Le moteur franco-allemand de l’Europe

55 ans du traité de l’Elysée

, par Gesine Weber, traduit par Nicolas Romascanu-Drincourt

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Le moteur franco-allemand de l'Europe

Le 22 janvier 1963 fut signé le traité de l’Elysée entre l’Allemagne et la France. Depuis, 55 années se sont écoulées et la coopération franco-allemande reste une garante du succès des politiques européennes et est par conséquent, plus nécessaire que jamais.

Lors du discours pour une Europe souveraine, unie et démocratique le 26 septembre 2017, Emmanuel Macron a souhaité la signature d’un nouveau traité de l’Elysée. L’idée est la suivante : tout comme en 1963, la France et l’Allemagne se doivent d’élaborer un traité d’amitié et de coopération étendu afin de ne pas seulement se limiter à des initiatives bilatérales mais aussi pour faire avancer conjointement l’intégration européenne. Mais en raison de l’absence de gouvernement en Allemagne, le nouveau traité de l’Elysée est resté en suspens.

Ce qui aurait pu être un symbole fort gravé dans le marbre de l’engagement pris par l’Allemagne et la France dans l’approfondissement de l’intégration européenne doit désormais trouver une autre issue que celle du traité. Pourtant les deux pays sont d’accord que seule une coopération étroite est en mesure de réaliser leurs objectifs politiques européens réciproques.

De l’inimitié héréditaire au partenariat privilégié

La relation franco-allemande unique au monde est le résultat d’une longue histoire. Après de nombreux et sanglants conflits, l’inimitié ancestrale s’est transformée en amitié étroite entre les deux pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a aucun doute sur le fait que la coopération franco-allemande fût au départ beaucoup plus pragmatique que le résultat d’un soudain coup de foudre.

Formulée dans la célèbre déclaration Schuman du 9 mai 1950, l’idée fut d’éviter toute nouvelle guerre par la mutualisation de la production de charbon et d’acier entre les pays membres et ainsi de contrôler indirectement l’industrie de l’armement allemande, source de défiance majeure entre la France et l’Allemagne. Néanmoins, les deux états parvinrent à un accord ; ils fondèrent ensemble avec le Benelux et l’Italie la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).Ce faisant, le fonctionnalisme devint alors le modèle d’intégration européenne d’après la devise « form follows function » et engendra ainsi une structure institutionnelle s’attaquant aux problèmes concrets. Cette méthode s’appliqua non seulement avec succès à l’intégration européenne et dans les traités suivants mais également dans la coopération franco-allemande.

Le traité de l’Elysée du 22 janvier 1963 prévit les grandes lignes d’une coopération dans les domaines des affaires étrangères - européennes comprises -, de la défense et notamment sur les questions de la jeunesse ainsi que l’éducation. Les réalisations concrètes du traité - par l’institution de rencontres à échéances régulières - permirent par exemple la fondation des organisations de la jeunesse franco-allemande, de sorte que la France et l’Allemagne se rapprochèrent aussi bien au niveau politique qu’au niveau social. Aujourd’hui, 55 ans après la signature du traité entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, l’Allemagne ne connaît aucune autre nation avec des liens aussi étroits que la France : la coordination sur presque tous les sujets politiques est très étroite. La réponse aux questions et crises européennes se fait presque toujours de manière commune. Ainsi, l’importance de l’empreinte franco-allemande se reflète en Europe à travers le Conseil européen, qui fut créé par les deux pays, tout comme à travers l’instauration de la monnaie unique et le rôle joué par la France et l’Allemagne dans l’élargissement aux pays de l’Est.

« Rien ne se réalise lorsque la France et l’Allemagne ne sont pas favorables »

L’année 2016 a permis de montrer à quel point la coopération franco-allemande est importante durant les temps sombres traversés par l’UE. Les ministres des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et Franck-Walter Steinmeier ont répondu au Brexit par une déclaration conjointe et dans le domaine de la défense, Ursula von der Leyen et Jean-Yves Le Drian ont présenté des solutions communes. Afin de mieux pouvoir traiter les questions d’intégration des immigrés et réfugiés, la France et l’Allemagne ont décidé de créer un conseil franco-allemand d’intégration. Tout particulièrement, les négociations du Format de Normandie impliquant la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine ont montré que le couple franco-allemand agit avec succès également dans les situations politiques les plus compliquées, lorsque l’UE n’était pas en mesure de répondre aux exigences.

En effet, les initiatives franco-allemandes furent et sont encore bien souvent un modèle à suivre dans les décisions européennes communes ultérieures. Quand bien même les points de vue soient fondamentalement différents dans certains domaines, les chances de parvenir à un accord au sein du Conseil de l’UE restent fortes lorsque la France et l’Allemagne réussissent à s’entendre, même sur les questions sensibles. D’un côté, l’Allemagne et la France comptent parmi les états les plus peuplés de l’UE. Il est donc difficile de parvenir à la majorité qualifiée de 65%, lorsque France et Allemagne votent contre, puisqu’ils représentent près de 30% de la population européenne. D’un autre côté, un accord négocié entre la France et l’Allemagne sur un projet particulier réussit souvent à convaincre d’autres pays auparavant hostiles à ce même projet.

Le moteur franco-allemand sans nouveau traité de l’Elysée

Un nouveau traité de l’Elysée est-il véritablement nécessaire pour faire avancer la coopération entre France et Allemagne au service de l’intégration européenne ?

Le fait que l’Allemagne et la France réussissent à coopérer depuis plus de 50 ans et aboutissent par exemple à la création d’un conseil d’intégration franco-allemand sans nouveaux pactes prestigieux de coopération démontre que le nouveau traité de l’Elysée aurait surtout une valeur symbolique, tandis que la poursuite d’objectifs politiques communs entre la France et l’Allemagne peuvent se réaliser par d’autres chemins.

Cela étant, un nouveau traité de coopération aurait le potentiel de rapprocher les deux pays dans des domaines élémentaires et relevant traditionnellement de la souveraineté nationale comme la politique étrangère. Une collaboration dans ce domaine pourrait attester que les pays membres fondateurs de l’UE ont reconnu que seule une coopération avec d’autres états est en mesure d’assurer un rôle notable sur la scène internationale.

Emmanuel Macron aurait dû cependant prendre en considération davantage que l’effet symbolique : il est conscient que la réalisation de son programme européen a besoin du soutien de son partenaire allemand. Dans le même temps, Angela Merkel n’affiche pas en ce moment une politique européenne entreprenante. Concernant le nouveau traité de coopération, Macron aurait volontiers escompté placer la chancelière dans un rôle actif plutôt que réactif. En fin de compte, Angela Merkel a semblé prendre position contre la signature d’un traité de l’Elysée cette année. Les initiatives franco-allemandes de Macron vont donc certainement avorter en raison de l’absence de gouvernement allemand. Aussi longtemps que le gouvernement fédéral est un simple gestionnaire, les négociations en vue d’initiatives politiques innovantes resteront lettres mortes, bien qu’un consensus au-delà des partis politiques sur la coopération franco-allemande existe.

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