Cependant, Rhenus est tout autant l’auxiliaire que la victime de celles-ci. À de nombreuses reprises dans le temps et l’espace, il a été le témoin et le prétexte de conflits. À l’heure où gouvernants et gouvernés prennent conscience de l’obsolescence du modèle de l’État-nation, reconnaître sa personnalité juridique serait une opportunité pour transformer notre modèle de gouvernance européenne.
Inspiré pour partie de la théorie du droit naturel, selon laquelle les droits dont jouissent les individus sont de source supérieure à la simple technique de production normative de nos systèmes politiques, ce mouvement initié en plusieurs endroits du monde consisterait a octroyer des droits à Rhenus et faire peser des obligations sur les entreprises ou individus le côtoyant. Le Parlement de Nouvelle-Zélande a ainsi reconnu en 2017 la personnalité juridique du fleuve Whanganui. Nos sociétés contemporaines ont accordé par convention la personnalité juridique à des entreprises, il est tout à fait possible d’en faire autant pour les êtres vivants non-humains comme les fleuves.
Des critiques émanent de la doctrine juridique et elles sont en partie fondées. Il est indéniable que les juridictions et administrations ont besoin de moyens financiers plus conséquents pour permettre une protection effective du fleuve. Une critique limitée aux considérations touchant à sa préservation matérielle placerait Rhenus dans une situation analogue à celle d’un majeur protégé privé de la capacité d’exercice de ses droits.
En effet, il n’est pas ici question de réparer les dommages subis : ce serait l’occasion de réguler de manière plus générale les activités entourant le fleuve, qu’il s’agisse d’industrie, de commerce, d’urbanisme, de tourisme ou d’organisation administrative et politique. Le mouvement de démocratisation de nos communautés humaines par le passage progressif d’une absence de suffrage au suffrage universel pourrait ainsi être étendu au reste du Vivant. L’anthropologie a en effet depuis longtemps fait voler en éclat la dichotomie arbitraire entre « nature » et « culture ». Cette nouvelle organisation administrative et politique serait l’occasion d’un renouveau démocratique, rassemblant dans une même enceinte humains, non-humains et leurs groupements.
À l’heure de ce que beaucoup de commentateurs appellent la crise de l’identité et des valeurs européennes, il semble ardu de trouver un dénominateur commun aux Européens. Les peuples des berges du Rhin savent qu’ils ont à minima le fleuve en commun. Reconnaître la personnalité juridique de ce dernier serait enfin l’occasion de transformer une frontière, un lieu qui sépare les gens, en un lieu qui les rassemble. C’est là l’idée au cœur du projet européen dès ses origines.
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