Le 12 septembre 1963 est signé à Ankara, l’accord d’association entre la Turquie et la CEE, premier acte d’un long chemin vers l’intégration, dont l’objectif final se précise lorsque le premier ministre Türgüt Özal dépose officiellement en 1987 la candidature de la Turquie à la CEE. Au gré, des changements de majorité en Europe occidentale et des vicissitudes de la politique intérieure turque, des progrès sont réalisés ou à l’inverse, un Bosphore de papier éloigne la Turquie de l’Europe.
Tout au long de ce processus, la question chypriote reste au cœur des blocages. Après la guerre de l’été 1974, la partition de l’île continue d’empoisonner les relations turco-grecques, et Chypre devenu membre de l’Union en 2004 n’est toujours pas reconnu officiellement par Ankara. A l’heure des négociations chapitre par chapitre en vue de l’adhésion, huit chapitres sur trente-cinq sont toujours bloqués du fait de cette non-reconnaissance mutuelle.
Pour autant, et malgré ce sujet de taille, la Turquie du premier ministre Erdoğan de 2002 à 2007 continue à présenter des gages de bonne conduite aux dirigeants communautaires. Fidèle allié, membre de l’OTAN ou encore du Conseil de l’Europe, la Turquie a en effet depuis presque deux siècles et plus encore depuis les années 1920 et la Révolution de Mustafa Kemal Atatürk fait le choix de l’Occident pour assurer son développement.
Les élites progressistes et kémalistes des grandes villes et de la côte égéenne du pays continuent d’œuvrer et de prouver que la Turquie bien qu’à cheval entre Europe et Asie a toute sa place dans l’Union européenne, et que l’adhésion permettrait d’accélérer encore davantage les avancées économiques, de renforcer l’État de droit, d’en finir avec le clientélisme politique, la corruption et le patriarcat dans toutes les sphères de la société.
Mais c’était sans compter sur le virage autoritariste pris par le premier ministre, devenu en septembre 2014, président de la République, Recep Tayiip Erdoğan. Le fondateur et leader du parti de la Justice et du développement (AKP), qui s’est construit dans les partis de défense religieuse du controversé Necmettin Erbakan. Sans jamais avoir caché son conservatisme islamique, il multiplie les provocations en reniant les axiomes idéologiques de la construction européenne, en s’en prenant aux minorités religieuses, ethniques, sexuelles, ou encore à la place des femmes dans la société. Les scandales de corruptions et d’abus de pouvoir se multiplient autour de lui et laissent à penser que les anciennes pratiques de la vie politique turque ne sont pas révolues. Enfin, il exalte et renoue avec le passé ottoman du pays, mettant de côté les références aux fondements de la république kémaliste.
Malgré les gages institutionnels et diplomatiques, le pouvoir se contente largement d’un statu quo des négociations, satisfaisant sur le plan économique et permettant en l’absence de toute contrainte politique de continuer sa politique du pire, de la terreur politique et de la guerre à ses opposants sur tous les fronts.
Dans un Moyen-Orient perpétuellement au bord du chaos, la Turquie d’Erdoğan se joue subtilement de sa position de carrefour géostratégique, ne s’arrimant définitivement à aucun bord. Mais viendra immanquablement le temps du renouveau, voulu par la jeunesse de Gezi, dans un pays où jusqu’ici la rue n’avait pas voix au chapitre.
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