Le Courrier d’Europe : Giorgia Meloni, le caméléon de l’européisme

Comment l’idée que la dirigeante se faisait de l’Europe a-t-elle évolué au fil du temps ?

, par Gabriele Lococciolo, Le Courrier d’Europe

Le Courrier d'Europe : Giorgia Meloni, le caméléon de l'européisme
La Présidente du Conseil des ministres italien Giorgia Meloni rencontre la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Bruxelles, le 3 novembre 2022. Source : Gouvernement italien

Analyse. Un ordre international révolutionné par une crise sanitaire, une forte récession économique et une crise politique et humanitaire provoquée par une agression militaire illégitime. En l’espace de trois ou quatre ans, beaucoup de choses peuvent changer : c’est ce que nous enseigne – entre autres – le caméléonisme de Giorgia Meloni, dont les idées autour de l’Europe – ou plutôt l’Union européenne – ont presque radicalement changé en l’espace de quelques années, voire même de quelques mois...

La Présidente du Conseil des ministres italien Giorgia Meloni rencontre la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Bruxelles, le 3 novembre 2022. Le mot-clé du discours politique de Giorgia Meloni est « souveraineté », un terme qui a été évoqué à plusieurs reprises dans la rhétorique de son parti conservateur depuis le tout début. C’est ce que confirme également la très récente invention – toute mélonienne – de l’expression « souveraineté alimentaire », qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a aussi fait sourire de nombreux observateurs politiques par son imprécision. Le bien-aimé sujet de la souveraineté a toujours été l’un des casse-têtes les plus connus de Meloni, en particulier lorsqu’il s’agit de la relation entre affaires européennes et affaires intérieures.

Dans les Appunti per un programma conservatore (« Notes pour un programme conservateur ») – ancêtres du programme électoral « officiel » en vue des élections politiques de septembre 2022 et signées par la leader de Fratelli d’Italia (« Frères d’Italie ») en avril 2022 – on lit la volonté de Meloni d’affirmer un rôle fort de l’Italie à la fois au sein de l’Alliance Atlantique et de l’Union européenne.

Pour la cheffe du parti, le multilatéralisme « doit être abordé sur la base de positions nationales définies et non en le nivelant sur une ligne commune qui pourrait ne pas correspondre pleinement à nos intérêts », d’où la nécessité d’une indépendance nettement italienne également au sein des instances supranationales comme l’UE, à devoir s’inscrire – en plein style conservateur – dans la défense du pur intérêt de la nation. Ou encore on y lit que « les partenaires européens sont certes des amis, mais aussi des concurrents politiques et économiques », c’est pourquoi les relations et les amitiés en dehors de l’espace euro-atlantique doivent être « renforcées ». Bref, à quelques mois encore des élections, la désormais Première ministre italienne adopte des positions plutôt eurosceptiques, pour le moins dans le domaine de la défense et de la sécurité internationale, et tout cela sans réserve.

Le projet de loi constitutionnelle de 2018

Mais si l’on veut redécouvrir les preuves accablantes de l’antieuropéanisme prononcé de Giorgia Meloni, il suffit de récupérer un document de 2018 : une proposition de loi constitutionnelle à la Chambre des députés – la n. 291 – du 23 mars 2018. Ici, les positions de l’actuelle Première ministre italienne, à l’époque membre de la Chambre des Députés, sont très nettes. Avec en haut la signature, entre autres, de Giorgia Meloni, la proposition se lit comme suit : « amendements aux articles 11 et 117 de la Constitution, concernant l’introduction du principe de souveraineté par rapport au droit de l’Union européenne ».

La plus grande crainte des députés eurosceptiques est que les « contraintes dérivant de l’ordre juridique communautaire » mentionnées dans la Constitution italienne soient comprises comme « non seulement celles dérivant des traités européens, mais aussi celles dérivant de toutes les autres sources du droit – les directives et les règlements – qui sont ainsi elles aussi ‘‘constitutionnalisées’’ ». Tels sont les propos que l’on peut lire dans le document déposé à l’hémicycle et qui, aux yeux d’un public mal préparé, pourraient faire craindre une réalité dystopique dans laquelle l’Union européenne remplace le plus haut texte juridique des États.

En réalité, et contrairement à ce que prétendent les propos anxieux des députés de Frères d’Italie, la valeur constitutionnelle – si cela peut se dire, bien qu’imprécisément – ne concerne que les traités constitutifs européens, alors que ce qu’on appelle les « lois communautaires » (directives et règlements) ont une valeur équivalente aux textes produits par le pouvoir législatif national et éventuellement par l’exécutif. Les lois constitutionnelles restent donc à tous égards – de droit et de fait – les textes juridiques les plus importants pour les États membres, et en cela la doctrine juridique semble assez unanime. Les esprits passionnés des nationalistes peuvent donc encore dormir sur leurs deux oreilles.

Le programme électoral des élections générales de 2018 : « We want our money back ! »

Du même mois que le projet de réforme constitutionnelle anti-européen, le programme électoral présenté par Fratelli d’Italia en vue des élections législatives de 2018 est lui aussi plus que jamais eurosceptique. Ainsi, dans le Top 3 des priorités inscrites au programme, on lit « moins de contraintes de l’Europe ». « Non aux politiques d’austérité, non aux réglementations excessives qui entravent le développement, révision des traités européens, plus de politique et moins de paperasse en Europe, réduction de l’excédent des paiements annuels italiens au budget de l’UE, prévalence de notre Constitution sur le droit communautaire sur le modèle du droit allemand (récupération de la souveraineté) » et enfin, parce que cela ne doit jamais manquer, « protection des intérêts italiens en tout lieu à partir de la sécurité de l’épargne et de la protection du “Made in Italy”, en tenant particulièrement compte des caractéristiques typiques des productions agricoles et du secteur agro-alimentaire ». Digne d’un thatchérien « We want our money back ! », la cheffe de l’opposition de l’époque évoque tous les ingrédients d’une recette d’un cake souverainiste et eurosceptique.

2022 : le changement de marée et la rédemption

Nouvelle année, nouvelle vie ! À l’aube des élections générales de 2022, peut-être consciente de l’évolution de la situation géopolitique mondiale, la dirigeante de Frères d’Italie présente un nouveau programme électoral dans lequel ce qu’elle critiquait jusque peu – n’oublions pas les Notes pour un programme conservateur d’avril 2022 – devient le centre de ses idées politiques renouvelées. Ainsi, sans même attendre quelques pages, en tête du programme électoral 2022, on retrouve une « Italie de plein droit partie de l’Europe », avec l’OTAN et l’Occident dans son ensemble. « Pleine adhésion au processus d’intégration européenne, avec la perspective d’une Union européenne plus politique et moins bureaucratique » : un virage à 180 degrés, qui pourtant porte la signature de Giorgia Meloni.

Il semblerait que l’actuelle Première ministre italienne ait changé d’avis dans ce programme et que ce qu’elle avait l’habitude de combattre, par ses discours et sa rhétorique, soit maintenant confronté à des arguments et des critiques constructives, plus ou moins acceptables. Quand on lit en bas de page la « défense et promotion des racines et des identités historiques et culturelles classiques et judéo-chrétiennes de l’Europe », par exemple, on peut s’interroger s’il convient ou non de souligner ces origines ou s’il vaudrait mieux « relire » l’Europe en clé moderne, à la lumière de nouvelles catégories plus inclusives – à l’instar de la devise de l’Union européenne : « Unie dans la diversité » – et pas forcément liées à la religion, bien qu’on ne puisse certainement pas en nier la véracité historique.

Que l’on l’aime ou la déteste, il faut toujours passer par l’Europe

S’il est vrai que l’UE est manipulée par des partis eurosceptiques et nationalistes qui, à leur guise, tentent de remporter des votes lorsqu’ils sont à l’opposition en dressant le portrait d’une Europe tyrannique incarnée par les institutions communautaires qui souhaitent le mal des États membres, il est vrai aussi qu’en fin de compte, l’Europe a le dessus.

Nous en revenons ainsi à Giorgia Meloni, souvent immortalisée main dans la main avec des souverainistes comme Marine Le Pen. Il est peut-être surprenant qu’une fois à la tête de l’exécutif, elle choisisse Bruxelles, la « capitale » de l’UE qu’elle a tant décriée, comme son premier voyage à l’étranger. Un choix obligatoire, certes, si l’on considère la dépendance actuelle de l’Italie aux fonds européens de Next Generation EU. Et pourtant, c’est un choix loin d’être évident pour une personnalité politique qui, jusqu’à récemment, s’adressait aux dirigeants européens sur un ton belliqueux. Cependant, à bien y regarder, cette décision n’a rien d’exceptionnel et s’inscrit dans un parcours, peut-être peu graduel et uniforme, qui a amené la Première ministre italienne dans un terrain de trêve et de collaboration avec l’organisme communautaire.

Rome vaut bien un acquis communautaire

Il y a deux ans, l’actuelle Première ministre se présentait lors d’un entretien avec un journal italien comme « une troisième voie blairienne de droite », et déclarait son intention d’être du côté « des partis qui partagent un modèle confédéral, avec des nations qui collaborent mais restent souveraines chez elles ». Certes, la conversion pro-européenne de Meloni est loin d’être désintéressée, mais il s’agit certainement d’une trêve précieuse à sauvegarder : l’Italie a besoin de Bruxelles et de ses fonds pour faire face à la crise du prix du gaz et pour mettre en œuvre le Plan National de Relance et de Résilience (PNRR).

Une chose est donc certaine : Giorgia Meloni aujourd’hui est confrontée non seulement à des contraintes informelles découlant de la nécessité d’accepter la réalité que ceux qui accèdent au gouvernement héritent – une réalité qui ne permet souvent pas de réaliser les promesses faites au cours de la campagne électorale – mais aussi à des contraintes formelles. Et ces dernières sont aussi bien externes – celles déterminées par l’adhésion de l’Italie à l’UE – qu’internes, prévues dans la Constitution italienne pourtant attaquée par Meloni elle-même en 2018, qui maintiennent étroitement scellé le lien entre l’Italie et l’UE. Le fait que Giorgia Meloni ait choisi Bruxelles pour son premier voyage à l’étranger veut nous montrer que ces liens ne sont pas en danger, et nous donne l’espoir qu’ils continueront d’exister et de fonctionner encore longtemps.

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