Les commissions Environnement et Affaires économiques du Parlement européen se positionnaient sur un refus d’assimiler le gaz et le nucléaire à des énergies vertes dans le référentiel européen basé sur la science. Leur texte d’objection, ensuite soumis au Parlement en séance plénière, a été rejeté par 328 voix contre 278 mercredi 6 juillet. Les députés de gauche radicale, sociaux-démocrates et écologistes ont majoritairement voté contre l’inclusion du gaz et du nucléaire dans la taxonomie. Les autres, du centre à l’extrême droite, l’ont au contraire approuvée.
La taxonomie verte européenne, qu’est-ce que c’est ?
La taxonomie se définit comme la science des classifications. Initiée par la Commission européenne en 2018, l’idée de créer une taxonomie verte pour les activités économiques repose sur un principe simple : définir un seuil d’émissions de CO2 en-deçà duquel une entreprise sera considérée comme « verte ». La taxonomie verte européenne vise donc à mieux orienter le financement d’activités contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Cela permet de mesurer et de rendre transparente la part « verte » des activités d’une entreprise ou d’un produit financier, c’est-à-dire, la part pouvant être considérée comme durable sur le plan environnemental.
Un règlement définissant cette taxonomie européenne a été adopté en juin 2020. Dès la fin de l’année 2022, les entreprises devront publier sur leurs sites les informations concernant leur bilan carbone. Grâce à cela, les investisseurs pourront savoir si leurs placements favorisent ou non les objectifs du Pacte vert européen et de l’accord de Paris. Ils pourront décider d’orienter leurs financements en fonction de ces données.
Comment est établie la taxonomie verte européenne ?
Tout l’enjeu de la taxonomie verte européenne était de définir précisément les seuils d’émissions en dessous desquels les activités économiques sont considérées comme vertes, et de définir un vocabulaire commun. Un rapport technique rédigé par un groupe de 35 experts en mars 2020 proposait un indicateur et un chiffre clé : seules les activités émettant moins de 100g d’équivalent CO2 par kWh pouvaient entrer dans le cadre de la taxonomie verte. Ce seuil n’admettait par conséquent pas les secteurs liés aux combustibles fossiles solides, tel que le charbon, mais aussi le gaz.
Selon Climatebonds, le charbon émet environ 1 000 grammes d’émissions de CO2/kWh et le gaz plus de 500. Les experts ont estimé en ce qui concerne le nucléaire que même si très peu de gaz à effet de serre sont rejetés par cette énergie, il leur était impossible de savoir si « la chaîne de valeur ne cause pas de préjudice significatif à d’autres objectifs environnementaux sur les échelles de temps en question », comme « l’économie circulaire et la gestion des déchets, la biodiversité, les systèmes d’eau et la pollution ». Les experts ne recommandent alors pas d’inclure l’énergie nucléaire dans la taxonomie verte pour le moment.
Il existe encore deux autres catégories plus extensives. D’une part, il y a les activités de transition pour lesquelles il n’existe pas de solution de remplacement bas carbone, mais dont les émissions de gaz à effet de serre correspondent aux meilleures performances du secteur et qui s’inscrivent dans une trajectoire de décarbonisation. D’autre part, il y a les activités habilitantes, qui produisent de fortes émissions carbone mais permettent le développement de secteurs durables (permettant par exemple de fournir les composants ou les combustibles nécessaires à certaines filières).
En conclusion, une activité économique émettant plus de 100 grammes de CO2/kWh peut être intégrée à la taxonomie verte, lorsqu’elle vient en remplacer une autre au bilan carbone plus élevé encore. Cette nuance a eu beaucoup d’importance puisque la Commission européenne, dans sa proposition d’acte délégué du 31 décembre 2021, a décidé de considérer le gaz et le nucléaire comme des énergies de transition.
Par conséquent, même si l’utilisation du gaz pour produire de l’électricité doit toujours respecter le seuil de 100 grammes d’émissions de CO2/kWh, les centrales à gaz ayant obtenu leur permis de construire avant 2030 vont profiter d’un niveau d’émissions plus élevé. Ce niveau pourra alors atteindre 270 grammes d’émissions de CO2/kWh sous certaines conditions (passer à des gaz renouvelables ou à faible émissions de carbone avant 2036, si l’installation remplace une centrale existante très polluante…).
Pour ce qui est du nucléaire : il faut que les centrales nucléaires aient un permis de construire avant 2045 et que le prolongement des réacteurs déjà en place soit lancé avant 2040. De surcroît, des plans en matière de traitement des déchets et de démantèlement doivent être prévus.
La Commission, représentante de l’intérêt supérieur de l’Union européenne ?
L’acte délégué de la Commission européenne a été accusé de servir les intérêts de quelques pays, dont la France. La Commission européenne, chargée de préciser les contours finaux de la taxonomie verte, a dû composer avec la pression politique exercée par les États membres.
Lors du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021, les chefs d’État et de gouvernement avaient appelé l’exécutif européen à se prononcer sur la place du nucléaire et du gaz dans cette grille pour des investissements plus durables. Ursula von der Leyen avait alors déclaré à la suite de ce sommet : « nous avons besoin d’une source d’énergie stable : le nucléaire et, pendant une période de transition, bien entendu, le gaz ». De surcroît, la hausse généralisée des prix de l’énergie sur le continent a conduit, mi-octobre 2021, dix ministres d’États membres, dont la France, à publier une tribune défendant le nucléaire.
Le Luxembourg et l’Autriche, ayant abandonné le nucléaire dans les années 1970, ainsi que l’Espagne et le Danemark, rejettent quant à eux cette position. L’Autriche a, par ailleurs, confirmé très rapidement après le vote du Parlement européen, qu’elle saisirait la Cour de justice de l’Union européenne afin de faire annuler cette décision. Elle est soutenue dans sa démarche par le Luxembourg, l’Espagne et le Danemark.
Enfin, la veille du vote au Parlement européen, la ministre de la transition énergétique française, Agnès Pannier-Runacher, publiait une tribune commune avec les ministres de l’Énergie de Bulgarie, Croatie, Hongrie, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, Finlande, Pologne et République tchèque afin de défendre l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie.
L’inclusion du gaz et du nucléaire dans la taxonomie verte représente-t-elle l’effondrement du Pacte vert pour l’Europe ?
Pour Pascal Canfin (Renew Europe), président de la Commission environnement du Parlement européen ayant accordé son vote à l’inclusion du gaz et du nucléaire dans la taxonomie verte : « l’acte délégué est beaucoup plus strict pour le gaz que ce que je lis parfois ». Il précise qu’ « il ne peut entrer dans le champ de la taxonomie que s’il remplace le charbon, suit les meilleures technologies et uniquement jusqu’en 2030 ». Il souligne par ailleurs que le gaz et le nucléaire sont intégrés dans la catégorie transition et non pas dans la catégorie verte de la taxonomie et ajoute alors « cela correspond au fond à la réalité des besoins liés à la transition dans les différents pays européens ». Il conclut en indiquant que « cela va permettre d’accélérer à la fois la sortie du charbon et le développement des renouvelables ».
Pour les ONG environnementales en revanche, le fait d’inclure dans la taxonomie le gaz, quelles que soient les conditions, est en contradiction avec les engagements climatiques pris par l’Union européenne. Marta Toporek, juriste chez ClientEarth, spécialiste du droit environnemental européen affirme que « faire du gaz une énergie de transition via la taxonomie est en conflit avec toutes les réglementations sur le climat ». Pour l’association Greenpeace, cette décision représente un « permis de greenwashing » puisque les investissements privés dans le gaz et l’énergie nucléaire vont désormais bénéficier d’un label « vert », jusqu’alors réservé aux énergies renouvelables.
Même s’il est évident que l’Union européenne telle qu’elle est composée aujourd’hui, dans sa grande diversité d’États, nécessite une construction adaptée et progressive afin de ne laisser personne de côté, l’urgence climatique commande, quant à elle, d’accélérer plus ardemment la transition énergétique. Chaque territoire européen fait face à une succession de catastrophes naturelles provoquant des dégâts humains, économiques et environnementaux de plus en plus graves. Ce sont ces réalités que les acteurs politiques, économiques et financiers doivent prendre en compte dans leur prise de décision. Et pourtant, force est de constater que tel n’est pas le cas. L’Union européenne ne se hisse pas à la hauteur des objectifs qu’elle s’est fixés.
Ce vote sur la taxonomie montre que la majorité des députés européens est encore loin de vouloir radicalement changer de modèle. Mais est-ce le cas de ceux qui les ont élus ?
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