Les enjeux environnementaux de la mer Noire

, par Andreea Camen

Les enjeux environnementaux de la mer Noire
La mer noire prise depuis l’espace. Photo : Pixabay

Celle que l’on considère comme étant l’une des plus grandes mers intérieures du monde, avec une superficie de 436 402 km² et un volume de 537 à 555 000 km³ est une étendue d’eau unique : pratiquement fermée, la mer Noire peut atteindre une profondeur maximale de 2212 mètres.

Profil hydrologique

Cette grande cuve est alimentée par le Danube, le Dniepr, le Don, le Dniestr, et le Kizil Irmak. Étant originairement un grand lac, envahi par la Méditerranée il y a 9 000 ans, la mer Noire est fortement dessalée entre 0 et 200 mètres de profondeur. Au-delà des 200 mètres, les eaux froides et plus salées sont quasi-immobiles, à cause de leur densité, ce qui explique l’existence d’un phénomène que l’on appelle l’euxinisme (ou anoxie) : les couches profondes sont appauvries en oxygène, et enrichies en hydrogène sulfuré, d’origine bactérienne.

La présence de boues putrides sur le fond marin est compensée par la relative bonne conservation des nombreuses épaves qui y existent : la pauvre présence en oxygène de l’eau permet une bonne conservation du bois, du fer ou du cuir.

Ce phénomène d’anoxie irait en s’aggravant, avec la diminution constante des débits d’eau arrivant des différents fleuves qui l’alimentent. Il explique, aussi, la pauvreté biologique de la mer Noire où cohabitent seulement 167 espèces de poissons et 42 espèces d’amphipodes benthiques. Toutefois, la mer Noire permet d’y pêcher environ 400000 tonnes de poissons par an, et est riche en gaz et pétrole.

Six pays se partagent l’accès à celle que les Grecs appelaient Pont Euxin : la Bulgarie, la Géorgie, l’Ukraine, la Roumanie, la Russie, et la Turquie. Ensemble, ils sont engagés dans diverses actions et programmes, en faveur de la protection de cette mer, qu’ils partagent.

Profil écologique

Du fait de la présence de nombreuses usines côtières, d’installations nucléaires, d’exploitations pétrolifères et gazifères, de stations balnéaires, mais aussi du déversement de déchets divers (issus de l’agriculture, des eaux usées, de la consommation et de l’industrie), la mer Noire subit une forte tension environnementale.

A cette liste, nous pouvons ajouter l’activité portuaire, la pression du trafic maritime, l’existence de bases militaires et, dernière mais pas des moindres, la pollution due au plastique.

Cette pollution est aussi complétée par la présence d’espèces invasives telles que la méduse américaine, introduite dans les années 80’ par des navires militaires. Enfin, pour compléter le tableau, la fonte des hydrates de méthane contenus dans les sédiments marins a été constatée récemment : le phénomène de salinisation que connaît la mer depuis l’invasion de la Méditerranée, augmentant du fait de la baisse des débits d’eau douce a pour effet de les faire fondre. Les scientifiques craignent une libération de méthane estimée entre 40 et 200 milliards de m³, causant une forte toxicité de l’eau, et menaçant toutes les espèces qui y vivent.

Ces divers phénomènes, largement dus à l’activité humaine ont pu être quantifiés par une équipe de chercheurs dans le cadre de l’étude Revealing the secrets of the Black Sea, cofinancée par l’Union Européenne et le Programme des Nations Unies pour le développement (programme EMBLAS). Dans un seul échantillon d’eau ont pu être détectées 145 substances polluantes, pour un total de 2 100 substances. La présence de ces substances est expliquée par les différentes sources de pollutions précitées.

Nous ne pouvons, par conséquent, que constater que les différents pays côtiers ont un développement insoutenable : les pratiques agricoles sont intensives, et on a pu y observer la présence d’engrais interdits en France ; les côtes se développent de manière non-durable (sur-construction sur les plages, destruction des dunes, privatisation des terres), les déchets, qu’ils soient de consommation ou industriels, y sont souvent directement déversés. Enfin, l’activité pétrolière et la présence de gazoducs et oléoducs augmentent le risque d’accidents et de marées noires. Au vu de ces différents éléments, nous sommes en droit de nous demander si les pays côtiers ont mis des actions en place, pour inverser la tendance et, sinon réparer, du moins freiner les effets de l’activité humaine sur la mer Noire.

La mer Noire, sous observation internationale

Entre 1970 et 1995, une forte dégradation écologique a été observée dans la partie occidentale de la mer Noire : des fuites et des rejets imputables aux transports maritimes, rejets municipaux, écoulements de rivières et dégazages de pétroliers ont été constatés.

Ces phénomènes ont conduit les pays, au sortir de la Guerre Froide, à s’unir sous la Convention de Bucarest, signée en 1992 et au sein de laquelle l’Union Européenne y tient un rôle d’observateur depuis l’adhésion de la Bulgarie et la Roumanie. Cet outil est complété par deux déclarations ministérielles : la Déclaration d’Odessa, signée le 7 avril 1993, la Déclaration de Sofia, signée le juin 2002 et un plan d’action stratégique pour la réhabilitation et protection de la mer Noire validé le 31 octobre 1996.

Cette Convention pour la protection de la mer Noire a été signée quelques mois avant le premier Sommet de la Terre à Rio et a pour but de protéger la mer intérieure contre la pollution et ses effets.

Plus précisément, elle impose aux Parties contractantes de prendre toutes mesures utiles en vue de réduire et contrôler la pollution de la mer, afin d’y protéger et préserver le milieu marin, la biodiversité et les ressources qui y vivent. La mise en œuvre de la convention est placée sous la surveillance de la Commission pour la protection de la mer Noire contre la pollution, basée à Istanbul.

Ces outils régionaux ont été complétés par d’autres actions et programmes, européens comme internationaux : du fait de l’adhésion de la Bulgarie et la Roumanie à l’Union Européenne, la mer Noire est entrée dans le champ d’application de la politique environnementale de l’Union Européenne.

Par conséquent, la Commission bénéficie du double secours de l’ONU (via le Programme des Nations Unies pour le Développement) et de l’Union Européenne pour produire annuellement des études ou, plus généralement, mettre en œuvre des plans d’actions stratégiques.

A titre d’exemple le projet EMBLAS (Environmental Monitoring of the Black Sea) est un projet co-géré et co-financé par l’UE et l’ONU et a pour objectifs spécifiques :

 D’améliorer la disponibilité et le partage des données environnementales de chaque programme national ou régional s’inscrivant dans la directive-cadre de stratégie pour le milieu marin et la directive-cadre sur l’eau (outils juridiques européens), ainsi que dans le programme intégré de surveillance et d’évaluation de la mer Noire (outil onusien) ;

 Soutenir les actions conjointes visant à réduire les déchets fluviaux et marins dans le bassin de la mer Noire ;

 Sensibiliser aux problèmes environnementaux majeurs et accroître l’engagement citoyen en vue de la protection de la mer Noire ;

La plus récente étude du programme, précitée, a mis en avant l’état catastrophique de la mer Noire et a tiré la sonnette d’alarme, invitant les pays côtiers à prendre des mesures fortes, en vue de préserver, autant que faire se peut, la mer Noire. Bien que liés par de nombreux instruments internationaux, ils ne semblent pas se saisir de l’urgence.

Lorsqu’on a en tête le contexte national de chacun de ces pays, où chacun se contemple avec méfiance, il semble en effet difficile d’envisager une action jointe, à six, pour réparer l’impact anthropocène sur cette mer régionale.

A une époque où la Russie et la Turquie ont entrepris la construction d’un gazoduc, inauguré en janvier 2020, permettant l’acheminement de 31,5 milliards de m³ de gaz, dans le but principal de contourner l’Ukraine, nous sommes tentés de penser que les intérêts géostratégiques et les alliances bilatérales prennent le dessus sur les enjeux environnementaux.

Ces priorités, couplées à la faible culture environnementale des riverains, n’aident pas à apercevoir un avenir radieux pour l’une des plus grandes mers intérieures du monde.

Toutefois, l’augmentation des initiatives de certaines ONG, présentes sur les côtes pour sensibiliser la population, nous donne un peu d’espoir.

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