La difficile traduction du droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux

, by Chloé Langlais

La difficile traduction du droit à l'IVG dans la Charte des droits fondamentaux
Roberta Metsola, présidente du Parlement européen Source: Parlement européen

La Charte des droits fondamentaux (adoptée en 2000) a la même valeur juridique que les traités fondateurs depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009. Preuve de l’avancée de la construction européenne et suite logique du processus d’intégration du droit de l’Union, la consécration de ce texte à une valeur identique aux traités témoigne d’une union pas seulement économique entre les États, mais d’une organisation capable de promouvoir et de garantir la préservation des droits des citoyens qui la composent. La Charte énonce des droits fondamentaux qui garantissent l’État de droit et constituent les assises de la justice, de la paix et de la démocratie. Ils sont considérés, avec l’adoption de la Charte, comme des valeurs communes à tous les États membres.

La récente élection, le 18 janvier 2022, de Roberta Metsola en tant que présidente du Parlement européen a suscité de vives inquiétudes dans les rangs féministes. Ouvertement opposée à l’IVG (interruption volontaire de grossesse), la maltaise à la tête du Parlement a toutefois affirmé qu’elle s’alignerait sur les positions du Parlement. Elle a par ailleurs annoncé qu’elle n’entraverait pas les travaux entrepris et s’engage à soutenir le Pacte Veil (un engagement politique des États membres pour tendre vers une harmonisation par le haut des droits des femmes dans l’Union).

La volonté d’intégrer le droit à l’avortement dans la Charte : une position politique ou la continuité de l’intégration du droit de l’Union ?

La volonté exprimée par Emmanuel Macron le 19 janvier 2022, lors d’un discours aux eurodéputé(es), d’intégrer le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux est en nette opposition avec la posture et la réalité de certains systèmes de droit nationaux, notamment polonais et maltais. À l’approche de l’échéance nationale de l’élection présidentielle française, cette posture peut facilement être interprétée comme l’opportunité de séduire de potentiels électeurs. Elle demeure cependant dans la lignée des positions françaises et du combat féministe qu’a incarné Simone Veil, figure française du droit à l’IVG et première femme élue à la tête du Parlement européen. Il ne faut pas oublier que la volonté affichée par le Président français s’insère par ailleurs dans le contexte de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Or d’après Bruno de Witte, professeur de droit de l’Union européenne à l’Université de Maastricht : « cela ne va pas se produire, et Emmanuel Macron le sait très bien. ».

Très actuel et éminemment politique, le sujet des droits des femmes s’inscrit au cœur d’une lutte contre « un vent conservateur amer [qui] souffle sur l’Europe », pour reprendre les mots de Samira Rafaela (Coordinatrice de Renew Europe au sein de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres.)

Le droit à l’IVG a-t-il sa place dans la Charte ?

Si l’on s’en tient aux affirmations du préambule de la Charte, les droits fondamentaux qu’elle contient résultent des « traditions constitutionnelles des États membres » ; or le droit à l’avortement n’est pas considéré comme un droit de valeur constitutionnelle en France. L’affirmation de la valeur constitutionnelle des droits énoncés dans la Charte n’existe pas pour le droit à l’IVG, ce qui porte atteinte à la légitimité juridique de son ajout dans la Charte. Dans la mesure où le peuple détient le pouvoir constituant (c’est-à-dire qu’il a le mandat pour créer et réviser la norme constitutionnelle) et que le peuple est représenté, au sein de l’Union européenne, par le Parlement européen, alors quelles sont les positions du Parlement européen relatives à l’IVG ? En juin 2021, une résolution déclarant l’accès libre et sûr à l’IVG comme un droit humain est adoptée à 378 voix sur 707, soit 53% des voix. La majorité des parlementaires en faveur de l’IVG est donc loin d’être écrasante. Pour rappel, le domaine de la santé n’est pas une compétence commune : il s’agit d’une compétence régalienne, telle qu’affirmée par le traité sur le fonctionnement de l’Union. Le monopole des États sur les questions de santé a été rappelé, à ce sujet, par la Commission : « les compétences législatives en ce qui concerne la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation, y compris l’avortement, appartiennent aux États membres ».

Par conséquent, à moins de réviser les traités fondateurs, intégrer le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union n’est pas possible. Rappelons qu’une révision des traités implique que chaque État membre dispose d’un droit de véto : la Pologne ou Malte pourraient très bien s’en prévaloir et bloquer le processus. Par ailleurs, au niveau européen, la Cour européenne des droits de l’Homme a considéré que la Convention ne contenait aucune disposition ne devant s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement. Entre climat dangereux pour les droits des femmes dans certains États, et vent de progressisme orienté par les aléas du calendrier électoral, les droits légitimement accordés aux femmes sont sans cesse remis en question, et sans cesse soumis au risque de perdre leur caractère absolu.

L’élection de Roberta Metsola à la tête du Parlement européen n’est pas le seul obstacle. Outre les réalités juridiques et les considérations d’opportunisme politique, la proposition d’intégrer ce droit à la Charte et de le considérer, dès lors, comme un droit fondamental, offrirait une garantie supplémentaire de la préservation de ce droit pour les femmes. Une telle affirmation doit toutefois être suivie d’effets : bien qu’en France le droit à l’avortement soit garanti depuis la loi Veil de 1975, il est encore loin d’être considéré comme un droit fondamental et la possibilité de recourir à l’avortement est, dans la réalité, susceptible d’être entravée, comme ce fut le cas très récemment en 2020 au début de la crise sanitaire.

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