Listes transnationales, listes citoyennes… ces innovations payeront-elles en mai 2019 ?

, par Marine Delgrange

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Listes transnationales, listes citoyennes… ces innovations payeront-elles en mai 2019 ?
Benoît Hamon, actuel dirigeant du parti Génération.s, lors d’un meeting à Nancy en 2017. Crédits : Mathieu Delmestre - Flickr

Les élections européennes approchent à grands pas, et ce seront les premières véritables élections pour le jeune parti de Benoît Hamon, Génération.s, près de deux ans après sa fondation. Autant dire que le résultat sera interprété comme révélateur de la crédibilité du parti, et du potentiel qu’il a de se frayer une véritable place au sein de la gauche, entre les Insoumis en perte de soutien et un parti socialiste qui tente toujours de relever la tête un an et demi après les élections présidentielles. C’est donc un pari risqué qu’a choisi de relever Benoît Hamon lorsqu’il a annoncé, le 29 octobre dernier, la constitution d’une liste citoyenne qui représentera Génération.s aux européennes de mai 2019.

Une liste citoyenne et transpartisane

Le 9 septembre, Benoît Hamon annonçait déjà sur RTL : “Nous avons commencé à constituer une liste transnationale avec un certain nombre de mouvements politiques européens”, faisant référence au mouvement du Printemps Européen (European Spring), une coalition que Génération.s a récemment rejointe. A ses côtés, d’autres partis de gauche d’autres pays européens, à l’image du parti polonais Razem ou du parti Livre au Portugal, mais également des mouvements paneuropéens comme le rassemblement des démocrates du DIEM 25. La plupart sont, à l’image de Génération.s, des partis récemment formés, et qui pour le moment ne constituent pas des forces politiques assez majeures pour obtenir des sièges dans leurs parlements nationaux. L’idée : candidater aux élections européennes non pas seulement sous une étiquette nationale, mais afficher un programme commun avec d’autres partis au-delà des frontières. Quoi qu’il en soit et compte tenu de l’état des forces de gauche en Europe, il semble qu’il sera difficile pour le “Printemps Européen” de former un groupe au Parlement, puisque cela requiert d’avoir un minimum de 25 députés élus dans 7 pays différents.

En plus de ce premier défi, celui d’arriver aux élections européennes sous une liste qui n’est pas l’un des huit groupes déjà établis au Parlement Européen, Génération.s a choisi d’en relever un deuxième, celui de candidater avec une liste composée de citoyens désireux de s’engager mais inconnus du grand public. La liste citoyenne proposée par Génération.s se veut une liste “qui rassemble bien au-delà des vieux appareils partisans”, comme une alliance entre “la gauche et les écologistes” qui concernerait non seulement tous ceux qui partagent les idéaux de la gauche - vaste programme - mais qui inclurait surtout peu de personnalités établies en politique, dans le but de tendre vers une représentation, peut-être plus adéquate, de la France telle qu’elle est aujourd’hui. Afin de garantir cette diversité, la seule condition à remplir pour candidater tient en trois mots : partager les engagements “de la gauche, de l’écologie, de l’humanisme”.

Pour Guillaume Balas, député européen et proche de Benoît Hamon, cette initiative répond à une problématique d’actualité : « les appareils politiques, même ceux qui se disent les plus ouverts, sont en train de créer des ligues fermées. [...] Au lieu de rester sur le potentiel important des membres de Générations, il s’agit d’aller chercher des gens qui se reconnaissaient dans un certain nombre de valeurs, mais qui ne veulent pas adhérer à un mouvement politique en tant que tel ».

Place publique

Or, l’annonce de la création d’une telle liste a été simultanée avec le lancement de Place publique, une initiative d’un groupe de journalistes, d’écrivains et d’entrepreneurs, parmi lesquels l’essayiste Raphaël Glucksmann. Aux côtés de Thomas Porcher, économiste hétérodoxe critiquant le discours libéral dominant, et de Claire Nouvian, réalisatrice de documentaires et présidente de l’ONG “Bloom” militant pour la préservation des fonds marins, ils souhaitent mettre en place un mouvement politique civil et militant, qui se veut “la voix des associations et des citoyens qui s’engagent”. Les points communs avec la liste citoyenne de Benoît Hamon sont nombreux : un mouvement citoyen, qui se veut transpartisan mais de gauche et pro-européen, somme toute un mouvement qui souhaite rassembler les “orphelins de la gauche”.

La question se pose donc de l’articulation entre ces deux mouvements, d’autant que Benoît Hamon n’exclut pas de faire des ponts entre les initiatives, décrivant Place publique comme “Des gens avec qui on a envie de discuter” et ajoutant que les deux discours étant similaires, il serait “irresponsable de s’éparpiller”. Cependant, Place publique n’a pas vocation à devenir une liste pour les élections européennes, simplement un mouvement de rassemblement et d’échange citoyen à l’image de Nuit Debout en 2016, sur lequel pourrait s’appuyer Génération.s pour trouver des candidats pour sa liste et élaborer ses propositions.

Alors que d’autres partis peinent à trouver leurs têtes de liste, l’idée semble intéressante

Benoît Hamon a annoncé le 6 décembre qu’il serait le candidat tête de liste de son parti en France : « Je me sens une responsabilité. Je suis, depuis de longs mois, le plus populaire à gauche (...) Je serai candidat pour mener le combat en première ligne, à la tête d’une alliance citoyenne ». Mais, La République en Marche, les Républicains, le Parti Socialiste, … Tous peinent à trouver une figure du rassemblement pour l’élection de mai prochain. Et ce pour plusieurs raisons : d’abord, l’idée que les élections européennes sont souvent considérées comme une élection secondaire, et que seuls quelques jeunes nouveaux et les anciens en fin de carrière méritent d’être envoyés à Bruxelles. Sous prétexte que les principaux enjeux se joueraient à l’échelle nationale, et que peu de citoyens s’intéressent aux décisions prises par le Parlement européen, alors que 20% des lois nationales sont d’origine communautaire.

Ensuite parce que les têtes de parti se méfient particulièrement des élections européennes, souvent vues comme des élections de contestation et d’expression du mécontentement, notamment depuis la défaite de Michel Rocard en 1994, qui l’avait conduit à renoncer à la campagne présidentielle qui a suivi. Enfin, les partis peinent souvent à s’accorder sur une ligne européenne commune, qui reste un risque de tensions et de déchirement. De fait, il est souvent compliqué de trouver une figure du rassemblement. C’est le cas du parti socialiste, qui valse entre une aile gauche très critique de l’Union Européenne et la position portée par le Commissaire européen Pierre Moscovici.

La liste citoyenne de Benoît Hamon a-t-elle véritablement une chance ?

Ce n’est pas la première année que sont mises en place des listes citoyennes pour une élection européenne. En 2014, Corinne Lepage avait créé le mouvement “Europe citoyenne”, qui avait abouti à la constitution de huit listes pour les européennes, couvrant donc l’ensemble du territoire national. Pourtant, malgré qu’elle ait été elle-même en tête de liste pour la région Ile-de-France, le mouvement n’avait obtenu aucun siège au Parlement Européen. La même année, le jeune parti Nouvelle Donne fondé par l’économiste Pierre Larrouturou et l’urgentiste Patrick Pelloux, chroniqueur pour Charlie Hebdo, présentait sept listes, soit pour l’ensemble des circonscriptions à l’exception de l’Outre-Mer. Les têtes de liste avaient dû être validées par un comité de membres tirés au sort, dans l’optique de garantir un processus le plus démocratique possible. Si le parti n’a pas non plus obtenu de siège au Parlement, il a réussi à atteindre le score de 2.9%, juste en-dessous du seuil de remboursement de la campagne (3%).

Comment donc expliquer la réussite du parti La République en Marche, très peu de temps après sa création, alors que la plupart des partis ad hoc n’ont un succès que très marginal, et bien souvent disparaissent ? La réponse tient sûrement dans des causes multiples, ne serait-ce que par l’enjeu de l’élection présidentielle ou encore le trou béant laissé entre l’affaire Fillon et le PS ayant déçu. Mais elle réside aussi dans la tête de liste, qui en la personne d’Emmanuel Macron, a su convaincre les Français. Il faudra donc que Benoît Hamon prenne cette dimension en compte. Selon Emmanuelle Reungoat, maîtresse de conférence à l’Université de Montpellier, “la personnalité du leader est essentielle dans la gestion de la campagne”. Une chose est sûre : Benoît Hamon en a conscience, et il ne nie pas d’intégrer des personnalités connues et de mener lui-même la liste, parce qu’il a “une crédibilité que d’autres n’ont pas”.

La stratégie transnationale et citoyenne de Génération.s n’est pas un cas isolé à l’approche d’élections européennes inédites, puisque qu’elles seront les premières élections post-Brexit. Aussi, dans un contexte de recherche de proximité avec les citoyens et de mise en avant de la démocratie, un autre mouvement transnational a vu le jour en 2017 : Volt Europa. Cependant, à la différence du “Printemps Européen”, Volt Europa n’est pas un regroupement de partis nationaux, mais un parti paneuropéen qui cherche à s’implanter dans sept pays européens minimum. L’idée est donc que les candidats du mouvement fassent campagne non pas sous l’étiquette d’un mouvement national comme Génération.s, mais directement sous l’étiquette d’un mouvement européen : comme des candidats de Volt Europa. Reste à voir quelle stratégie sera la plus efficace… Rendez-vous en mai 2019 !

Vos commentaires
  • Le 16 décembre 2018 à 21:03, par Alistair Connor En réponse à : Listes transnationales, listes citoyennes… ces innovations payeront-elles en mai 2019 ?

    Excellent article ! A noter que Nouvelle Donne fait partie également du Printemps Européen. En attendant d’autres ! Pour le PE, l’essentiel est le programme transnational. Si ça peut aider la gauche française pro-européenne à se rassembler, alors tant mieux... D’autres partenaires, tels que Place Publique ou le PCF, seront les bienvenus.

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