La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne : un exercice compliqué

, par Alix Marcel, Le Courrier d’Europe

La présidence tournante du Conseil de l'Union européenne : un exercice compliqué
Pedro Sanchez et Volodymyr Zelensky, à Kiev, le 1er juillet, pour l’inauguration de la Présidence espagnole du Conseil de l’Union Européenne source : www.flickr.com

La présidence tournante du Conseil a comme objectif de favoriser l’implication des gouvernements des États membres et de leur population. Elle peut permettre à un état d’accélérer le traitement de certains sujets ou au contraire d’en ralentir d’autres. Cependant celle-ci rend également la politique européenne davantage dépendante des problématiques nationales. Espagne, Hongrie ou même Pologne : les complications liées aux futures présidences du Conseil.

La présidence du Conseil de l’Union européenne : quel fonctionnement ?

S’il réunit aujourd’hui les ministres des Etats membres en 10 fonctions thématiques, le Conseil de l’Union européenne, surnommé Conseil ou encore Conseil des ministres dans la sphère Bruxelloise, a connu des évolutions. Mais quel fonctionnement adopte-t-il et quel est son rôle en tant qu’institution de l’UE ?

Le conseil de l’UE est le colégislateur avec le Parlement. Il est donc chargé d’amender et d’adopter les règlements et les directives européennes.

Le traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, a redéfini les responsabilités de l’Etat assurant la présidence du Conseil de l’Union européenne. Alors qu’il était auparavant chargé de présider toutes les réunions regroupant les Etats membres au sein de l’Union européenne, il ne préside plus que celles de la plupart des formations thématiques du Conseil des ministres. De plus, des présidences longues ont été instaurées pour le Conseil européen, ainsi que pour les formations “Finance” et “Affaires étrangères” du Conseil de l’UE. Tout cela a entraîné un affaiblissement du rôle de la présidence tournante.

Comment cette dernière fonctionne-t-elle ? La présidence tournante a en effet pour but de favoriser l’implication des Etats membres dans la vie politique et institutionnelle de l’Union européenne. Tous les 6 mois, c’est donc un nouveau pays qui assure la présidence du Conseil de l’Union européenne.

L’Etat à la tête de la présidence du Conseil n’a pas de pouvoir décisionnaire plus grand que les autres mais il lui est néanmoins permis d’influer sur l’ordre du jour en mettant en avant certaines de ces priorités. Il est chargé d’organiser les réunions, de piloter les travaux législatifs, d’élaborer les compromis et de représenter le Conseil dans le cadre des trilogues avec le Parlement et la Commission.

Par ailleurs, afin d’instaurer un plus grand suivi des objectifs ainsi qu’une coordination des programmes, un système de « trio de présidences » a été instauré. Suite au dernier cycle commencé par la France en janvier 2022 et assuré avec la République Tchèque et la Suède, l’Espagne commence un nouveau trio de présidences avec la Belgique puis la Hongrie. L’Espagne a notamment pour priorités lors de cette présidence la réindustrialisation, l’énergie, les droits sociaux ainsi que la validation d’un accord commercial avec les quatre pays du Mercosur.

La menace d’un flottement de la présidence espagnole

Le 1er Juillet, l’Espagne succède à la Suède à la présidence du Conseil de l’Union européenne. Cela est, pour Madrid, la cinquième présidence du Conseil. Bien que n’étant pas novice à l’exercice de la présidence tournante, l’Espagne, actuellement concentrée sur les enjeux internes, inquiète certains observateurs.

Il y a un peu plus d’un mois, lors des élections municipales et régionales, la gauche espagnole a subi une lourde défaite. Cela a amené Pedro Sanchez, premier ministre et membre du parti socialiste, à convoquer des élections législatives anticipées, qui ont eu lieu le 23 juillet prochain.

Bien que la tenue d’élections au sein d’un pays pendant sa présidence du Conseil soit loin de constituer une exception, celle-ci risque toujours de déstabiliser l’exercice de la présidence. En 2022, lors de la dernière présidence française du Conseil, les élections présidentielles avaient eu lieu. Plusieurs partis d’opposition avaient demandé à décaler la date de la présidence française du Conseil, ce qui ne fut pas fait. Cependant ces élections étaient prévues, ce qui a permis au gouvernement d’organiser cette concomitance. Cela sera également le cas pour la Belgique qui succédera à l’Espagne à la présidence du Conseil.

Cependant plusieurs éléments font monter les craintes que ces élections perturbent l’exercice de la présidence espagnole. Tout d’abord, bien que ces élections étaient prévues pendant la présidence espagnole du Conseil, ces dernières devaient se dérouler pendant la fin du mandat et non aussi tôt. De plus, le pouvoir pourrait passer du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) au Parti Populaire (PP - conservateur). Cette possible alternance pourrait désorganiser l’exercice de la présidence, et ce, en particulier si le parti doit négocier une nouvelle coalition. Une potentielle coalition du PP avec le parti d’extrême droite VOX préoccupe les sphères européennes.

Pour pallier ces imprévus politiques, Pedro Sanchez a modifié le calendrier des évènements de début de présidence. Il a avancé la visite de la Commission à Madrid au 3 juillet et reporté à septembre son discours devant le Parlement européen. Sanchez a bien inauguré la présidence espagnole du Conseil au 1er juillet et ce depuis Kiev, acte symbolique du soutien de l’Union à l’Ukraine.

Débats et controverses autour de la future présidence hongroise

Dans un an, ce sera au tour de la Hongrie d’exercer la présidence du Conseil. Bien que celle-ci reste relativement lointaine, elle inquiète déjà nombre de politiques et autres observateurs. Le pays avait déjà été à la tête du Conseil lors du premier semestre de 2011. Depuis, les conflits entre Budapest et Bruxelles au sujet du respect de la démocratie et de la justice se multiplient. La Commission européenne a suspendu des milliards d’euros de fonds européens envers le pays. Pour cause : l’adoption d’une loi homophobe, le manque d’indépendance de la presse et de la justice ainsi que la corruption.

Le sujet de cette future présidence hongroise était tabou jusqu’au premier juin dernier, date à laquelle le Parlement européen l’a mis à l’ordre du jour en adoptant une résolution visant à empêcher le gouvernement de Viktor Orbàn d’exercer cette présidence. Cette résolution est passée avec une large majorité et s’est même accompagnée d’une menace de boycott de la part du Parlement en cas de maintien de la présidence hongroise.

Plus précisément, le Parlement questionne la volonté de la Hongrie à mener à bien cette tâche en 2024 dans le respect des valeurs de l’UE, telles qu’énoncées dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne (TUE). Les députés remettent également en cause la capacité du gouvernement à susciter des consensus entre les États membres et à respecter le principe de coopération loyale, décrit dans l’article 4 du TUE.

Un état jugé également trop proche de Moscou, avec une démocratie devenue "illibérale", voire plus tout à fait démocratique… Les reproches faits au gouvernement hongrois sont forts. Anna Lührmann, la secrétaire d’État allemande aux Affaires européennes, a même exprimé devant des journalistes des « doutes » concernant la capacité de la Hongrie à prendre les rênes du Conseil.

Un possible changement de calendrier ?

Le traité sur l’Union européenne prévoit dans les articles 16 et 17 que la présidence du Conseil se fasse selon un système de rotation strictement égale entre les États membres. Le calendrier de rotation actuel, allant jusqu’à 2030, a été adopté à l’unanimité par tous les Etats membres en 2016. Des modifications a posteriori sont tout à fait envisageables mais seulement avec l’accord unanime des États membres. Le calendrier avait déjà été modifié dans le cas d’adhésion d’un nouvel état (ex : Croatie) ou suite au Brexit. Un changement dû à des problèmes d’un État membre avec le respect des valeurs de l’Union serait sans précédent.

Plusieurs solutions ont été avancées pour éviter une présidence hongroise du Conseil en 2024. Garvan Walshe, responsable de la communication du think-tank European Policy Center et Enrico Letta, ancien premier ministre italien et président de l’Institut Jacques Delors ont suggéré de décaler la présidence hongroise de quelques années. Contrairement à une pure suppression, cette solution présente l’avantage de respecter le principe de rotation égale évoqué dans le TUE.

Alberto Alemanno, professeur de droit européen, a quant à lui proposé l’instauration d’un vote à la majorité qualifiée permettant d’empêcher un état membre d’exercer la présidence du Conseil. Il suggère que dans un tel cas, ce soit les deux autres états formant le trio de présidence avec l’Etat en question qui se divisent sa présidence en deux. Il souligne, bien sûr, que ces solutions n’ont pas encore de base juridique mais que, considérant la situation inouïe, cela serait possible.

Garvan Walshe a également suggéré l’adoption d’un texte empêchant un Etat membre d’exercer la présidence tournante, si ce dernier se trouve sous une procédure de l’article 7 du TUE. L’article 7 prévoit la possibilité de sanctionner un État membre ne respectant pas les valeurs fondamentales de l’UE (art. 2 du TUE). Il peut permettre de sanctionner un état membre jusqu’à la suspension de certains de ses droits au sein de l’Union, comme, en théorie, la suspension de son droit de vote. L’article n’a été déclenché que trois fois seulement : contre la Pologne, en 2017, et contre la Hongrie en 2018 et 2020. Il n’a cependant jamais donné lieu à des sanctions.

Suite à la Hongrie, le calendrier prévoit que ce soit au tour de la Pologne de prendre la présidence du Conseil. Un problème semblable se posera alors. A tout cela, Judit Varga, la ministre hongroise de la Justice, a défendu la capacité de son pays à assurer cette présidence tournante. Zoltan Kovacs, secrétaire d’État hongrois à la communication internationale, accuse le Parlement européen de chercher des prétextes pour s’en prendre une fois de plus à la Hongrie à cause de leur position “pro-paix”.

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