Le Bulli affiche bientôt 11 000 kilomètres au compteur. Après la Hongrie la semaine dernière, nous étions en Pologne. On a choisi de faire une petite halte à Auschwitz, Oswiecim en polonais.
Klaudia Domzal est née à Oswiecim et y a passé son enfance. Sa ville natale est située tout autour de l’ancien camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz.
Au quotidien, la vie est paisible dans cette petite ville polonaise. Mais quand il faut annoncer d’où elle est originaire, Klaudia reconnaît que ça se corse :
« Dire aux gens que je viens d’Oswiecim met souvent mal à l’aise les gens. Certains pensent que j’habite dans une baraque du camp. Personne ne sait que ma ville était là avant l’arrivée des nazis et qu’on peut y vivre très bien. »
Klaudia s’improvise guide et nous montre les petites rues de cette bourgade de quelque 40 000 habitants. On y découvre le visage ordinaire d’une petite ville ordinaire : des cafés, des restaurants et plusieurs night-clubs, deux cinéma, un lycée, une université, un tatoueur et une bibliothèque refaite à neuf.
« C’est une ville très agréable où j’aimerais pouvoir vivre et vieillir même. J’aimerais tant que les gens viennent voir par eux-mêmes combien on est heureux ici. Oui, l’ancien camp est tout près de la ville mais on n’a pas de connexion au quotidien avec cette histoire. On sait que le camp est là, on connaît bien son histoire, mais on vit sans y penser chaque jour. »
La 2e guerre mondiale ? On évite le sujet
La famille paternelle de Klaudia a toujours habité à Oswiecim. Difficile pourtant d’évoquer les années 1940 avec ses grands-parents. Avec eux, elle a préféré éviter le sujet. Cela ne l’a pas empêchée de visiter trois fois le mémorial ni de participer à des concours d’histoire organisés par l’Académie.
Sur la place centrale d’Oswiecim, Klaudia nous montre les cafés récemment installés et les façades repeintes de couleurs vives :
« Depuis cinq ans, tout a été refait. Le gouvernement polonais a accordé d’importantes aides financières à notre municipalité. Avant, on n’avait pas de place publique agréable, seulement les vieux cafés des habitués. Maintenant, on a un chouette centre-ville, avec un glacier, des restaurants et des terrasses. »
Cohabitations
Bien que la délimitation entre l’ancien camp d’Auschwitz et la ville d’Oswiecim soit dessinée par des murs et des grillages, l’atmosphère des alentours reste marquée. Les 200 hectares d’Auschwitz I et Auschwitz II sont divisés en deux sites, aux limites des villes d’Oswiecim et de Brzezinka (Birkenau). Depuis l’ancien camp d’Auschwitz, on aperçoit de petites maisons et leur jardin : la réciproque est aussi vraie.
Certains étaient déjà propriétaires avant-guerre ici, et ont voulu reprendre leur maison. D’autres ont profité de prix attractifs pour s’installer. L’image la plus surprenante reste celle de cette maison qui fait face à l’ancien camp de Birkenau. Les rails du chemin de fer (vers les chambres à gaz) passent par un jardinet privé. Au-dessus d’une section des rails, on aperçoit une balançoire verte et rouge.
Un artiste juif américain, Danny Ghittis, a décidé de parler de ces fantômes d’Auschwitz en photographiant cette ville banale, quotidienne, des habitants d’Oswiecim et de Brzezinka. Sa série « Life in the shadow of Auschwitz » montre une fillette à rollers passant devant les baraques en briques, un paysan brûlant du bois non loin des chambres à gaz, ou encore une nonne jouant au badminton devant l’ancien camp.
Joint depuis Oswiecim, Danny Ghitis explique :
« L’idée m’est venue il y a une dizaine d’années, quand j’ai découvert qu’Auschwitz était aussi une ville. J’ai immédiatement été fasciné par cette histoire à laquelle je n’ai jamais cessé de penser. Et puis j’ai décidé d’aller voir moi-même de quoi il retournait, en m’installant cinq mois à Oswiecim. J’avais beaucoup d’idées préconçues sur la Pologne et son passé. J’ai découvert une jeunesse qui s’intéresse à la culture juive de son pays. Même si mes photos montrent un certain contraste et une volonté d’utiliser des symboles comme la fumée ou les flammes, j’ai nuancé ma vision et accepté cette chose si simple et si complexe à la fois : la vie continue malgré tout… » La reprise de la vie normale s’est donc s’imposée, même ici, face au symbole de destruction massive du XXème siècle. On pourrait alors y voir, chez certains, une certaine résilience et chez d’autres, une volonté d’oubli.
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