Les théoriciens du complot vont avoir du travail ! Accusée de propager la Covid-19 ou de modifier notre ADN, la 5G n’en finit pas d’alimenter les rumeurs les plus folles, et déjà, voici que la 6G pointe le bout de son nez. Dans le même temps, les interrogations sur la sécurité du réseau 5G des entreprises faisant le choix de passer par l’équipementier chinois Huawei ainsi que l’impact environnemental de cette nouvelle technologie sont au cœur d’un débat public marqué en Occident. Si les États-Unis ne disposent plus d’aucun géant dans le monde des télécommunications et doivent se résigner à demander aux européens Nokia et Ericsson d’équiper leur territoire, l’Union européenne, la Chine (Huawei) et la Corée du Sud (Samsung, LG) sont toujours présents sur ce marché en expansion. Ces deux États et l’UE se livrent actuellement une course à l’ultra haut-débit, devant déboucher sur la mise en place du réseau 6G d’ici à l’horizon 2030-2040. Les États-Unis, totalement dépassés dans le développement de la 5G, ont tout de même lancé le programme « Next G Alliance » porté notamment par T-Mobile, Verizon, Google et Apple, associant les entreprises européennes Nokia et Ericsson ainsi que l’entreprise sud-coréenne Samsung. De son côté, l’UE a annoncé le 8 décembre 2020 le lancement du projet de recherche : « Hexa-X ».
Un défi à la fois technologique et politique
Mais alors, à quoi bon développer la 6G alors même que la 5G n’est disponible que dans quelques villes et régions européennes ? Les raisons sont multiples mais tiennent principalement à une lutte menée par les grandes puissances mondiales pour s’assurer la domination technologique dans le secteur ultra-stratégique des télécommunications. Autrefois, l’adage disait : « qui contrôle les mers contrôle le monde », aujourd’hui on pourrait remplacer « les mers » par « les télécommunications ». La vitesse des communications sans fil à l’heure du « tout-connecté » a des applications extrêmement importantes dans les domaines économiques, militaires et scientifiques. La 6G devrait proposer des fonctionnalités extrêmement novatrices : anticipation de nos besoins, téléchargement de données à un débit de 1Tb/s (contre 1Gb/s pour la 5G), temps de latence quasi-inexistants, réduction du matériel hors-sol (antennes, câbles, transformateurs) afin d’éviter tout risque de coupure etc…Les chercheurs travaillent actuellement à la définition de cette nouvelle technologie qui pourrait modifier considérablement notre rapport à « la machine ». L’objectif de la 6G n’est ainsi pas seulement d’améliorer le débit mais de comprendre nos attentes et nos besoins de demain tout en s’intégrant mieux à notre environnement direct (en évitant notamment la multiplication des antennes).
Si la recherche en est encore au stade de la définition de ce que devrait être la 6G, le politique, lui, en est à l’étape des grands discours et déploie un soft-power ambitieux afin de défendre son hard-power dans le domaine technologique. En lançant le « programme Hexa-X » l’UE répond ainsi avant tout aux ambitions chinoises et au discours américain porté notamment par Donald Trump pour défendre l’échec cuisant des États-Unis dans la course à la 5G. L’idée est d’apparaître comme le premier pays à se lancer dans la recherche d’une nouvelle technologie ou d’annoncer devenir le premier pays à déployer cette technologie. C’est ce qu’avait fait David Cameron en annonçant lorsqu’il était Premier Ministre que « Le Royaume-Uni sera le premier pays à déployer la 5G ». La bataille de la 5G étant désormais derrière nous, la même stratégie de soft-power alimentant un hard-power se déploie désormais concernant la 6G. Adrian Scrase, expert des télécommunications parle d’une « ruée sur l’avenir ».
Une vision européenne de la 6G : compétitive, sûre et durable
Le projet « Hexa-X » caractérise à merveille cette « ruée sur l’avenir ». Lancé par l’Union européenne et financé par la Commission au travers du programme Horizon 2020, « Hexa-X » témoigne des ambitions européennes de rester une grande puissance technologique. La future 6G européenne aura six caractéristiques principales : une intelligence virtuelle permettant de relier les informations les unes aux autres pour en retirer un besoin spécifique, le croisement des données des différents réseaux afin, là aussi, d’en retirer des variables constantes, une 6G respectueuse des critères de développement durable fixés par le Green New Deal ainsi qu’un débit ultra-rapide 1Tb/s et une absence de latence. Le projet de 6G de l’UE prévoit également d’être le plus compétitif du marché afin de se déployer mondialement et d’être le réseau 6G le plus fiable et le plus respectueux de la vie privée de ses utilisateurs. À l’heure où de très forts doutes demeurent sur la fiabilité et la sécurité du réseau 5G chinois, l’UE pourrait ici tirer son épingle du jeu.
En proposant, au travers de l’actions d’entreprises, de chercheurs et de laboratoires européens, la création d’un réseau 6G européen, l’Union européenne tient à inscrire son nom au rang des super-puissances technologiques du XXIe siècle. Le projet « Hexa-X » nous donne à voir une vision européenne des hautes-technologies : novatrices, ambitieuses, sûres et respectueuses de la vie privée et de l’environnement. La Commission, les entreprises et laboratoires de recherche des Etats membres ont désormais entre dix et vingt ans pour proposer un projet de réseau 6G pouvant faire face aux ambitions chinoises et américaines en la matière. Au-delà d’un défi technologique, c’est aussi pour l’UE une occasion en or de défendre son modèle démocratique et ses valeurs.
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