Sommets de la honte : la nullité prend de l’altitude
Les chefs d’Etat et de gouvernement avaient rarement atteint un tel niveau auparavant. Lors des sommets du 13, du 19 février, et du 7 mars (consacrés aux réfugiés et aux exigences de Cameron pour faire campagne contre le Brexit), ils ont fait un aveu quasi-public d’impuissance et de résignation. Morale de l’histoire : que faire quand on ne trouve pas de solution aux problèmes communs ? Rentrer chez soi, faire comme si ces problèmes pouvaient être résolus dans le seul cadre national par des mesures simplistes, et laisser les autres se débrouiller tout seul, sans oublier de les accuser de ne pas faire preuve de la solidarité qu’on leur refuse.
Quand la photo d’Aylan Kurdi a été publiée, une émotion instantanée a semblé susciter une certaine compassion chez les citoyens de l’Ouest de l’Europe, qui ont blâmé ceux de l’Est pour leur xénophobie ; on a alors parlé de fracture Est/Ouest. Qui plus est, la Hongrie est critiquée pour son régime très autoritaire, et une procédure de sauvegarde de l’Etat de droit a été lancée vis-à-vis de la Pologne, en raison de ses réformes visant les médias publics et le Tribunal constitutionnel.
Mais s’en tenir à une telle division, c’est oublier qu’en France, il y a peu de chances que l’état d’urgence et son lot de mesures liberticides soient remis en cause, car Laurent Fabius, ancien ministre en poste au moment où ce régime d’exception a été décrété, et qu’il ne s’y est nullement opposé, a été tout naturellement nommé par le président de la République à la tête du Conseil constitutionnel, contrepouvoir clé dans ce régime d’exception.
De même, depuis les attentats du 13 novembre, certains pays d’Europe de l’Ouest ont adhéré à l’idéologie d’Orban, et plaident en majorité pour ne plus accueillir de réfugiés. Ce ralliement au modèle hongrois s’est fait, dans chaque cas, pour des raisons de politique intérieure, parce que l’espace public demeure national. À l’Est, on érige des murs, à l’Ouest, on rétablit les contrôles aux frontières, soi-disant pour lutter contre le terrorisme.
Ces mesures illustrent d’autant plus le triomphe de la médiocrité qu’elles sont inefficaces et contre-productives. Inefficaces, d’une part, parce que les murs n’empêcheront pas l’entrée en Europe de ceux qui fuient les zones de guerre pour sauver leurs vies, d’autre part, parce que ni les contrôles aux frontières, ni les mesures de contrôle et de restriction des libertés n’ont jamais mis fin à quelque menace terroriste que ce soit. Contre-productives, car aucun pays européen ne peut surmonter seul les crises qui ébranlent le continent, pas même l’Allemagne. Une politique commune en matière d’asile, d’immigration, et de gestion des frontières est indispensable. En matière de sécurité, il faut, au minimum, une coopération automatique et systématique entre les Etats-membres. Or, la tendance de nos chefs d’Etat est clairement de se refermer sur leurs pré-carrés nationaux. Aucun des rares textes européens adoptés en matière de sécurité ne prévoit de coopération obligatoire : le PNR, symbole de la réponse européenne au terrorisme est inefficace car il ne contraint aucun pays à partager ses informations, alors que son potentiel de nuisance quant aux libertés individuelles est inquiétant.
La nostalgie européenne d’un passé idéalisé
Une question se pose alors : pourquoi continuer dans cette direction ? Parce que les barrières, les barbelés, et l’état d’exception permanent sont spectaculaires, et donnent l’impression que nos dirigeants maîtrisent la situation. Or, quand on est médiocre, la sauvegarde des illusions prime toujours sur la défense de l’intérêt général, même s’il faut pour cela se couper de toute réalité, et exploiter à satiété les symboles nationaux pour se prouver qu’on est encore une grande nation. La devise des médiocres est : « quand ça va bien, c’est grâce à nous, quand ça va mal, c’est de la faute des autres ». La France et le Royaume-Uni excellent à ce jeu, même si leurs méthodes divergent.
La France, pour étoffer le mirage du retour de la grandeur passée, opte pour une politique très militariste sur divers fronts, ce qui montre paradoxalement que sa perte d’influence sur la scène internationale l’empêche d’avancer des solutions autres que militaires pour résoudre les problèmes du monde. Cette politique, caractéristique du repli sur soi, isole davantage la France, ce qui renforce sa tendance à prendre des décisions de manière unilatérale, à opter pour la diplomatie des armes, et à qualifier de « molle » toute politique divergente.
Quant au Royaume-Uni, il essaye de se prouver à lui-même qu’il peut être réellement indépendant, et que les problèmes de ses voisins seront sans effets sur lui. Sa politique étrangère vis-à-vis de l’Europe n’a pas bougé depuis le XVIIIe siècle, comme si le continent européen était resté le même depuis trois siècles. Mais à cette époque, l’Angleterre était la première puissance du monde. Changer de politique, c’est donc admettre que la Grande-Bretagne a perdu son prestige d’autrefois : inacceptable ! Pour conserver sa nostalgie et retarder un retour à la réalité qui risque d’être brutal, Albion est déterminé à maintenir le même cap, quelles qu’en soient les conséquences. Le Royaume britannique est intéressant en ce qu’il est à l’image de l’Union européenne : comme quand l’acquis européen est menacé par les replis nationaux, ainsi le Royaume risque de se désintégrer, si jamais les Anglais décidaient de quitter l’Union des 28. En effet, il y a fort à parier qu’en cas de Brexit, l’Ecosse, l’Irlande du Nord, et peut-être dans une moindre mesure le Pays de Galles, prendraient leur indépendance pour rejoindre l’Union.
Le Vieux continent, le continent de l’oubli ?
Ce qu’il faut conclure de ce coup d’Etat des médiocres, c’est que l’Europe n’est pas un vieux continent. L’Egypte, le Proche-Orient, la Mésopotamie, ou la Chine ont des histoires beaucoup plus anciennes que la nôtre, et les pays de l’Extrême-Orient ont une population au moins aussi âgée que celle des pays européens. La qualification de « vieux continent » pour désigner l’Europe vient de l’idée qu’après avoir apporté ses innovations au reste du monde, celle-ci se retirerait des affaires du monde, et n’inventerait plus rien. Cette vision, démentie par le projet de construction d’une Union politique qui réunirait les peuples du continent, redevient d’actualité. Mais l’idée d’un vieux continent, c’est aussi celle d’un continent qui a un passé. Or, les pays européens n’ont pas de passé, ils vivent dans le passé, tout en oubliant les leçons que leur ont données ces temps jadis qu’ils regardent avec tant de regrets.
À l’issue du sommet européen qui s’ouvre aujourd’hui sur l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 7 mars dernier, les chefs d’Etat et de gouvernement auront une chance de faire un choix nouveau. Ils peuvent décider de se saisir collectivement du problème des réfugiés, de créer un véritable corps européen de garde-frontières qui serait chargé de secourir les naufragés, d’enregistrer les nouveaux arrivants pour les protéger des trafics d’êtres humains, de faire le tri entre demandeurs d’asile et les migrants économiques, et de créer pour ces derniers une voie d’immigration légale (ruinant ainsi les passeurs en leur coupant l’herbe sous le pied). Ils peuvent aussi poursuivre leurs politiques individualistes, conservant ainsi leurs illusions de souveraineté et sous-traiter les questions qui fâchent à des pays tiers pour ne pas se confronter au monde du XXIe siècle.
Si ce scénario est privilégié, l’Europe n’en sera pas pour autant un « vieux continent » ; les médiocres qui siègent au Conseil européen en auront fait un « continent Alzheimer ».
1. Le 18 mars 2016 à 22:08, par El gaucho francés En réponse à : Le Conseil européen, symbole du coup d’Etat des « médiocres »
« que faire quand on ne trouve pas de solution aux problèmes communs ? » cette crise des réfugiés n’est pas un problème commun : http://s1.lemde.fr/image/2015/09/04/534x0/4745971_6_4c4e_en-europe-
une-politique-d-asile-en-ordre_b8da5983122ea37ec82c38ba14d814ca.png On comprend qu’entre la Sovénie dont les demandes d’asile représentent 0,00118% et la Hongrie dans laquelle ces demandes représentent près de 0.5% de la population, ce n’est pas le même problème.
« faire comme si ces problèmes pouvaient être résolus dans le seul cadre national » En koi ces problèmes seraient-ils mieux résolus dans le cadre communautaire ?
« les citoyens de l’Ouest de l’Europe, qui ont blâmé ceux de l’Est pour leur xénophobie » de koi parles-tu ?
« certains pays d’Europe de l’Ouest ont adhéré à l’idéologie d’Orban » Je ne crois pas qu’Orban a été l’exemple.
« Contre-productives, car aucun pays européen ne peut surmonter seul les crises qui ébranlent le continent, pas même l’Allemagne. » encore une fois, pk seraient-elles mieux résolues au niveau
européen ?
« Une politique commune en matière d’asile, d’immigration, et de gestion des frontières est indispensable » c’est déjà bien le cas, je rappelle que l’espace de liberté, de sécurité et de justice est
une compétence « partagée », c’est-à-dire que c’est la commission qui a le dernier mots et ça a été constaté en france http://vk.com/video_ext.php?oid=218312240&id=170996003&hash=61c45bca4fc11176&
de 12:03 à 12:25
2. Le 18 mars 2016 à 22:09, par El gaucho francés En réponse à : Le Conseil européen, symbole du coup d’Etat des « médiocres »
"En matière de sécurité, il faut, au minimum, une coopération automatique et systématique entre les Etats-membres" que serait devenu Léonard de Vinci, qui avait cherché l’asile en France, ou
Victor Hugo, pourchassé par Napoléon 3 et qui trouva refuge en Belgique et au Royaume-Uni, s’il y avait ce genre de système ?
"Or, quand on est médiocre, la sauvegarde des illusions prime toujours sur la défense de l’intérêt général, même s’il faut pour cela se couper de toute réalité, et exploiter à satiété les symboles
nationaux pour se prouver qu’on est encore une grande nation. La devise des médiocres est : « quand ça va bien, c’est grâce à nous, quand ça va mal, c’est de la faute des autres »." On pourrait
retourner l’argument contre l’UE, qui exige que l’on mette "l’europe s’engage" sur tous les projet "financé" par les fonds communautaires (qui est en fait de l’argent français car la france est
bénéficiaire nette) et qui se gargarise des grandes coopérations internationales (pour prendre un exemple ad hoc : l’espace schengen)
"la scène internationale l’empêche d’avancer des solutions autres que militaires pour résoudre les problèmes du monde. Cette politique, caractéristique du repli sur soi" on envoie des gens à
l’autre bout du monde et c’est du repli sur soi ?
"Sa politique étrangère vis-à-vis de l’Europe n’a pas bougé depuis le XVIIIe siècle" l’UE n’existait pas au XVIIe !
"L’Egypte, le Proche-Orient, la Mésopotamie, ou la Chine ont des histoires beaucoup plus anciennes que la nôtre" La Chine oui, pour le reste, ce sont des etats bien plus récent que la France.
"La qualification de « vieux continent » pour désigner l’Europe vient de l’idée qu’après avoir apporté ses innovations au reste du monde, celle-ci se retirerait des affaires du monde, et
n’inventerait plus rien" En réalité, ça vient tout simplement du fait que l’Amérique était surnommée "le nouveau monde" et qu’on a par la suite appelé en opposition l’europe "le vieux continent"
"Cette vision, démentie par le projet de construction d’une Union politique qui réunirait les peuples du continent" ça s’appelle l’empire et c’est vieux comme le monde
"Or, les pays européens n’ont pas de passé" France 1500 ans Angleterre 1000 ans Espagne : 500 ans les Allemagnes : 1200 ans
Donc oui, ils ont un passé !
3. Le 21 mars 2016 à 11:09, par Hervé Moritz En réponse à : Le Conseil européen, symbole du coup d’Etat des « médiocres »
La Commission européenne n’a jamais le dernier mot puisque c’est le Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement) qui fixe les grandes orientations, et le Conseil de l’Union européenne (la réunion des ministres des 28) qui est co-législateur (avec plus de compétences que le Parlement européen). Le premier mot est celui des chefs d’Etat et de gouvernement, le dernier au Conseil, les ministres des Etats membres. La Commission n’a de marge de manœuvre que dans la proposition de textes qu’elle fait à toutes les institutions.
4. Le 26 mars 2016 à 13:44, par El gaucho francés En réponse à : Le Conseil européen, symbole du coup d’Etat des « médiocres »
Hervé Moritz : vous vous trompez : le conseil européens ne fixent que les très grandes lignes (art 15.1 du TUE) (exemple : « poursuivre les réformes structurelles afin de moderniser nos économies et mener des politiques budgétaires responsables » peut signifier à la fois : une politique keynésienne, une politique de l’offre ou une politique d’austérité ?). Cet article indique bien que le Conseil Européen n’a aucun pouvoir législatif. En plus, la Commission est indépendante du conseil européen et ce dernier n’a pas les moyens de la sanctionner en cas de non respect de ces très grandes lignes.
Sur la procédure de co-décision, tu parles de l’article 294 ? Il dit juste que le Conseil de l’UE a le pouvoir de dire oui ou non et de demander à ce que la commission propose des lois mais il n’a absolument pas l’initiative législative (privilège de la Commission)
5. Le 3 avril 2016 à 19:09, par Alexandre Marin En réponse à : Le Conseil européen, symbole du coup d’Etat des « médiocres »
« Sur la procédure de co-décision, tu parles de l’article 294 ? Il dit juste que le Conseil de l’UE a le pouvoir de dire oui ou non et de demander à ce que la commission propose des lois mais il n’a absolument pas l’initiative législative (privilège de la Commission) ».
Ca, ça vaut pour l’ancien pilier communautaire qui régit le marché intérieur.
Il n’y a pas de politique commune d’immigration et d’asile harmonisée, les états la refusant. Car c’est bien le conseil européen qui décide, la preuve : son refus du plan de re-localisation permanent des réfugiés.
« cette crise des réfugiés n’est pas un problème commun » : au contraire, parce que la majorité des réfugiés veulent se rendre dans le nord. Et ils sont mieux résolus dans le cadre UE, parce que les administrations nationales sont débordées, et qu’elles n’ont pas les moyens humains et financiers de résoudre les problèmes. Si on coordonne entre les différents pays le traitement de ces demandes d’asile, la Grèce et l’Italie seront moins débordées. Voilà pourquoi une gestion de la crise au niveau européen fonctionnerait mieux.
Quant à la coopération entre Etats-Membres de l’Union européenne, ces derniers étant des démocraties, ce ne sont plus les Léonards de Vinci et les Victor Hugo qui se réfugient dans un autre pays, mais plus les mafieux et les terroristes.
Enfin, pour ce qui est des interventions militaires à l’autre bout du monde, ce n’est pas incompatible avec le repli sur soi, regarde l’Amérique de Bush.
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