« Quand la tartine est plus grande et qu’on met moins de beurre, il faut étaler le beurre, on finit par ne plus le voir. Et bizarrement à la fin, ça a un goût de tartine ». C’est par ces mots surréalistes que notre président de la République a déclaré à la presse son opposition à l’élargissement de l’Union Européenne à l’Albanie et à la Macédoine du Nord. Angela Merkel a fait part de sa déception. Jean-Claude Juncker, qui a pris part personnellement dans le processus d’adhésion, a quant à lui, qualifié cette décision de « lourde erreur historique ». De même, le Parlement européen a voté une résolution, à 412 voix pour 136 contre et 30 abstentions, pour dénoncer ce veto, conjoint avec les Pays-Bas et le Danemark, et affirmer qu’il « entame la crédibilité de l’Union Européenne et envoie un message négatif aux autres candidats potentiels », alors que les deux pays des Balkans « avaient fait des progrès considérables ces dernières années et remplissaient les critères de l’Union Européenne pour le lancement des négociations d’adhésion ».
La dynamique d’élargissement : une nécessité stratégique
En effet, ce qui donne sa force d’attraction à l’Union Européenne, c’est la perspective qu’elle offre aux autres pays européens d’adhérer à son espace de prospérité et de respect de l’état de droit, pour peu qu’ils acceptent nos règles du jeu et soient nos alliés sur la scène internationale. Arrêter le processus d’adhésion de nouveaux membres du continent, c’est affaiblir le modèle qu’elle lui offre et qui fait sa puissance. Le risque est évidemment que ces pays rejoignent d’autres sphères d’influence : la Macédoine du Nord pourrait se tourner vers la Russie ou la Chine, l’Albanie en partie musulmane pourrait s’allier à la politique néo-ottomane d’Erdogan, qui pousse également ses pions en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo.
L’électoralisme de Macron
Le président français a pris cette décision pour des raisons électorales : il tente de faire remonter sa cote de popularité en faisant croire qu’il veut restreindre l’immigration, donc annoncer qu’il est en faveur de l’adhésion de l’Albanie, dont beaucoup de ressortissants tentent de gagner la France, le mettrait trop en porte à faux par rapport à son discours. Il expliquait d’ailleurs le 16 octobre : « Comment voulez-vous que j’explique à mes concitoyens que le deuxième pays qui demande le plus l’asile [politique] en France, ce sont des gens qui viennent de l’Albanie ».
L’élargissement n’est pas possible à budget européen constant
Cependant, on peut entendre l’argument d’Emmanuel Macron : refuser d’augmenter le budget de l’Union tout en accueillant de nouveaux membres est nuisible à la construction européenne. « Les mêmes qui nous disent la main sur le cœur "il faut élargir" sont ceux qui veulent un budget à 1 % », ajoute-t-il en visant l’Allemagne sans la nommer. Il craint, à raison, que l’Union ne se transforme « en marché à coordination faible », accentuant les déséquilibre et les écarts de dynamisme entre les territoires au lieu de les résorber.
En effet, les pays qui adhèrent à l’Union ont vocation à adopter l’euro. Or, une politique monétaire commune requiert une politique budgétaire commune suffisamment importante pour résorber les chocs asymétriques et contrer l’effet de polarisation des territoires que provoque la fin des barrières douanières et réglementaires. Sur ce point, le président de la République a raison, et l’Allemagne bloque l’intégration économique.
Elle n’a pas toujours eu cette politique, mais le laxisme budgétaire et le manque de sérieux d’un certain nombre de pays, dont la France, ont refroidi ses ardeurs et miné la confiance dans ses partenaires, à tel point que les investisseurs allemands préfèrent prêter leur épargne à des pays extérieurs à l’Union Européenne.
Plus que jamais, cette mauvaise gouvernance générale de l’Union Européenne montre à quel point elle ne peut se satisfaire du statu quo actuel, où les chefs d’Etat des différents pays votent à l’unanimité les grands choix politiques, et où un seul pays peut bloquer les autres. Une décision aussi importante que l’accueil d’un nouvel état-membre devrait être prise par la chambre basse à la majorité qualifiée, de même que le montant du budget communautaire.
Pour contourner le problème des dérives budgétaires de certains états, plutôt qu’un mécanisme intrusif qui serait mal vu des opinions publiques et qui ne respecterait pas suffisamment le principe de subsidiarité, il serait préférable de favoriser un transfert de compétences de plus en plus important en direction des régions, pour faire baisser le volume des budgets nationaux. Ainsi, une saine émulation inciterait chaque collectivité à proposer de meilleurs services collectifs pour un montant d’impôts plus faible, sur le modèle de la Suisse. La confiance pourrait revenir entre les états-membres, relançant la dynamique d’élargissement jusqu’à ce qu’elle englobe toute l’Europe géographique.
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