La Commission Juncker et la politique climat-énergie : des actions, pour quels résultats ?

, par Théo Boucart

Toutes les versions de cet article : [Deutsch] [français]

La Commission Juncker et la politique climat-énergie : des actions, pour quels résultats ?
Le vice-président de la Commission européenne chargé de l’Union de l’énergie, Maroš Šefčovič. Photo : Flickr - epp group - CC BY-NC-ND 2.0

Alors que le mandat de la Commission de Jean-Claude Juncker touche à sa fin, il est temps de faire le bilan de sa politique énergétique et climatique. Si l’Union de l’énergie, le « Plan Juncker » et la réussite de la COP 21 comptent parmi les succès de ce quinquennat, des voix s’élèvent pour dénoncer le manque d’ambition générale.

Depuis le début des années 2000, l’Union européenne a mis en place une véritable politique « climat-énergie », axée sur ce qui deviendra avec le temps la « transition énergétique ». Cette politique repose sur deux piliers essentiels : l’efficacité énergétique (dont la première esquisse au niveau européen est l’œuvre d’un directeur général de la commission européenne, François Lamoureux, dans son livre vert de 2000) et le développement des énergies renouvelables (en particulier les énergies solaire et photovoltaïque). Ces deux piliers constituent encore aujourd’hui l’essentiel de la politique climat-énergie européenne.

Après une première période d’activité législative croissante, l’UE s’est dotée d’une base légale plus solide pour assurer la pérennité de sa politique climat-énergie : l’Article 194 du Traité de Lisbonne institue une politique énergétique basée sur l’achèvement d’un marché unique de l’énergie et sur la transition énergétique. Le paquet climat-énergie de 2008 « 20-20-20 » (d’ici 2020, la part des énergies renouvelables devra représenter 20% du mix énergétique européen, la baisse des émissions de CO² devra être de 20% par rapport à 1990 et l’efficacité énergétique devra être accrue de 20%) est un texte législatif fondamental : il inscrit des objectifs assez ambitieux, et surtout contraignants. La réforme de 2014 pour l’année 2030 n’a malheureusement pas été aussi ambitieuse [1].

L’Union européenne fait donc figure de modèle dans le monde entier concernant la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique. Quel a été le rôle de la commission Juncker dans la définition de la politique climat-énergie ?

Le climat et l’énergie : une vraie priorité

Le début du mandat de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission ayant été marqué par la persistance de la crise économique européenne, celui-ci a présenté lors de son discours d’investiture une série de dix priorités à poursuivre jusqu’en 2019. La troisième priorité est celle de « l’union de l’énergie et le climat », preuve que la transition énergétique a un rôle essentiel à jouer dans la relance de l’économie, et que climat et énergie sont deux faces d’une même pièce, celle d’une économie plus sobre en carbone.

Actuellement, trois commissaires s’occupent de thématiques liées à la politique climat-énergie de l’Union européenne : Karmenu Vella (environnement), Miguel Arias Cañete (action pour le climat et énergie) et surtout l’un des vice-présidents de la Commission, Maroš Šefčovič, en charge de l’Union de l’énergie. La priorité climatique et énergétique de Jean-Claude Juncker est donc claire, malgré parfois des portefeuilles de commissaires assez difficiles à comprendre pour les citoyens européens.

Union de l’énergie, Plan Juncker, COP 21 : des succès à mettre au crédit de la Commission

Jean-Claude Juncker a rapidement mis ses priorités à exécution en annonçant dès février 2015 la création d’une Union de l’énergie, censée redynamiser la politique énergétique européenne. L’Union de l’énergie doit permettre aux Européens de disposer d’une énergie sûre, abordable et respectueuse du climat et s’articule autour de cinq principes : garantir la sécurité énergétique de l’UE grâce à la solidarité et la coordination entre les états membres, achever le marché unique de l’énergie, augmenter l’efficacité énergétique dans l’industrie et le bâtiment, promouvoir les énergies renouvelables, et investir dans la recherche et l’innovation énergétique. Le cadre de l’Union de l’énergie s’impose aux états membres : ceux-ci doivent élaborer des plans intégrés conformément à ces cinq dimensions pour la période de 2021 à 2030. La commission européenne publie depuis 2015 des communications sur l’état de l’union de l’énergie, soulignant les progrès dans la mise en place de cette initiative.

A côté de cette politique purement « climat-énergie », Jean-Claude Juncker a annoncé en juillet 2014 le lancement d’un vaste plan d’investissements afin de relancer l’économie européenne. Le « Plan Juncker » est pleinement opérationnel depuis 2015 et avait pour objectif de mobiliser 315 milliards d’euros d’investissements entre 2015 et 2018 grâce au Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), d’une valeur de 21 milliards d’euros venant du budget européen et de la banque européenne d’investissement (BEI), et permettant d’attirer 15 fois plus d’argent privé (en période de crise économique, les investisseurs privés ont plus besoin de garanties publiques). Cet objectif de 315 milliards d’euros a été atteint dès juillet 2018, ce qui a poussé la Commission à prolonger le Plan Juncker et à le porter à 500 milliards d’euros d’ici 2020. Ce plan d’investissement est une vraie bonne initiative de la Commission européenne et encourage l’investissement dans l’économie bas carbone.

La Commission Juncker peut également se targuer de quelques réussites au niveau de la diplomatie énergétique et climatique. La conférence de Paris sur le climat de décembre 2015 (plus connue sous l’acronyme de COP21) s’est soldée sur un succès diplomatique avec l’accord de Paris, signé par 195 pays, visant à contenir l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Même si la Commission Juncker n’est pas la première à s’occuper de diplomatie climatique, elle a joué un rôle important dans les négociations de l’accord de Paris et l’UE a ratifié cet accord moins d’un an après sa signature, en octobre 2016.

Union de l’énergie, Plan Juncker, COP21. Voici les trois réussites emblématiques de la Commission Juncker concernant sa priorité « climat-énergie ». Pourtant, tout n’est pas rose (ou vert) à la Commission européenne.

Un manque d’ambition chronique ?

La politique climat-énergie souffre en général d’une contradiction majeure : le discours pro-transition énergétique est là, mais les actions concrètes ne suivent pas toujours. L’action de la Commission est particulièrement insuffisante en ce qui concerne le pilier fondamental de toute la politique climat-énergie : le paquet climat-énergie de 2030 [2]. Pour rappel, le paquet climat-énergie pour 2020 comportait une innovation législative majeure : des objectifs nationaux contraignants de réduction des gaz à effet de serre, de sorte que l’UE dans son ensemble baisse ses émissions de 20% d’ici 2020. Malheureusement, les lobbys énergétiques et étatiques sont passés par là et les objectifs contraignants n’ont pas été retenus pour 2030. Quand bien même la révision du paquet climat-énergie s’est faite sous la Commission Barroso, Jean-Claude Juncker aurait pu appuyer un retour de ces objectifs contraignants. Actuellement, seul l’objectif de 32% de réduction des émissions d’ici 2030 est contraignant, mais les états restent libres de composer leur bouquet énergétique.

Des voix s’élèvent aussi pour dénoncer l’incohérence entre la ratification de l’UE de l’accord de Paris et les objectifs climatiques. Ainsi, l’Europe s’appuierait sur des objectifs « obsolètes et peu ambitieux » pour le paquet climat-énergie de 2030, selon l’ancien membre du GIEC Jean-Pascal van Ypersele (le paquet climat-énergie a en effet été révisé en 2014, plus d’un an avant la signature de l’accord de Paris). Les révisions à la hausse des objectifs d’énergies renouvelables (de 27% à 32% l’année dernière) montrent que l’UE essaye tout de même de traduire ses ambitions climatiques en actes ambitieux, même si du chemin reste à faire.

Les institutions européennes ne sont pas les seules pointées du doigt pour leur manque d’ambition : les états membres sont régulièrement la cible de critiques des ONG pour le non-respect de leurs objectifs climatiques. C’est le cas notamment de la France, dont le retard sur ces objectifs se creuse, mais également de l’Allemagne, qui a dû revoir ses ambitions à la baisse pour 2020 (elle table désormais sur une baisse de 32% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, contre 40% auparavant).

Le citoyen doit être au cœur de la nouvelle politique climat-énergie

La nouvelle Commission européenne qui sera élue courant 2019 devra continuer sur la lancée de la Commission Juncker, en particulier dans la définition d’une nouvelle politique climat-énergie citoyenne.

L’une des principales innovations de l’Union de l’énergie est en effet la volonté de l’UE de mettre les citoyens (pas seulement réduits au rôle de consommateurs) au cœur de toute politique énergétique et climatique. L’innovation sociale dans la transition énergétique est en effet essentielle pour que tous les citoyens puissent s’approprier cette transition énergétique. L’innovation énergétique est encore trop centrée sur la « suprématie technologique », les politiques climat-énergie doivent donc s’inspirer des sciences sociales pour mieux répondre aux besoins énergétiques des citoyens.

Cela est d’autant plus urgent qu’un nouveau spectre va hanter l’Europe ces prochaines années : celui du « carbopopulisme ». L’arrivée au pouvoir de Donald Trump, Rodrigo Duterte ou Jair Bolsonaro détruit non seulement la démocratie, mais aussi encore plus le climat, du fait de leur politique pro-énergies fossiles et dévastatrices pour la biodiversité (pensons un instant au sort réservé à l’Amazonie par le président brésilien…). L’Europe n’échappe pas à cette tendance dangereuse (le PiS polonais est en train de détruire la dernière forêt primaire d’Europe, l’AfD allemande est largement pro-charbon et climatosceptique et le Brexit pourrait favoriser l’exploitation du gaz de schiste. Plus que jamais, le prochain président de la Commission européenne (qu’il soit choisi avec le principe du Spitzenkandidat ou non) doit faire de la Commission européenne un défenseur sans équivoque d’une transition énergétique ambitieuse et citoyenne, au service de la lutte contre le changement climatique. Une partie très importante de la pérennité du projet européen est en jeu.

Notes

[1Claude Turmes, Transition énergétique – une chance pour l’Europe, Les Petits Matins, 2017 (chapitre 7 : La préparation des objectifs énergie-climat pour 2030)

[2Claude Turmes, Transition énergétique – une chance pour l’Europe, Les Petits Matins, 2017 (chapitre 7 : La préparation des objectifs énergie-climat pour 2030)

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom

À lire aussi