Un vent étoilé souffle sur Podgorica
Les Monténégrins ont confirmé ce qu’ils avaient exprimé lors du dernier scrutin présidentiel : à bas les vieux partis ! Et c’est particulièrement le DPS (Parti démocratique des socialistes) qui est visé, lui qui dominait le pays depuis son indépendance en 2006, notamment par son président historique Milo Đukanović. En totalisant 23,2% des voix (soit 12 points de moins qu’il y a deux ans), le parti enregistre le pire score de son histoire. Avec 21 députés, il perd un tiers de ses sièges au Parlement. Dans la dynamique de sa victoire à la présidentielle de mars-avril dernier, “l’Europe maintenant !” (Evropa sad !) réussit son entrée au Parlement : un peu plus d’un quart des électeurs ont mis son nom dans l’urne, lui assurant 24 sièges. Un exploit pour ce parti né l’an dernier. Du côté des alliances, les conservateurs proches de Belgrade divisent leur score par deux en totalisant 14,3% des suffrages et 13 représentants, les socio-écolos-libéraux du Premier ministre sortant convainquent seulement 12,5 % des électeurs alors que les socialistes-conservateurs s’effondrent juste au-dessus de la barre des 3%. Suit ensuite le parti ethnique bosniaque qui double son score (6 sièges), devant des Albanais et Croates éparpillés.
Le taux de participation vient cependant assombrir le tableau : plus de trois quarts des électeurs s’étaient déplacés en 2020, c’est un plus d’un sur deux cette année (56,2%). Pourquoi cet effondrement ? L’électorat du DPS s’est-il démobilisé, anticipant la défaite ? La vague pro-européenne annoncée a-t-elle découragé ? Cette chute mérite l’attention des autorités.
Vainqueur inédit de ces législatives, la formation “L’Europe maintenant !” doit maintenant constituer des alliances pour engager le pays vers une stabilité politique propice à toute volonté de réforme. Et de stabilité, le Monténégro en a besoin. Une loi votée en 2020 autorisant la nationalisation des biens de l’Église orthodoxe, très liée au patriarcat serbe avait servi de catalyseur contre le gouvernement laïc du DPS. Les tensions autour de l’adhésion du pays à l’OTAN ainsi que les multiples scandales de corruption impliquant l’indéboulonnable président Đukanović avaient fini de rallier la majorité du pays contre ses élites. Les Monténégrins semblent enclins à accélérer l’adhésion de leur pays à l’UE, ce qui se retrouve dans les programmes de la quasi-totalité des partis politiques du pays. Le chemin du Monténégro vers Bruxelles est encore long et semé d’embûches, d’autant que l’Union européenne se montre frileuse quant à son élargissement dans les Balkans. La corruption et l’État de droit sont ainsi les difficultés principales du pays, et que l’on retrouve chez tous les autres candidats. Néanmoins, l’intégration européenne constitue rarement un ciment suffisamment puissant pour bâtir une coalition gouvernementale. De ce point de vue, l’exemple bulgare sera particulièrement scruté puisque deux partis ennemis sont parvenus à s’allier et donc mettre fin à une crise politique majeure, mais à quel prix ?
La difficile émancipation de l’opposition
La coalition de l’opposition issue du scrutin de 2020 s’était bâtie sur l’aspiration à l’apaisement et au changement. Zdravko Krivokapić avait réuni un gouvernement d’experts soutenus par les formations pro-serbes et pro-UE. Seulement, une fois la révision de la loi sur les propriétés de l’Église (en faveur de cette dernière) adoptée, les tensions ont vite ressurgi. L’intégration européenne, trop éloignée, n’a pas réussi à cimenter l’alliance. Pour rappel, seuls les chapitres relatifs à la “Science et recherche”, “Éducation et culture” et “Relations internationales” ont été validés dans le processus d’adhésion, trois chapitres sur 33 au total.
L’ambitieux chef de file des écologistes Dritan Abazović a manœuvré avec les élus du DPS, cantonnés à l’opposition, pour faire tomber le gouvernement et diriger une nouvelle alliance minoritaire avec les minorités et le soutien, sans participation, du parti présidentiel. Seulement, les ennemis de nos ennemis ne sont pas toujours nos amis, les électeurs avaient montré leur “ras-le-bol” du DPS, et cette nouvelle manœuvre politicienne ne convainquait personne : difficile de lutter contre la corruption avec le soutien d’un parti gangrené par ce mal. Le vote d’une loi encore plus favorable aux intérêts de l’Église locale sert de prétexte cette fois-ci de renverser le gouvernement : le Monténégro entre alors dans une grave crise politique avec une Cour constitutionnelle qui ne fonctionne pas faute de consensus politique, un gouvernement intérimaire, un Président qui bloque la nomination d’un candidat au poste de premier ministre… Il faudra de nombreuses pressions internes et extérieures pour convaincre Milo Đukanović de dissoudre le Parlement et convoquer de nouvelles élections législatives, deux jours seulement avant sa défaite cuisante au scrutin présidentiel. En effet, les Monténégrins ont refusé d’accorder un nouveau mandat à l’homme fort de Podgorica. C’est Jakov Milatović, l’économiste chef de file d’Europe maintenant ! qui accède à la fonction suprême, lui qui avait déjà remporté le fauteuil de maire de la capitale en 2020 mais dont l’élection n’avait pu être validée en raison de la vacance de la Cour constitutionnelle.
En août 2020, au profit d’une participation record (76,6% d’inscrits) le DPS avait reculé de plus de 6 points pour réunir 35% des voix et obtenir 30 sièges au Parlement, soit 6 de moins qu’en 2016. L’alliance conservatrice pro-serbe “Pour le futur du Monténégro” faisait figure de grand vainqueur du scrutin : près d’un tiers des électeurs lui avaient fait confiance, en hausse de 12,5%. Ils obtenaient 27 députés. Du côté des europhiles, la coalition “La paix est notre nation” se stabilisait autour de 12,5% des suffrages (10 sièges) quand les écologistes en obtenaient 4 et les sociaux-démocrates 3.
Dans un contexte de tensions géopolitiques, institutionnelles mais aussi économiques quelque soit sa couleur, le nouveau gouvernement aura à répondre rapidement aux inquiétudes des Monténégrins.
Suivre les commentaires : |