95 jours auront finalement suffi pour son élaboration. La proposition de règlement de la Commission européenne « établissant le cadre pour atteindre la neutralité climatique » (communément appelée « loi climatique européenne ») était l’une des grandes promesses de la nouvelle équipe dirigée par Ursula von der Leyen, et devait sortir dans les 100 premiers jours du quinquennat.
Annoncée aujourd’hui par la présidente de la Commission et son vice-président exécutif chargé du Green Deal, le Néerlandais Frans Timmermans, la proposition doit amender le règlement de 2018 sur la « gouvernance de l’Union de l’énergie et de l’action pour le climat » pour intégrer l’objectif phare dans le droit positif européen.
Comme toute proposition législative, le texte devra être discuté et approuvé par les colégislateurs, le Parlement et le Conseil de l’UE.
« Objectif contraignant »
Les fuites du texte de la Commission laissent apparaître un document relativement court, 12 pages, comparées aux autres initiatives législatives (règlements comme directives) qui approchent parfois les 70 pages.
Aussi bien dans le préambule que dans les articles dudit règlement, le caractère contraignant et irréversible de la neutralité carbone (appelé dans le texte « neutralité climatique ») apparaît sans ambiguïté.
L’UE devra atteindre celle-ci « au plus tard en 2050 ». Au-delà, les émissions devront être « inférieures à ce que les puits de carbone pourront absorber ».
En revanche, le texte de la Commission ne dit pas de manière claire si la neutralité carbone devra être atteinte seulement au niveau de l’UE entière, ou si chaque État sera concerné. La proposition stipule que « les institutions européennes comme les États membres doivent prendre les mesures nécessaires à leur niveau respectif, afin d’atteindre l’objectif ensemble ».
Cette différence pourrait permettre à certains États d’Europe centrale et balkanique, comme la Pologne ou la Roumanie, de continuer à être émetteurs nets si d’autres pays, comme la Suède ou le Portugal, parviennent à équilibrer la moyenne européenne grâce à leurs bonnes performances.
Puisque l’objectif de neutralité carbone sera quoiqu’il en soit contraignant, la Commission se réserve le droit « de prendre toutes les mesures nécessaires prévues par les traités » à l’encontre d’un état qui manquerait à ses obligations climatiques.
Il est néanmoins très difficile d’imaginer comment ces sanctions pourront s’appliquer, dans la mesure où la Commission ne pourra formellement constater le non-respect par les États de l’objectif de 2050 que cette année-là, voire à la fin de la décennie 2040, au plus tôt.
Absence de cibles intermédiaires
Ce flou autour des sanctions est dû également à l’absence d’objectifs d’étape clairs sur la feuille de route.
Si la Commission a affirmé qu’elle comptait rehausser les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 (la réduction devra atteindre 50%, voire 55% par rapport à 1990), aucune décision ne sera prise avant les résultats d’une étude d’impact qui sera menée durant l’été. Les discussions ne pourront avoir lieu qu’à ce moment-là, et une position devra émerger « d’ici septembre », ce qui laisserait très peu de marge pour l’élaboration d’une position commune de l’UE lors de la COP26, organisée en novembre à Glasgow.
La neutralité carbone est aussi un enjeu diplomatique, et l’UE compte bien faire du Green Deal un pilier de son action extérieure.
Actes délégués
Mais l’aspect le plus sensible du texte pourrait bien être l’allusion à l’utilisation de l’article 290 du TFUE relatif aux « actes délégués ». Ceux-ci permettent au Parlement ou au Conseil de déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels d’un acte législatif.
De ce fait, les gouvernements nationaux ont peu de marge de manœuvre face aux actes délégués, ce qui pourrait complexifier les négociations au Conseil de l’UE.
Ces actes pourraient être utilisés pour contraindre les États membres à réviser à la hausse leurs objectifs climatiques tous les cinq ans, « à partir du 30 septembre 2023 ». Serait-ce un message subtil de la Commission destiné aux gouvernements nationaux, dont beaucoup ont été peu enclins à remettre en temps et en heure leurs plans nationaux révisés en termes d’énergie et de climat (NECPs) ?
Les Verts et certains États appellent à faire plus
Les réactions des différents acteurs de la société civile sont à la hauteur des attentes. S’il faut saluer la détermination de la Commission à intégrer de la manière la plus contraignante possible l’objectif de neutralité carbone, certains regrettent d’ores et déjà une ébauche de texte évasif et peu détaillé, notamment sur les objectifs de 2030 et 2040.
Les Verts ont également dénoncé « le manque d’ambition » de la loi climatique. Pour eux, non seulement l’absence d’objectifs de mi-parcours est à déplorer, mais les cibles avancées pour 2030 sont insuffisantes. Pour respecter l’Accord de Paris de 2015, il faudrait réduire les GES d’au moins 65% par rapport à 1990. Bien loin des 50%-55% suggérés par l’exécutif bruxellois.
Les organisations citoyennes seront aujourd’hui à Bruxelles pour maintenir la pression sur les décideurs européens. Parmi elles, Greta Thunberg a été invitée par la Commission européenne pour la présentation officielle de la loi climatique. La militante suédoise a d’ailleurs adressé, avec 33 autres jeunes activistes climatiques, une lettre à la Commission dans laquelle ils implorent celle-ci de se baser exclusivement sur les preuves scientifiques du changement climatique et de prendre en compte les principes d’équité et de justice sociale, sans quoi la loi climatique « fera plus de mal que de bien »
Les réactions sont également venues des États membres, dont une douzaine ont demandé à la Commission d’aller plus loin, en accélérant les discussions pour adopter le plus rapidement possible une position sur l’objectif de réduction de 2030, afin de « montrer l’exemple » lors de la COP26.
D’autres pays, comme la Pologne, réitèrent que malgré une sensibilisation accrue de leur opinion publique à l’enjeu de neutralité carbone, celle-ci ne pourra se faire sans une « transition juste ».
La loi climatique, comme le Green Deal dans son ensemble, risquent d’être un facteur de tensions entre groupes de pays européens, dont certains seraient prêts, à en croire l’ancien président roumain Traian Basescu, à quitter l’UE. Les propos de Frans Timmermans, tenus fin janvier lors d’une conférence à Bruxelles, pour qui la loi climatique « disciplinera » certains États, ne vont pas apaiser les tensions.
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