé les volontés bellicistes de Poutine. On pourrait objecter que depuis l’éclatement de la guerre (quand le mal était déjà fait), il y avait une sorte d’unité vis-à-vis de l’ensemble des sanctions à appliquer. Il est cependant possible de répondre que les sanctions ont été trop lentes et essentiellement ramenées à la baisse, à tel point que l’on peut dire aujourd’hui que l’efficacité est (et a été) presque nulle. Telles que rédigées par l’Union, elles ont alimenté encore plus le nationalisme russe et le sentiment anti-occidental des pays du “Sud global”, sans affecter de manière déterminante l’appareil militaire russe ou son économie.
De plus, la prétendue unité démontrée dans l’approvisionnement énergétique après les sanctions contre les fournisseurs russes est allée dans la mauvaise direction. L’effort principal s’est concentré pour mettre en place des accords pour nous rendre encore plus dépendants d’autres pays autocratiques et respectant peu les droits fondamentaux, comme l’Azerbaïdjan. Ce n’est ainsi pas une coïncidence que l’UE n’ait même pas pensé à sanctionner le gouvernement de Bakou suite à l’opération de “nettoyage ethnique” menée en septembre dans le Haut-Karabagh. Mais, fatalement, il fallait s’y attendre. D’autre part, le respect de la protection des droits de l’homme, consacré par l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, et qui, selon l’article 3, doit guider la politique extérieure de l’UE, est, en substance, facultatif pour les pays alliés ou au moins utiles stratégiquement (toute référence à la Tunisie et à la Turquie pour la question migratoire est purement fortuite).
Ce discours conduit, également et inévitablement, à parler du conflit en Palestine. L’UE a réussi, elle-même, à se créer une incohérence diplomatique, avec les déclarations de Ursula von der Leyen, réfutées par la suite par Charles Michel et reformulées par Josep Borrell. Un enchevêtrement institutionnel qui reflète pleinement la confusion de répartition des compétences en politique extérieure entre le Conseil et la Commission. Mais surtout, ce désordre a montré comment, une nouvelle fois, la division paralyse toute possibilité de médiation et de construction de la paix (peace building).
C’est ainsi que, se rangeant (obligatoirement) aux côtés des Etats-Unis, vers lesquels nous avons une relation de subalternité plutôt que d’alliance, nous observons les puissances émergentes profiter de la situation d’anarchie internationale pour accroître leur influence géopolitique. Elles le font avec un instrument qui devrait plus que tout être utilisé par une organisation née des guerres et des compromis, comme l’UE : la médiation. Nous avons ainsi vu une Turquie principale médiatrice de l’accord sur le grain entre la Russie et l’Ukraine et, toujours sur le même plan, une Arabie Saoudite qui a réussi à faire de même en négociant entre les parties un échange de prisonniers. Une Arabie Saoudite qui a réuni en août les pays du “Sud global”, y compris les BRICS, pour ouvrir finalement un dialogue sur une proposition de paix en Ukraine. Ces jours-ci, nous sommes plutôt témoins du pouvoir (réel ou présumé) de négociation du Qatar, qui essaye de faire dialoguer le Hamas et l’Israël, du moins à propos des otages et de leur libération. Ce sont toutes ces actions ayant comme objectif principal l’aide humanitaire en temps de guerre, et que seulement des pays vraiment neutres et autonomes politiquement peuvent mener. Ce devrait être l’Union européenne, selon les traités institutionnels, qui devrait pouvoir travailler pour un tel objectif : chercher le dialogue (y compris avec la Russie) et faire respecter les droits fondamentaux, aussi et principalement à l’égard de ses partenaires commerciaux.
En bref, l’absence d’une politique extérieure commune nous rend peu influents pour toute question de haute politique (high politics) internationale, perpétuellement minée par les deux superpuissances que sont les USA et la Chine (il se parle ainsi de G2) et avec une autonomie stratégique hautement limitée. Comment peut-on, dans ces conditions, promouvoir les valeurs de la paix et de la solidarité ? Et comment pouvons nous être un acteur de dialogue, un point de convergence entre les différentes cultures et zones géographiques, si nous nous rangeons a priori du côté des Etats Unis ? Sans une politique extérieure claire, orientée vers un modèle de sécurité humaine et liée au respect des droits de l’homme, l’Union n’a pas de futur et sera seulement un satellite de l’Amérique du Nord, dans un climat de Guerre froide renouvelée et plus dangereuse encore.
La réforme des traités est donc plus que jamais nécessaire, pour ne pas risquer d’arriver à un point de non retour. Le motif fédérateur externe (on pourrait même dire qu’il y en a plus d’un) est bien présent dans cette période historique ; malheureusement, il manque un fédérateur interne, une personnalité politique qui a le pouvoir et l’influence nécessaire pour faire le changement. Le Parlement européen s’y essaye, mais comme l’histoire l’a montré, cela ne suffit pas. Il appartiendra à la prochaine présidence du Conseil de l’UE (belge) d’œuvrer pour promouvoir une réforme aujourd’hui inévitable.
Suivre les commentaires : |