La dimension religieuse du dossier grec

, par Cyrille Amand

La dimension religieuse du dossier grec
La crise grecque, une querelle de clochers ? Ici, le clocher d’une église de Santorin en Grèce. - POTIER Jean-Louis

« Une société d’athées inventerait aussitôt une religion », écrivait Balzac dans Le catéchisme social. De fait, pris en pleine tourmente dans le dossier grec, les dirigeants européens ne savaient plus à quel saint se vouer pour une sortie de crise, jusque très tôt lundi dernier. Précisément, quelle est l’importance des pratiques et des traditions religieuses dans ce conflit qui mine encore l’Europe ? Loin de nous l’idée de vouloir tout expliquer, tout élucider au prisme des spiritualités dans un dossier ô combien complexe. Cependant, certaines divisions intra-européennes sur la question semblent refléter des divisions plus profondes, d’ordre culturel et religieux.

La tradition protestante, ou le strict respect des traités

Le protestantisme apparaît en Europe en 1517, quand le moine allemand et docteur en théologie Martin Luther placarde ses 95 thèses sur les portes de l’église de la Toussaint de Wittenberg. Les thèses condamnent ouvertement certaines pratiques du haut clergé catholique. Le luthéranisme se répand rapidement en Europe, d’abord par le biais des échanges commerciaux, ensuite lorsqu’il est défendu au plus haut niveau politique. Le Danemark en fait par exemple sa religion d’État dès 1536. Aujourd’hui, le protestantisme est présent en majorité notamment en Allemagne, en Angleterre, au aux Pays-Bas et ainsi que dans les pays nordiques.

Sur quels principes se fonde-t-il ? Deux grands piliers nous semblent particulièrement pertinents dans notre analyse. D’une part, le principe de Sola Scriptura (« l’écriture seule »). En d’autres termes, la Bible sert d’unique autorité théologique et de seul véritable guide spirituel. La doctrine protestante récuse notamment le rôle de la tradition dans l’interprétation de la parole de Dieu. D’autre part, le principe d’Ecclesia Semper Reformanda (« l’Eglise doit se réformer sans cesse ») fait jouer aux institutions religieuses protestantes un rôle de second-plan. L’Église protestante doit systématiquement faire œuvre d’autocritique, et inlassablement réformer son mode de fonctionnement.

Ces deux piliers se sont retrouvés dans la stratégie politique suivie, lors des négociations sur le sort de la Grèce, par le clan initialement favorable à un départ de la Grèce de la zone euro - Allemagne, Finlande et Pays-Bas en tête. Soit trois pays de tradition protestante. La ligne de conduite d’Angela Merkel a été l’importance du strict respect des traités. Pour la chancelière allemande, une Europe forte ne saurait être qu’une Europe compétitive, et surtout crédible. Cette quête de crédibilité - si importante au regard des marchés et des investisseurs étrangers - de la zone euro et de ses principes fondateurs, justifiait à ses yeux la ligne dure et infaillible incarnée par son ministre des Finances Wolfgang Schaüble. De même, les trois pays cités n’ont eu de cesse de demander davantage de réformes à la Grèce. Ils ont surtout exigé qu’Alexis Tsipras les fasse voter par son parlement dans les 72 heures avant d’entamer les discussions sur un nouveau plan d’aide.

La tradition catholique, plus souple

Si les protestants ne reconnaissent que les textes comme unique source de la foi, le Concile Vatican II confirmait pour les catholiques l’interdépendance entre les textes et la tradition. « La sainte Tradition et la sainte Écriture constituent un unique dépôt sacré de la parole de Dieu, confié à l’Église[...]. Il est donc clair que la sainte Tradition, la sainte Écriture et le magistère de l’Église, par une très sage disposition de Dieu, sont tellement reliés et solidaires entre eux qu’aucune de ces réalités ne subsiste sans les autres, et que toutes ensemble, chacune à sa façon, sous l’action du seul Esprit Saint, contribuent efficacement au salut des âmes. » La Bible seule ne suffit donc pas. Le croyant a besoin de figures religieuses et d’institutions pour l’aider dans l’interprétation des Écritures.

La doctrine catholique détonne donc avec l’approche protestante plus intransigeante et directe des textes. C’est ainsi que les plus ardents défenseurs de la Grèce, la France en chef de file, ou ses pourfendeurs les moins hostiles - l’Espagne, l’Irlande et l’Italie - sont de tradition catholique. Ils ont la poursuite de la construction européenne en ligne de mire. Le président français François Hollande le répétait la veille de l’accord : « La France va tout faire pour trouver un accord ce soir permettant à la Grèce, si les conditions sont remplies, de rester dans l’euro », en soulignant le fait qu’un Grexit serait synonyme d’ « une Europe qui recule et qui n’avance plus, et ça je n’en veux pas ».

Dès lors, pour atteindre cet objectif, ils sont prêts à jouer avec les marges de manœuvre des traités européens. À user de méthodes peu conventionnelles pour arriver à leurs fins, quitte à en surprendre et à en irriter plus d’un - l’appel téléphonique de la chancellerie allemande en colère à l’Élysée lorsqu’elle a appris que des hauts fonctionnaires français avaient travaillé aux côtés des Grecs à l’élaboration de propositions destinées à l’Eurogroupe, en est la parfaite illustration.

Un œcuménisme nécessaire

Malgré l’accord annoncé, l’Union européenne n’est pas sortie indemne du dossier grec. Ses divisions internes ont éclaté au grand jour, que même le couple franco-allemand n’a pu dissimiler. Cette crise doit dès lors renforcer le moteur de la construction européenne. La première communauté européenne, la CECA, est née d’une guerre mondiale. Aujourd’hui, la crise grecque doit laisser place à une véritable union économique et monétaire. Il est grand temps de renouer avec un dialogue œcuménique, non pas fondé sur les différences qui nous opposent mais sur une identité commune qui nous unit, à même de la concrétiser.

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Vos commentaires
  • Le 20 juillet 2015 à 20:24, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : La dimension religieuse du dossier grec

    Un excellent article qui, enfin, en revient à l’ « infrastructure » au sens marxiste du terme. Puis-je conseiller à son auteur une petite recherche philologique tout aussi instructive autour des mots « faute » et « dette » dans la langue de GOETHE ? Dans les deux cas, « Schuld », qui induit la CULPABILITE ! Pauvres grecs !!!

    Faites sortir, comme en France, les religions et les croyances par la porte...elles reviendront par la fenêtre !

    Quant aux conclusions, quant à cette « véritable union économique et monétaire », elles me paraissent toujours trop timorées !

    DELORS a raison quand il évoque l’UNION POLITIQUE indispensable !!! Mais est-il encore un prophète dans SON pays, à l’heure des souverainistes, comme DUPONT-AIGNAN ou MYARD ?

  • Le 21 juillet 2015 à 10:06, par Guillaume Bucherer En réponse à : La dimension religieuse du dossier grec

    Article fin, subtil, original, intéressant et surtout très vrai. Les profonds schémas mentaux irriguent encore, sans qu’on s’en aperçoive, notre vision du monde, des autres, et notre capacité d’action.

    On aurait pu approfondir sur deux points :
     quid de la « solidarité » qui existerait entre pays orthodoxes ? Expliquerait-elle en partie l’ingérence russe dans ce dossier ?
     les profonds traits psychologiques germaniques ont-ils également un lien avec leur fermeté face à la Grèce : le Destin, la fatalité, l’inéluctable Ragnarök...?

    Merci pour cet article.

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