Comment vous envisagez de permettre à l’Europe d’être capable d’agir pour les défis du 21ème siècle ?
Le plus grand défi au 21ème siècle est celui de maintenir une planète habitable pour nous, les humains. Les signaux environnementaux et climatiques sont au rouge : sur les 9 limites planétaires identifiées par les scientifiques, 6 sont déjà dépassées. Les grands processus qui conditionnent et régulent la vie sur Terre sont en risque d’emballement imminent. Il est temps de façonner une Europe prospère, socialement juste et écologiquement viable, capable d’agir durablement pour la paix.
Nous avons besoin de l’échelle européenne pour mener des politiques structurantes dans cette nouvelle réalité. Nous avons besoin d’outils démocratiques à l’échelle européenne pour construire notre avenir en fonction de nos valeurs de droits, de démocratie et de liberté. L’Union européenne doit ainsi être capable de décider sur les aspects structurants notamment sur la politique extérieure et de sécurité commune, la politique économique, la politique écologique, la protection des habitants et des habitantes. De plus, l’Union doit réformer son fonctionnement pour être prête à accueillir de nouveaux membres. Une Europe forte est aussi une Europe qui laisse de l’autonomie aux Etats et aux Régions membres sur leurs compétences. La République fédérale européenne permet d’assurer à la fois des décisions européennes démocratiques et efficaces et le respect de l’autonomie et de la diversité des membres.
C’est pour cela que nous avons soutenu le rapport du Parlement pour proposer la réforme des traités. Nous tenons notamment à la mise en place d’une assemblée constituante qui permettrait de mettre fin au droit de véto des États, de conférer le droit d’initiative législative au Parlement comme c’est le cas dans n’importe quelle démocratie parlementaire, de positionner la Commission comme un véritable gouvernement dont le nombre de membres dépendrait des sujets à traiter et pas des Etats à représenter. Nous continuons ainsi à pousser le système de têtes de liste européennes avec la désignation de Bas Eickhout et Terry Reintke lors de notre congrès à Lyon.
Pour financer une politique européenne structurante et ambitieuse, nous demandons depuis des années que l’Union bénéficie d’un budget à la hauteur. Avec le premier emprunt européen, l’Union s’est engagée dans la voie des ressources propres et des emprunts communs. Ce saut fédéral est indispensable si nous voulons faire face au défi climatique et environnemental : les moyens financiers nécessaires que la capacité d’engager collectivement, au niveau européen, des projets de bifurcation écologique sont indispensables.
Comment l’Europe peut-elle poursuivre une transition écologique et sociale juste ?
L’Agence internationale de l’Énergie le dit, plus nous agirons tôt et investirons dans la bifurcation écologique, plus la transition sera facile, bénéfique, et aux coûts et aux effets maîtrisables. Pour ces raisons, si le mandat européen précédent a permis des avancées, obtenues grâce à la mobilisation et à l’engagement des jeunes lors des marches climat et aux bons résultats des écologistes aux élections de 2019, les ambitions européennes doivent être rehaussées et s’accompagner, enfin, de mesures concrètes pour transformer notre modèle économique. L’économie est la mère de toutes les batailles.
Lors de la prochaine mandature, nous nous battrons pour que l’Europe se donne les moyens d’atteindre la neutralité climatique dès 2040 et non pas 2050 comme visé actuellement.
Dès lors, nous devons faire les investissements nécessaires pour préserver et transformer l’économie européenne. Les chantiers de la transition juste sont colossaux : le besoin d’investissements publics supplémentaires d’ici 2050 pour être cohérent avec l’ambition européenne de neutralité carbone est de l’ordre de 260 milliards de dollars par an au sein de l’UE [1], soit 1,6% du PIB actuel de l’UE (et ce calcul repose déjà sur la capacité à réorienter les investissements européens et nationaux déjà prévus vers la décarbonation).
La bataille écologique n’a de sens que si elle se fait au bénéfice de tou
te s. Pour cela, nous voulons réactualiser le projet européen à l’aune d’un plafond environnemental à ne pas dépasser et d’un plancher social à garantir. C’est l’imbrication des impératifs de justice et d’écologie, qui conditionne toutes nos mesures. Tous les besoins fondamentaux doivent être assurés (alimentation, logement, eau, énergie, mais aussi éducation, égalité des sexes, justice, santé, etc…) et en parallèle nos consommations, infrastructures, politiques, doivent respecter les limites planétaires.C’est la raison pour laquelle, j’ai proposé de mettre en place un droit de véto social pour contraindre la Commission à faire des études d’impact sur les 10% les plus pauvres pour chacune des ses propositions de lois et permettre de stopper les directives qui malgré le processus législatif auraient des effets néfastes sur ces personnes. Le principe “ne laisser personne de côté” doit impérativement revêtir une dimension contraignante.
Les mesures que nous portons sont donc la combinaison d’un soutien et d’une amélioration de vie pour les plus précaires et d’une limitation des impacts environnementaux. Par exemple, nous portons une tarification progressive de l’énergie, pour qu’un minimum soit possible pour tous
te s et que les excès soient coûteux. Nous proposons également un ticket climat pour rendre les transports plus accessibles tout en incitant à de nouvelles pratiques décarbonées. Nous pousserons pour une politique massive de rénovation des logements pour améliorer le confort de vie, baisser la facture d’énergie et diminuer les pertes de chaleur, donc les émissions inutiles d’énergie.Ces mesures parmi d’autres, seront financées par une contribution des plus riches et principaux responsables, grâce à un ISF climatique, l’encadrement d’utilisation des jet privés et SUV, une taxation du kérosène, ou encore de faire participer les industries pollueuses à la dépollution de nos milieux des substances toxiques et la restauration de la nature.
La transition écologique doit nous permettre de relocaliser notre économie, de créer de l’emploi, de revitaliser les territoires et de vivre bien, et en bonne santé, dans la justice sociale.
Comment l’Europe peut-elle devenir une actrice de la paix mondiale dans un monde déstabilisé et en guerre ?
Le déclenchement, le 22 février 2022, de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine a changé la donne pour l’Union européenne. Tandis que nous alertions depuis 20 ans, avec les Etats de l’est de l’Union frontaliers de la Russie, sur le danger que représentait notre dépendance à la Russie pour notre approvisionnement en gaz, en engrais, en uranium (naturel et enrichi) ou en pétrole… l’Union dans son ensemble, et en particulier le couple franco-allemand, nous a enfermé dans une relation économique “privilégiée” avec le régime de Poutine et ainsi lié les mains. Le moment venu, les dirigeants qui ont tout fait pour éviter d’agir devront répondre de leurs actes. Aujourd’hui, l’Union doit à la fois s’affirmer comme une puissance garante de la paix, de l’intégrité du territoire et du projet européen, et comprendre que l’écologie est un chemin durable pour la paix parce que nous devons sortir de nos dépendances toxiques. Ce d’autant plus que le dérèglement climatique et la disparition des ressources constituent des menaces majeures pour la paix dans le monde.
L’Union européenne est régulièrement et aujourd’hui encore prise en défaut. Elle a failli à protéger les habitants du Haut-Karabagh de l’épuration ethnique engagée par le dirigeant azéri Aliev, avec lequel elle a signé des accords gaziers. Elle peine aujourd’hui à se faire entendre pour œuvrer à une paix juste et durable entre Israël et la Palestine, quand les représailles de Netanyahou sont condamnées par la justice internationale pour leur disproportion et les violences qu’elle entraîne auprès des populations civiles. L’Union européenne doit d’urgence réclamer un cessez-le-feu immédiat et permanent, la libération sans conditions des otages, et secourir les populations de la bande de Gaza. Elle possède d’outils diplomatiques majeurs, qui doivent être activés.
Nous voulons développer un continuum de politique extérieure, de défense et de sécurité commune avec une approche stratégique pluridimensionnelle incluant à la fois les actions militaires et civiles, les actions préventives et réactives, le court et le long-terme, les approches conventionnelles et hybrides et les instruments centrés sur les Etats et ceux centrés sur la société. Cette approche, portée par des membres de la Commission, doit être soumise à la supervision du Parlement pour que nos représentants puissent participer à la ligne diplomatique, les interventions extérieures ou les fonds européens déployés. Nous voulons également mettre en place et renforcer les temps d’entraînement commun d’une force de déploiement de 5000 personnes.
L’Union doit participer à l’établissement d’un ordre mondial fondé sur l’Etat de droit, les droits humains et le respect des libertés fondamentales, ainsi que des échanges équitables mettant fin aux dépendances des pays des Suds, afin de promouvoir la paix et la sécurité. Notre soutien au principe du droit international et au multilatéralisme est une façon de contrecarrer les politiques de puissance et la compétition mortifère entre Etats qui sont particulièrement inquiétantes depuis l’invasion russe de l’Ukraine et les discours agressifs de la Chine. L’Union a également un rôle à jouer pour mettre fin aux exportations d’armes vers les pays en guerre ou susceptibles de cibler les civils. La Cour de Justice de l’Union doit être impliquée en cas de violation des règles d’exportations avec une transparence sur les exportations d’armes des pays de l‘Union.
En conclusion, le projet européen que nous portons en tant qu’écologiste s’appuie sur une vision fédéraliste qui permet de garantir notre sécurité qu’elle soit face au dérèglement climatique ou face à des politiques de puissance. C’est seulement en articulant ces approches que nous pourrons construire un monde désirable et habitable.
“Par Marie Toussaint, et l’équipe de la liste aux élections européennes des Ecologistes (EELV)”
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