Le SCAF : mythe ou réalité émergente ?

, par Louis Pernotte

Le SCAF : mythe ou réalité émergente ?
L’avion de combat Eurofighter Typhon, appelé, comme le Rafale français, à être remplacé par le dispositif du SCAF. Source : pixabay

Le 30 août dernier, la ministre française des Armées, Florence Parly, son homologue allemande Annegret Kramp Karrenbauer et Esperanza Casteleiro Llamazares, secrétaire d’Etat espagnole à la défense, ont paraphé un accord intergouvernemental permettant le développement d’un démonstrateur du SCAF d’ici 2027 ( système de combat aérien du futur) pour un montant total de 8 milliards d’euros. Cet accord a été arraché de haute lutte après d’âpres négociations franco-allemandes qui butaient sur les questions de propriété intellectuelle et sur l’aspect très national des programmes militaires. Retracer les méandres du programme SCAF est primordial afin de saisir les implications de l’accord du 30 août 2021 pour la défense européenne et comprendre le chemin encore semé d’embûches jusqu’au décollage de la première escadrille de New Generation fighters.

Le SCAF, quésaco ?

Le SCAF a été lancé en 2017 par Emmanuel Macron et Angela Merkel en même temps que l’Eurodrone et le MGCS, respectivement le drône MALE (moyenne altitude, longue endurance) européen et le char de combat du futur franco-allemand. L’Espagne a rejoint le projet SCAF en décembre 2020. Le programme sera mené par l’avionneur français Dassault ainsi que ses homologues Airbus Defence and Space et Airbus Espagne. Le SCAF n’est pas qu’un Eurofighter ou un Rafale 2.0. Il s’agit d’un système de combat intégré réunissant un essaim de drones (les remote carrier), un avion ( le NGF, new generation fighter ), le tout lié à un cloud (réseau de ressources informatiques) de combat et faisant un usage abondant d’intelligence artificielle. Le futur aéronef de 6ème génération, non content d’être totalement furtif, sera apte au combat collaboratif. Si tout se déroule comme prévu, le SCAF est censé être admis au service actif à l’horizon 2040 et y rester jusqu’en 2080.

Une petite partie du chemin a été parcourue, 300 millions d’euros ont, d’ores et déjà, été dépensés, pour un coût total estimé entre 50 et 80 milliards d’euros par un rapport sénatorial. Il s’agissait jusqu’ à cette année d’étudier les besoins opérationnels des trois armées ainsi que de réfléchir à différentes architectures du système SCAF. Le projet est entré cette année dans une phase d’accélération. En effet, les trois Etats parties prenantes se sont accordées pour la construction d’un démonstrateur du NGF qui devrait voler en 2027. Cette séquence se décompose en deux temps, la phase 1B de 2021 à 2024 et la phase 2 jusqu’en 2027. La phase 1B correspond à la sélection d’une architecture globale pour le SCAF et à sa conception approfondie tandis que la 2 doit aboutir à la réalisation concrète d’un démonstrateur. L’accord signé en août dernier correspond à la réalisation de ces deux étapes.

Cependant, celui-ci n’a été possible qu’à la suite d’un passage sous les fourches caudines de la commission budgétaire du Bundestag qui ne s’est pas gardée de poser certaines conditions, notamment une avancée parallèle du MGCS, le char du futur sous leadership allemand ( le SCAF consacre quant à lui une prééminence française). Si la commission a accepté de débloquer 1,3 milliards d’euros pour la phase 1B, elle a également exigé que le décaissage de fonds pour la phase 2 soit soumis à son approbation. Il est, toutefois, improbable que la commission budgétaire bloque un programme d’armement qui répond à un impératif militaire certain.

Pourquoi le SCAF ?

Un des motifs sous-jacents au lancement et à la poursuite du SCAF est d’éviter le remplacement à terme des Eurofighter et des Rafale de conception européenne par le F-35 américain. D’abord, l’achat d’un avion américain de 5ème génération conduirait automatiquement à la perte des compétences accumulées en Europe en matière d’aviation de combat et donc à un affaiblissement considérable de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne. Les sénateurs Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret adressent le même avertissement dans un rapport de 2020 : “La France renoncerait ainsi à son autonomie stratégique. Elle renoncerait également à une partie de sa base industrielle et technologique de défense alors qu’elle est l’un des trois seuls pays, avec les États-Unis et la Russie, à pouvoir réaliser entièrement un avion de combat.”

L’Allemagne semble partager les mêmes craintes, puisqu’à ce jour elle ne prévoit pas d’accéder au rang d’acheteur de F-35, malgré sa proximité avec Washington. En effet, le F-35 présente également de nombreux inconvénients. Son interopérabilité avec d’autres modèles d’aéronefs est, en effet, très faible et rend difficile la coordination avec les alliés, notamment dans le cadre de l’OTAN.

En dépit de ces préoccupations communes, les trois pays, et particulièrement la France et l’Allemagne, ont des intérêts assez divergents dans le programme SCAF comme le pointe le rapport sénatorial de 2020. Pour la France, il s’agit de donner un nouveau projet d’avion à Dassault et Safran et de moderniser l’Armée de l’air dans une perspective opérationnelle. A l’inverse, l’Allemagne et l’Espagne cherchent à monter en compétences dans le domaine de la production d’avions de combat et bénéficier du savoir-faire français en la matière. Pour Berlin, le programme est au moins autant commercial que militaire et permettrait, on le devine, de développer des modèles d’avion en mesure de concurrencer les productions françaises notamment en matière de motorisation.

Des négociations franco-allemande placées sous le signe de la défense des intérêts nationaux

Du fait de ces intérêts industriels divergents, les négociations ont été des plus longues et difficiles notamment sur la question cruciale de la propriété intellectuelle des innovations. Il s’agissait d’abord de protéger le background des entreprises engagées dans le projet. Le background se définit comme les technologies déjà existantes qui pourront servir dans le cadre du SCAF. L’objectif est d’éviter que ce savoir-faire ne tombe aux mains des industriels partenaires et puisse servir à concurrencer l’entreprise qui possède ces technologies à l’origine. Cette inquiétude était particulièrement prégnante du côté français. Dassault, Safran et Thalès qui possèdent une avance technologique non négligeable sur leurs homologues allemands EADS et MTU. Le second enjeu en matière de propriété industrielle est la réglementation de l’utilisation du foreground, les innovations que le projet SCAF aura permis de faire émerger. L’Allemagne a, d’ailleurs, émis des doutes sur les questions de propriété intellectuelle par la voix de l’Office des achats de la Bundeswehr. Pour l’Office, la propriété intellectuelle issue du programme SCAF doit inclure toutes les technologies employées y compris celles qui préexistaient ou on été développées dans un cadre national. Les industriels français se sont évidemment opposés à ces demandes allemandes, ce qui a particulièrement fait durer les négociations.

La répartition des tâches pour la réalisation du contrat de démonstration a été une autre pomme de discorde entre les trois pays. L’organisation adoptée est structurée autour de six piliers que sont le New generation fighter, les remote carriers, la furtivité, le cloud de combat, les propulseurs et les capteurs. Chacun de ces piliers est placé sous la direction d’un industriel chef de file. Dassault a ainsi obtenu d’être le maître d’œuvre de l’avion et Safran du moteur. Les autres piliers sont répartis entre allemands et espagnols.

Un projet viable ?

Des incertitudes pèsent encore sur la viabilité et la réussite ou non du programme SCAF comme l’indiquent les sénateurs Conway-Mouret et Le Gleut dans leur rapport. Les technologies d’intelligence artificielle, de connectivité, de capteurs, de furtivité ou encore de missiles hypervéloces sont, en effet, en perpétuelle évolution et l’avion court ainsi le risque d’être déjà dépassé lors de sa sortie en 2040 en raison d’une conception déterminée deux décennies auparavant. Les deux parlementaires préconisent ainsi une prise en compte des technologies émergentes tout au long du projet. Cependant, pour atteindre la frontière technologique avec le SCAF, un problème de taille risque de se poser à l’industrie aéronautique européenne. Les deux avions que sont l’Eurofighter et le Rafale ont été conçus dans les années 1980 et font partie de la 4ème génération d’aéronefs de combat. A l’inverse, le SCAF ouvrira la 6ème génération d’aéroplanes. Il y a donc un important fossé technologique entre les deux générations qu’il s’agira de combler, les Européens n’ayant pas produit de modèle d’avion de 5ème génération.

Par ailleurs, l’exportabilité du SCAF suscite les interrogations. En effet, un projet concurrent d’avion de 6ème génération, le Tempest , est mené par le Royaume-Uni, l’Italie et la Suède. Les contrats d’études ont été paraphés cet été par les trois pays. Ce projet devrait aboutir à l’horizon 2035 et ainsi limiter les débouchés potentiels à l’export du SCAF. Le rapport sénatorial préconise, à ce titre, d’associer un maximum de pays européens au cours du projet afin d’assurer des débouchés à l’export et ainsi la viabilité économique de ce projet des plus coûteux.

Un projet vital pour la construction d’une industrie de défense européenne

La réalisation du SCAF peut constituer un catalyseur pour la construction d’une industrie de défense plus unie à l’échelon européen. En effet, ce projet, par sa dimension transnationale, implique de nombreux sous-traitants qui seront, de fait, incités à coopérer. Cette opinion est d’ailleurs partagée par le délégué général à l’armement Joël Barre pour qui le SCAF peut agir comme une véritable locomotive vers l’européanisation de l’industrie de défense. En outre, les industries de défense française et allemande représentent 40% des producteurs d’armements européens à elles deux et ont, donc, une réelle capacité d’entraînement vis-à-vis du reste de l’industrie de défense européenne.

Le programme SCAF entre, d’ailleurs, pleinement en résonance, avec les dernières avancées pour développer une base industrielle et technologique de défense véritablement européenne comme le Fonds européen de défense, adopté en avril 2021. Ce nouvel instrument de financement, doté de 8 milliards d’euros, sera dédié au financement de projets d’armements transnationaux avec pour objectif d’améliorer l’interopérabilité des équipements militaires européens ainsi que la cohésion de l’industrie de défense européenne. On peut espérer que le SCAF en bénéficiera puisque la condition sine qua non pour bénéficier de la manne communautaire est que le programme d’armement rassemble au moins 3 entreprises issues de 3 pays différents, condition à laquelle le SCAF répond parfaitement.

En résumé

Le SCAF répond à un besoin présent des industries aéronautiques militaires européennes de concevoir un nouveau modèle d’avion pour ne pas perdre en compétence. Il est ainsi indispensable pour développer une autonomie stratégique européenne. Cependant, la défense des intérêts industriels nationaux a été au cœur des négociations franco-germano-espagnoles, au même titre que la répartition des différents éléments du projet entre les constructeurs. Même s’il est bien avancé, le SCAF rencontrera encore de nombreux obstacles avant sa pleine réalisation en 2040. Il doit repasser devant la commission budgétaire du Bundestag, mais aussi s’adapter à des technologies de pointe en perpétuelle évolution et enfin faire face à la concurrence du Tempest. Malgré tout, le projet paraît bien engagé, puisque l’Allemagne a choisi de remplacer en 2020 ses avions Tornado dépassés par des F18 américains ainsi que des Eurofighter. C’est un bon signe pour le SCAF puisqu’ainsi l’Allemagne ne signe pas pour des F-35 destinés à rester en service jusque dans les années 2070 et auraient donc rendu le SCAF superflu.

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