Aux yeux de la Suissesse que je suis, cette proposition ne peut que sonner positivement. En effet, en votant en moyenne quatre fois par année sur des sujets aussi variés que la redevance radio et télévision, le nouveau régime financier 2021 ou l’instauration de six semaines de congés payés par année, impossible de ne pas revendiquer le droit de tout citoyen à pouvoir s’exprimer sur les décisions prises dans son pays.
Cependant, il s’agit de ne pas idéaliser cette manière de procéder. Tout d’abord, le système suisse diffère quelque peu de celui proposé par les « gilets jaunes ». En effet, les 5,5 millions d’électeurs helvètes ont trois moyens de s’exprimer : l’initiative populaire (proposer une loi ; 100’000 signatures doivent être récoltées dans un délai de 18 mois), le référendum facultatif (demander qu’une loi votée par l’Assemblée fédérale soit soumise au vote populaire ; 50’000 signatures doivent être récoltées dans les 100 jours qui suivent la publication de la loi) et le référendum obligatoire (modification constitutionnelle décidée par le Parlement, ce qui signifie que le peuple est obligatoirement consulté). Pour plus d’information à ce sujet, voir l’article détaillé du Monde diplomatique.
Si les « gilets jaunes » ont proposé plusieurs types de référendum, l’exemple dont on parle le plus est celui qui se rapproche de l’initiative populaire. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cet outil n’est pas le plus aisé à manier. Tout d’abord, le taux de réussite est assez faible. Ainsi, entre 2002 et 2015, seuls 10 textes sur 53 ont été acceptés par le peuple. Par ailleurs, il n’est pas rare que les sujets soient plutôt farfelus – « Interdiction d’abattre le bétail de boucherie sans l’avoir préalablement étourdi », « Interdiction d’écorner les vaches », « Interdiction de survol des zones touristiques par les avions de combat à réaction » – ou très extrêmes – « Pour le renvoi effectif des étrangers criminels », « Contre la construction de minarets », « Contre l’immigration de masse ».
Ainsi, les initiatives les plus complexes de ces dernières années sont souvent venues de l’Union Démocratique du Centre (UDC), parti d’extrême droite. A titre d’exemple, son initiative « contre l’immigration de masse » acceptée le 9 février 2014 à une courte majorité avait été particulièrement difficile à mettre en œuvre. En effet, elle exigeait l’ajout d’un article constitutionnel contraire à la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE) et ne pouvait être appliquée sans mettre en péril tous les accords signés entre les deux entités. Il avait fallu trois ans d’âpres négociations pour que les membres du Parlement se mettent d’accord sur une solution « light » que personne n’avait contestée (car oui, un référendum aurait pu être lancé contre la loi d’application de l’initiative populaire).
Dans le débat qui secoue actuellement la France, il ne faut donc pas oublier que le RIC n’est pas une baguette magique, que les délais sont longs entre l’idée et le vote et que, bien sûr, lancer un référendum signifie également savoir le perdre ou se satisfaire de la proposition du législateur. Toutefois, c’est aussi un formidable instrument de démocratie, qui a permis aux citoyens suisses de pouvoir faire avancer leur pays plus loin que le gouvernement ne l’aurait fait. Pour l’environnement (« Pour des aliments produits sans manipulations génétiques »), pour l’égalité (« Contre les rémunérations abusives »), pour l’international (« Pour l’adhésion de la Suisse à l’Organisation des Nations Unies (ONU) ») et surtout… pour la paix sociale.
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