29 mai : arrestation de Sergueï Tsikhanovski
Depuis quelques années, le Bélarus connaît une crise économique latente que la pandémie de coronavirus n’a fait que renforcer. Pourtant, peu nombreux étaient ceux qui arrivaient à recueillir les témoignages des Bélarusses impactés par la mauvaise conjoncture. Sergueï Tsikhanovski était l’un d’entre eux. Le célèbre blogueur parcourait le pays pour interroger les habitants, leur donnant ainsi un moyen d’exprimer leur désarroi vis-à-vis de la politique de Loukachenko.
Un président que Tsikhanovski n’avait pas hésité à qualifier de « cafard ». Une comparaison peu flatteuse pour l’homme fort de Minsk, puisqu’un cafard est un nuisible qu’il faut éradiquer avec une pantoufle. Le blogueur a donc fini par inciter ses compatriotes à écraser avec des pantoufles le « cafard Loukachenko ». Un « trouble à l’ordre public » inacceptable pour le régime, qui a finalement arrêté Tsikhanovski le 29 mai, alors que celui-ci avait récolté suffisamment de signatures en vue de l’élection présidentielle du mois d’août. La « révolte des pantoufles » et la « révolution anti-cafard » ont toutefois continué avec des rassemblements début juin.
19 juin : arrestation de Viktor Babaryko
Si Sergueï Tsikhanovski était un opposant sérieux à Alexandre Loukachenko, Viktor Babaryko était un adversaire redoutable. A la tête de la banque Belgazprombank jusqu’en mai, date à laquelle il s’est lancé en politique, Babaryko se présentait comme le « défenseur des petites entreprises » et critiquait haut et fort l’incompétence et la dangerosité de Loukachenko. En plus d’être une menace pour l’autocrate bélarusse, il pouvait s’enorgueillir d’une forte popularité : alors qu’il faut le parrainage de 100000 citoyens pour pouvoir se porter candidat à l’élection présidentielle, Babaryko avait obtenu plus de 400000 signatures.
Son arrestation le 19 juin a été un nouveau coup dur porté au pluralisme. Viktor Babaryko a été accusé par le pouvoir de fraudes et de blanchiment alors qu’il présidait Belgazprombank. Sa candidature sera définitivement invalidée le 14 juillet suivant. Sa mise hors-jeu a également provoqué des manifestations, aussi bien à Minsk qu’ailleurs dans le pays.
14 juillet : invalidation de la candidature de Valéry Tsepkalo
Après la neutralisation de Tsikhanovskaïa et de Babaryko, il restait un troisième membre de l’opposition déterminé à se mesurer à Loukachenko : Valéry Tsepkalo, ancien ambassadeur du Bélarus aux Etats-Unis et au Mexique, puis directeur d’un cluster technologique parmi les plus important d’Europe orientale. Lui et Babaryko possèdent de nombreux points communs, comme leur appartenance à l’élite financière, ou leur capacité à rassembler au maximum les citoyens bélarusses, quitte à repousser à plus tard des débats importants, comme sur l’identité du pays ou sur ses relations avec l’Union européenne.
Tout comme les opposants précédemment cités, Tsepkalo avait réussi à obtenir un nombre suffisant de candidatures. Toutefois, voyant le danger arriver, la commission électorale a invalidé le 14 juillet une grande partie des signatures. Devant la pression accrue des autorités, Valéry Tsepkalo a préféré fuir fin juillet en Russie.
16 juillet : constitution d’un « triumvirat » féminin d’opposition autour de Svetlana Tsikhanovskaïa
Alexandre Loukachenko pensait avoir neutralisé les trois opposants les plus importants. C’était sans compter sur la constitution d’un véritable « triumvirat » constitué de Svetlana Tsikhanovskaïa, la femme du blogueur Sergueï, de Veronika Tsepkalo, la femme de Valéry, et de Maria Kolesnikova, la directrice de campagne de Viktor Babaryko. En posant ensemble pour une photo le 16 juillet, les trois femmes ont entériné leur union.
Cette union féminine autour de Tsikhanovskaïa est inédite dans l’histoire du Bélarus. Après l’arrestation de son mari, celle-ci a décidé de reprendre le flambeau, moins par conviction politique que par « amour ». Sa candidature avait été validée à la surprise générale à l’issue de la période de collecte des signatures. Malgré sa jeunesse et son manque d’expérience, Tsikhanovskaïa et ses alliées ont réussi à galvaniser tous ceux qui souhaitent définitivement tourner la page Loukachenko.
30 juillet : grand meeting de l’opposition unie à Minsk
Il s’agit du temps fort de la campagne électorale. Alors que le triumvirat d’opposition s’est assuré du soutien de personnalités notables, comme l’ancien Président bélarusse Stanislas Chouchkievitch, ou la prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch, un grand meeting devait mesurer la force de la base électorale de Tsikhanovskaïa, alors que les sondages officiels donnaient toujours Loukachenko largement vainqueur.
C’est chose faite le 30 juillet, dans les environs de Minsk, où un grand rassemblement s’est tenu dans un parc, avec au moins 63000 participants, selon l’organisation bélarusse de défense des droits de l’homme Viasna. Il s’agissait du plus grand rassemblement de l’opposition depuis plus d’une décennie, ce qui est d’autant remarquable que les autorités bélarusses avaient menacé de répressions, accusant l’opposition de vouloir organiser des « émeutes », notamment avec l’aide d’agents étrangers, qu’ils viennent d’Europe occidentale ou de Russie.. Cette campagne électorale aura donc montré d’une part la paranoïa grandissante de Loukachenko, et d’autre part la détermination de l’opposition politique et d’une part croissante des citoyens bélarusses.
06 août : la manifestation des « rubans blancs »
Les tensions sont montées d’un cran début août, à l’approche du scrutin. Les manifestations contre le pouvoir se sont multipliées, exigeant des « élections justes ». L’une d’entre elles s’est tenue le 6 août, des milliers de personnes ont défilé dans les rues avec des rubans blancs, en demandant des élections libres et régulières, tout en scandant le nom de Svetlana Tsikhanovskaïa.
Les évènements du 6 août font partie d’une série de protestations pré-électorales. Durant la première semaine d’août, des dizaines de milliers de Bélarusses ont défilé dans les principales villes du pays, dont près de 60000 personnes à Minsk. Selon les observateurs, il s’agit des plus importantes manifestations de l’histoire du Bélarus post-soviétique, un pays qui a presque toujours connu des élections truquées et des répressions politiques violentes, ce qui ne favorise pas la formation d’une société civile organisée et politisée.
09 août : tenue du scrutin et sévères répressions des protestataires
Malgré des tensions à leur paroxysme, le scrutin électoral s’est déroulé comme prévu. Pour la première fois depuis 2001, l’OSCE n’a pas été invitée à observer les élections, officiellement pour cause de pandémie de coronavirus. Seuls les observateurs locaux ont été autorisés à participer, même si de très nombreux cas d’irrégularités ont été décelés.
Pour éviter toute perte de contrôle de la situation, les autorités bélarusses ont coupé internet dès la fermeture des bureaux de vote et réprimé violemment les manifestations. Un manifestant a trouvé la mort dans les affrontements, probablement à cause d’un explosif. Le lieu de sa mort est devenu un mémorial sur lesquels des milliers de personnes se sont recueillies ces derniers jours. Selon le média spécialisé Belarus Digest, cette tactique agressive du pouvoir n’a pas suffi pour étouffer les manifestations et ont même provoqué l’effet inverse : de nombreux citoyens « neutres » se sont indignés et ont finalement rejoint l’opposition dans les rues.
11 août : fuite de Svetlana Tsikhanovskaïa, les manifestations ne faiblissent pas
A l’issue de l’annonce des résultats de l’élection, Svetlana Tsikhanovskaïa et ses alliées avaient tenu une conférence de presse durant laquelle elles avaient dénoncé des fraudes massives. La candidate « malheureuse » s’était alors proclamée vainqueur des élections. « Le pouvoir doit réfléchir à comment nous céder le pouvoir. Je me considère vainqueur de ces élections ».
Pourtant, à mesure que la pression des autorités devenait plus forte, Tsikhanovskaïa a fini par fuir en Lituanie. Dans une vidéo diffusée par la chaîne britannique BBC, elle a reconnu une certaine forme de « faiblesse » et semblait renoncer à son combat politique. Cet exil n’a pour autant pas mis un coup d’arrêt aux manifestations, bien au contraire. Le 12 août, de nouvelles violences de la part des forces gouvernementales ont été déplorées, provoquant la mort d’un second manifestant. Les premières grèves dans des usines importantes ont également été organisées.
14 août : l’Union européenne annonce des sanctions, première manifestation sans répression
Le 14 août pourrait être un tournant des évènements. A l’initiative de la Pologne, l’Union européenne a convoqué une réunion dans laquelle elle a réitéré son soutien aux manifestations, tout en fustigeant le « terrorisme d’Etat » bélarusse et en préconisant la mise en place de « sanctions ciblées » contre le régime de Minsk. Si Loukachenko s’est dit prêt à engager un « dialogue constructif », il a refusé catégoriquement la proposition de médiation politique proposée par la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. Une seconde réunion de l’UE est prévue mercredi 19 août.
Le jour même, une grande manifestation a été organisée sur la Place de l’Indépendance à Minsk. Un évènement doublement historique : non seulement un tel rassemblement n’avait plus eu lieu à cet endroit depuis près de dix ans, mais celui-ci s’est déroulé pacifiquement, sans intervention de la police. Du jamais vu sous l’ère Loukachenko. Une preuve que l’opinion publique soutient désormais suffisamment les manifestants et que le président bélarusse est de plus en plus affaibli, alors que certains cadres de l’administration commencent à lui faire défection.
16 août : Deux manifestations aux antipodes
Celui-ci n’a pourtant pas dit son dernier mot. Après avoir demandé de l’aide à la Russie, Loukachenko a exhorté dimanche 16 août ses partisans à « défendre l’indépendance du pays » tout en fustigeant les influences étrangères pour déstabiliser le pays. Durant ce « meeting », l’autocrate a usé d’une rhétorique bien étonnante, en déclarant devant la foule « je m’agenouille devant vous ».
L’opposition a répondu quelques heures plus tard en organisant une immense « marche de la liberté » le long de l’avenue de l’Indépendance, suivie par plus de 100000 personnes, selon certains journalistes de l’AFP. Un rassemblement absolument inédit dans l’histoire du pays. A la suite de cette marche, Svetlana Tsikhanovskaïa a publié une seconde vidéo lundi 17 août dans laquelle elle a annoncé assumer « son statut de leader national ».
Les manifestations sont de plus en plus importantes, accentuant la pression sur Alexandre Loukachenko. Celui-ci va-t-il demander à la Russie d’intervenir militairement pour « régler le problème des protestations » ? Certaines sources sur place affirment avoir vu des blindés, vraisemblablement en provenance de Russie, se diriger vers Minsk. Une information à prendre avec beaucoup de précaution toutefois, tant les témoignages semblent contradictoires.
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