Le très long chemin des Balkans occidentaux vers l’UE

, par Théo Boucart

Le très long chemin des Balkans occidentaux vers l'UE
Pristina, la capitale du Kosovo, un pays reconnu par seulement 114 membres de l’ONU et par 23 membres de l’UE Photo : Jeffrey Beall - CC BY-SA 2.0

Cet article n’est pas contre l’intégration en soi des pays des Balkans occidentaux mais il développe une argumentation en faveur d’un processus qui prendra de nombreuses années, tant les défis politiques, sociaux et économiques semblent difficilement surmontables à l’heure actuelle.

L’instabilité politique de la région est la dernière chose dont l’UE a besoin

De nombreuses organisations internationales comme l’UE, l’ONU et l’OTAN définissent les « Balkans occidentaux » comme une région englobant six pays (la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine et l’Albanie) et une entité reconnue par une partie seulement de la communauté internationale (le Kosovo). L’ancienne province serbe peuplée majoritairement d’Albanophones a proclamé son indépendance en février 2008, mais n’est toujours pas reconnue comme État souverain par cinq pays membres de l’UE : l’Espagne (indépendantismes régionaux obligent), la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et Chypre. Le Kosovo est également le seul État à ne pas être (encore) candidat à l’adhésion à l’UE, tous les autres pays le sont, avec des degrés d’avancement des négociations divers (la Croatie est quant à elle membre de l’UE depuis 2013).

La Bosnie-Herzégovine est certes un État souverain reconnu par tous, mais c’est un pays sous perfusion, non viable sans l’aide internationale et notamment celle de l’Union européenne (via son instrument de préadhésion, le pays étant officiellement reconnu comme candidat pour rejoindre l’UE depuis septembre 2016). Jean-Claude Juncker a récemment affirmé que « si l’UE disparaissait, il y aurait une guerre en Bosnie-Herzégovine ». [1] Il apparaît très clairement que la situation politique de la région est très instable. Deux entités dont l’existence pérenne n’est pas assurée (le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine), deux autres États fragilisés par des troubles politiques et des tensions ethniques et nationalistes (la Macédoine et la Serbie), un État gangréné par la corruption (l’Albanie). Seule la Croatie est membre de l’UE et le Monténégro est le mieux placé pour être le prochain chanceux dans la région. Néanmoins, en pleine période de convalescence après de nombreuses crises économiques et sociales, l’UE peut-elle se permettre d’intégrer à court ou moyen terme des États dont la démocratie est si peu stabilisée ? Sa relative impuissance face aux dérives autoritaires de la Pologne et de la Hongrie laisse perplexe.

Une région toujours déchirée par les nationalismes

Loin de régler la question des nationalités opprimées, la dislocation de la Yougoslavie a emporté la région dans des guerres sanglantes dont la plus meurtrière a été celle de Bosnie-Herzégovine (près de 100.000 morts en trois ans et demi). [2] La cause principale de tous ces conflits a été le déchaînement des passions nationalistes et l’irrédentisme serbe. Tout cela a laissé une terrible empreinte sur les sociétés, farouchement jalouses de leur identité nationale, malgré le fait que les Croates, les Serbes, les Monténégrins et les Bosniens possèdent une langue que beaucoup considèrent comme commune. [3]

Le côté le plus sombre du nationalisme s’est encore manifesté en novembre dernier avec la condamnation du Serbe de Bosnie Ratko Mladić à la prison à perpétuité pour crimes contre l’Humanité et génocide. Une partie des Serbes, en particulier ceux vivant dans la République serbe de Bosnie, soutient toujours le « boucher des Balkans ». Un soutien largement relayé par les médias et les responsables politiques. [4] Toutes ces réactions font écho à des manifestations qui s’étaient déjà tenues contre l’arrestation de Ratko Mladić en 2011. Le peuple serbe est particulièrement divisé sur le statut de ce criminel, ce qui est un mauvais signe en vue d’une future adhésion de la Serbie ou de la Bosnie-Herzégovine à l’Union européenne.

La question sulfureuse du nationalisme s’exprime également chez les albanophones du Kosovo et de Macédoine. Mitrovica-Mitrovicë, dans le nord du Kosovo, est devenue l’archétype de la ville divisée en fonction des communautés, Serbes ou Kosovars, alors que la coexistence a longtemps été pacifique. [5] En Macédoine, les tensions entre les albanophones (qui représentent 25% de la population du pays) et la majorité macédonienne (qui, en fonction des points de vue, parle soit un dialecte, soit une langue proche du bulgare) conduisent à des blocages politiques. [6]

L’une des régions les plus pauvres du continent européen (et de loin)

L’instabilité politique, administrative ainsi que le problème brûlant du nationalisme ont tous un impact sur la situation économique des pays concernés. Les réformes économiques tardent et les IDE sont bien moins importants que dans d’autres régions de l’Europe centrale et orientale (seule la Croatie a tiré son épingle du jeu). Résultat : les Balkans occidentaux sont en moyenne beaucoup plus pauvres que la Roumanie et la Bulgarie, eux-mêmes les pays les plus pauvres de l’UE. Alors que le PIB nominal par habitant bulgare s’élevait en 2016 à 7370 dollars, il était d’environ 5300 dollars en Serbie et en Macédoine, 4300 dollars en Bosnie-Herzégovine et 4200 dollars en Albanie. Pour rappel, ce même classement estimait le PIB nominal par habitant en France à plus de 38.000 dollars… [7]

Le plus grand défi économique de l’Union européenne reste la convergence entre les économies des pays membres pour le bon fonctionnement du marché unique. Cela implique que les agrégats macroéconomiques ne soient pas trop divergents, d’autant plus que l’adoption de l’euro est un acquis communautaire (chaque nouvel État membre a l’obligation d’adopter à terme la monnaie unique) et que la crise des dettes souveraines a précisément tiré son origine d’une trop grande divergence macroéconomique entre les membres de la zone euro. Pourquoi alors intégrer des pays trop faibles économiquement et dont la structure économique est encore trop différente ? Les effets des réformes demandées par Bruxelles prendront du temps à apparaître, malgré de bons résultats concernant les niveaux de dettes publiques.

Le spectre d’une UE définitivement ingouvernable

Si l’ensemble des Balkans occidentaux (y compris le Kosovo) était intégré à l’UE, cette dernière compterait 34 membres (ou 33 sans le Royaume-Uni), ce qui est vraiment trop. Le système législatif de l’Union européenne, ce mélange entre la majorité qualifiée (compliquée à atteindre) et l’unanimité (très compliquée à atteindre) rend l’Union difficilement gouvernable. Le Traité de Lisbonne a tenté de fluidifier le travail législatif des institutions, s’inscrivant dans une dynamique de réponse à l’élargissement à l’Est initiée avec le Traité d’Amsterdam. Les adhésions des Balkans occidentaux nécessiteraient à coup sûr une révision de la pondération des voix au Conseil, de la répartition des députés et des commissaires européens. Cela ne rendrait-il pas l’UE encore plus « ingouvernable » ? La priorité à donner au projet européen n’est-elle pas enfin l’intégration en lieu et place de l’élargissement ? L’Europe à plusieurs vitesses ne peut pas être la fin ultime de l’UE, au risque de sa dislocation pure et simple. La perspective d’une intégration réussie à un horizon envisageable de la Serbie, de la Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de la Macédoine, de l’Albanie et du Kosovo semble extrêmement incertaine. La région souffre de plusieurs maux, instabilité politique, faiblesse économique, regain de tensions nationalistes. Si l’action de l’UE est indispensable à la survie des Balkans occidentaux, il ne faut pas les intégrer trop rapidement, au risque d’une désorganisation de l’Union. Il y a néanmoins fort à parier que la Bulgarie, qui assure la présidence tournante du Conseil jusqu’au 1er juillet 2018, veut avancer sur le sujet.

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Notes

[1Juncker prévient les États-Unis d’un risque de guerre dans les Balkans si l’UE s’effondre https://www.euractiv.fr/section/politique/news/juncker-to-us-if-the-eu-collapses-there-will-be-war-in-balkans/

[2Selon le Parlement Européen et le Centre de documentation et de recherches de Sarajevo

[3Le Monde diplomatique : la langue sans nom des Balkans https://www.monde-diplomatique.fr/2017/07/DERENS/57651

[7Classement du FMI en 2016

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