Une opposition et des journalistes placés sur écoute
Depuis le 5 août, le gouvernement grec et le service national de renseignement sont impliqués dans un scandale d’écoutes. Ces dernières auraient visé Nikos Androulakis, eurodéputé (S&D) et chef du parti de l’opposition de centre-gauche PASOK, le troisième parti dans le pays, ainsi que plusieurs journalistes. Cette mise sur écoute aurait notamment été permise grâce au spyware Predator, développée par l’entreprise Cytrox, déjà épinglée par le passé pour la surveillance d’opposant dans d’autres pays.
Le Premier ministre Mitsotákis, président du parti Nouvelle Démocratie et vainqueur des élections législatives en juillet 2019, aurait fait placer les services de renseignement sous son autorité directe dès son arrivée au pouvoir, comme le révèle Stelios Kouloglou, ancien eurodéputé du groupe de gauche GUE/NGL. Dans un podcast « Beyond the byline » d’EURACTIV, ce dernier déclare : « Jusqu’en 2019, le contrôle des services secrets faisait partie du ministère de l’Intérieur. Mais ensuite, il (le Premier ministre, ndlr) a changé la loi, et il l’a seulement changée pour nommer comme chef des services secrets nationaux une personne qui n’avait pas les qualifications nécessaires ».
Comme un air de déjà-vu au sein de la République hellénique
Il s’agit du troisième cas de surveillance présumée en Grèce depuis février. En plus du chef du parti d’opposition, cette surveillance aurait également concerné des journalistes, notamment Stavros Malichudis, journaliste grec d’investigation travaillant sur les questions migratoires, et Thanasis Koukakis, journaliste grec spécialisé en affaires financières. Au moment où ces journalistes auraient été sous surveillance, ils préparaient des articles sur la corruption et les réfugiés. À chaque fois, le gouvernement s’est dédouané en excluant « toute implication de l’État ».
S’inquiétant de la liberté d’expression et craignant que ce scandale ne concerne en réalité plus de monde, l’opposition a sommé le gouvernement de faire la lumière sur les raisons de cette mise sur écoute. Mais jeudi 8 septembre, lors d’une audition de la commission chargée d’enquêter sur l’utilisation des technologies de surveillance (PEGA) du Parlement européen, les autorités grecques ont suspendu l’enquête. Invoquant les intérêts de la « sécurité nationale », le gouvernement a refusé jusqu’à présent de révéler les raisons de cette surveillance. Le Premier ministre Mitsotákis a quant à lui déclaré qu’il n’était pas au fait de la mise sous surveillance du leader socialiste.
Un gouvernement fragilisé avant les élections législatives de 2023
À mesure que la scandale grandit et dans la foulée de ces révélations, qui ont ébranlé le parti au pouvoir, deux hauts fonctionnaires ont démissionné à la suite de la plainte de Níkos Androulákis. C’est d’abord le directeur des services grecs du renseignement, Panagiotis Kontoleon, qui a démissionné le 5 août, suivi du secrétaire général des services du Premier ministre, Grigoris Dimitriadis, qui n’est autre que le neveu du chef du gouvernement. Il a par ailleurs depuis porté plainte contre le quotidien grec Efimerida ton Syntakton, aussi appelé Efsyn. Depuis l’éclatement du scandale, le gouvernement de M. Mitsotákis a déclaré ne pas avoir acheté Predator, mais a admis que les services secrets espionnaient « légalement » le leader socialiste.
Lundi 29 août, l’opposition a voté l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire spéciale sur les responsabilités du premier ministre, Kyriákos Mitsotákis, dans ce scandale d’Etat. La présidente du pays, Ekateríni Sakellaropoúlou, avait exigé un « éclaircissement immédiat », assurant que « la protection du secret téléphonique était une condition fondamentale d’une société démocratique ».
Cette affaire éclate presque un an avant les prochaines élections législatives en Grèce, prévues pour juillet 2023, qui doivent renouveler le Voulí, le Parlement grec. En janvier 2022, le gouvernement avait déjà échappé à une motion de censure déposée par l’opposition, nourrie par le mécontentement grandissant d’une opinion publique excédée par la réponse aux catastrophes naturelles et à la pandémie de Covid-19. Fin août, un Conseil ministériel avait également approuvé la nomination de Marianthi Pagouteli comme Vice-présidente du Conseil d’État, pourtant épinglée pour des propos antisémites déclarant dans un blog « qu’Hitler n’ait pas complètement exterminé les juifs ». L’accumulation de ces affaires ne finit pas de fragiliser le gouvernement, qui devra se confronter à la réalité des urnes dans moins d’un an.
Une affaire qui écorne l’image de la Grèce sur la scène internationale
Ces révélations et ces démissions ont profondément écorné l’image de la Grèce sur la scène internationale et européenne. Pour se justifier, des sources gouvernementales ont soutenu que ces écoutes avaient été demandées par les services de renseignement ukrainiens et arméniens… Affirmation que les ambassades d’Ukraine et d’Arménie ont fermement dément, ce qui n’a pas manqué de détériorer encore plus l’image et la crédibilité de la Grèce.
Thanasis Koukakis, un journaliste d’investigation dont le téléphone a également été mis sur écoute par Predator, a déclaré à EURACTIV qu’il enquêtait sur des affaires de criminalité financière lorsqu’il était sous surveillance. Pour M. Koukakis, cette affaire est symptomatique de la situation de la liberté de la presse en Grèce. « Ce qu’il est important de souligner, c’est que mon cas révèle à quel point la défense des droits civils dans une démocratie européenne peut devenir fragile. Et avec quelle facilité, grâce à tous ces logiciels espions hyper sophistiqués, les gouvernements et d’autres parties peuvent violer ces droits », a-t-il conclu. Reporters sans Frontières classe en effet la Grèce 108 ème sur 180 pour la liberté de la presse, faisant de la Grèce le dernier États-membres de l’Union européenne dans ce classement.
Au niveau européen, les réactions ne se sont pas faites attendre. Qualifiant la situation d’« inacceptable », Anitta Hipper, la porte-parole de la Commission, a rappelé que les Etats membres devaient « superviser et contrôler leurs services de sécurité pour s’assurer qu’ils respectent pleinement les droits fondamentaux ». Bruxelles avait déjà mentionné l’espionnage des deux journalistes dans son rapport sur l’Etat de droit du 13 juillet, et avait demandé aux autorités grecques de faire toute la lumière sur l’affaire. En dépit de ces alertes, l’affaire des écoutes n’a pas été abordée lors de la visite officielle de M. Mitsotákis à Paris le 12 septembre. D’après Giorgos Katsambekis, chercheur au Centre national pour la recherche sociale d’Athènes, le scandale des écoutes, après celui des refoulements illégaux de migrants menés depuis plusieurs années par les autorités grecques, est le signe d’une tendance croissante à l’autoritarisme dans le pays.
Cette affaire n’est pas sans rappeler l’affaire Pegasus, divulguée en juillet 2021 par un consortium de médias d’investigation, révélant qu’une dizaine d’États avaient espionné des journalistes et hauts responsables politiques. Le leader du PASOK s’est adressé au Parlement européen le 6 octobre dernier en compagnie d’autres eurodéputés, victimes du logiciel espion eux aussi.
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