Le sport, outil de fédéralisme européen ?

, par Jérôme Flury

Le sport, outil de fédéralisme européen ?
En tennis, la Laver Cup est un affrontement entre l’Europe et le reste du monde Source : Wikimédia Commons

C’est un projet qui fait parler : des clubs belges et néerlandais songent sérieusement à créer un championnat de football commun aux deux pays. Ce n’est pas la première fois que le sport apparaît comme terrain d’entente pour les Européens de nationalités différentes.

Et pourquoi pas une « BeNeliga » ? Le 23 janvier dernier, onze grands clubs de Belgique et des Pays-Bas se sont retrouvés à Eindhoven pour lancer l’idée d’un championnat commun. La fédération néerlandaise s’appuie sur une étude de faisabilité pour souligner le « potentiel sportif et économique » d’un projet qui semble bien singulier.

Les compétitions rapprochent

Le sport peut rassembler les nations. La pandémie de coronavirus a malheureusement causé le report du prochain championnat d’Europe de football. Mais celui-ci avait été voulu comme une édition anniversaire, pour célébrer les soixante ans de la création du tournoi. Symboliquement, l’Euro 2020 devait ainsi se dérouler du 12 juin au 12 juillet dans 12 villes de 12 pays européens différents. Parmi les cités retenues, Saint-Pétersbourg en Russie et Bakou, en Azerbaïdjan. L’Union des associations européennes de football (UEFA), créée en 1954, rassemble en effet 55 pays membres, bien plus que l’Union européenne.

Le sport peut ainsi réunir le continent et des tournois ont même été créés pour opposer l’Europe au « reste du monde ». C’est ainsi que des images de l’Espagnol Rafael Nadal et du Suisse Roger Federer, partenaires d’un jour et tout sourire, se sont répandues après la troisième victoire de « l’équipe d’Europe » en trois éditions de la Rod Laver Cup de tennis. Un événement unique et spectaculaire, qui s’inspire notamment de l’exemple donné par le golf.

« Très heureux d’apporter ma contribution pour la Team Europe. Nous avons un formidable esprit d’équipe » - Rafael Nadal

En 2014, au moment des élections européennes, le site Slate met en avant la Ryder Cup, « rare sommet sportif à créer une identité européenne ». Cette compétition ancienne qui oppose l’Europe aux Etats-Unis permet par un « effort commun » d’unir les Européens dans un « véritable destin collectif ».

Le temps d’un week-end, « l’Europe devient une réalité concrète » et les douze joueurs qui composent la sélection du vieux-continent sont encouragés par des supporters tous liés par les mêmes couleurs, un drapeau bleu et un cercle d’étoiles. La dernière édition, en 2018, s’est déroulée en France, après avoir pris place en 2014 en Ecosse, en 2010 au Pays-de-Galles ou en 2006 en Irlande.

En 2018, la sélection continentale comprenait des joueurs issus de six pays différents, qui se sont imposés devant 50 000 spectateurs. Cette nouvelle victoire européenne a donné lieu à d’intenses scènes de liesse. Cette sélection européenne de golfeurs existe depuis 1979 et ses neufs derniers capitaines avaient une nationalité différente. Un symbole d’inclusion et de fraternité, et un réel intérêt sportif car cette sélection du vieux continent tient la comparaison avec les Etats-Unis.

Un nationalisme triomphant

Cette idée de la compétition sportive comme possible trait d’union fédérateur entre les pays peut sembler surprenante. En effet, le sport est profondément nationaliste dans son essence. Hymnes - qui doivent être chantés à gorge déployée par les sportifs et les spectateurs - et maillots floqués des logos, tableaux de médailles à chaque compétition et drapeaux flottants partout dans les stades, les épreuves contribuent à une mise en avant du sentiment d’appartenance à un pays.

C’est particulièrement le cas aux Jeux Olympiques, où chaque nation tente de finir à la meilleure des places, menées par ses athlètes et leur porte-drapeau, qui affichent fièrement leurs couleurs et versent fréquemment des larmes lorsque leur hymne retentit.

Depuis quelques années, les athlètes russes font l’objet de mesures après que des cas de dopage aient été relevés. Suspendus pendant un premier temps, certains ont tout de même pu concourir à des événements tels que les championnats du monde d’athlétisme en 2017. Mais les 19 athlètes russes repêchés sur critères individuels pour cette compétition faisaient partie d’une équipe « neutre ». Ce qui veut dire que Mariya Lasitskene, devenue championne du monde cette année en tant que « Authorized neutral athlete », n’a pas pu entendre son hymne, ni voir son drapeau hissé sur le podium. La seule solution trouvée par l’Association internationale des fédérations d’athlétisme, qui privait les athlètes de certaines émotions. Et le nationalisme surgit fréquemment dans le sport, comme lors du match de la coupe du monde 2018 entre la Suisse et la Serbie. Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka célèbrent ainsi un but… en mimant l’aigle albanais avec leurs mains.

L’historien britannique Eric Hobsbawm est revenu sur le phénomène sportif dans la construction nationale : « Ce qui donna au sport une efficacité unique comme moyen d’inculquer un sentiment national, du moins pour les hommes, c’est la facilité avec laquelle les individus les moins politisés et les moins insérés dans la sphère publique peuvent s’identifier à la nation symbolisée par des jeunes qui excellent dans un domaine où presque tous les hommes veulent réussir ou l’ont voulu à une époque de leur vie. »

Le sport en fédérateur

Pourtant, le sport peut être rassembleur. Claude Sobry est revenu dans un livre publié en 2003 sur l’intérêt européen pour le sport. « L’Union européenne s’est intéressée pour la première fois au domaine du sport à l’occasion du Conseil européen de Fontainebleau de juin 1984. Lors du sommet de Milan de 1985, les chefs d’Etats ont invité la Commission européenne à faire naître, notamment grâce au sport, une véritable conscience européenne chez les citoyens de la Communauté. »

C’est avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, que pour la première fois, l’Union européenne acquiert une compétence en matière sportive. L’article 6 dispose ainsi que « l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres » et cite nommément le sport dans ses prérogatives.

Alors, jouons ensemble ! Aujourd’hui, il existe déjà des clubs qui évoluent dans le championnat national voisin. C’est le cas des équipes de football des villes galloises de Swansea ou Cardiff qui prennent part au championnat anglais, ou de certaines équipes italiennes qui disputent la ligue celtique de rugby avec des formations galloises, écossaises et irlandaises. Mais aussi de certains clubs amateurs espagnols qui participent aux championnats organisés par les districts français pyrénéens. Les sept clubs du Liechtenstein, dont Vaduz, la capitale, jouent avec les clubs suisses. Un club d’Irlande du Nord, le Derry City FC, évolue dans le championnat d’Irlande, fait inédit. Et le cas le plus célèbre est peut-être celui de Monaco, sacré champion… de France en 2017, devant le Paris Saint-Germain.

Oublier le poids des nations et des frontières et pratiquer ensemble les mêmes disciplines, en suivant les mêmes règles. Le sport pourrait être source d’inspiration dans d’autres domaines.

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