« Le plus grand des Portugais vient de nous quitter », titre unanime la presse lusitanienne. Mário Soares, fragilisé par des complications de santé et la perte récente de sa compagne, a rendu son dernier soupire ce samedi matin à l’hôpital de la croix rouge de Lisbonne.
Battant, déterminé et ardemment tolérant, le Lisboète n’avait jusque là jamais baissé la tête. Ses condamnations à douze séjours en prison et à une déportation dans l’île africaine de São Tomé par la dictature de Salazar ne l’intimident guère. Téméraire, l’historien et avocat s’exile en France en 1970, noue de précieux réseaux et s’inspire de Willy Brant et François Mitterrand. Toujours en avance sur son temps, y compris à l’heure de défendre esseulé ses idées, il s’attache à fédérer la résistance depuis l’étranger et fonde le Parti socialiste portugais.
Entre la conviction et l’élection, Soares perd en popularité
A l’épreuve du pouvoir, Mário Soares souffle le chaud et le froid. Le républicain socialiste et laïc, comme il aimait se présenter, tient à ses principes. En 1975, 1 an après la Révolution des œillets, il priorise la démocratisation, le développement et les décolonisations sur la socialisation du Portugal. Il rompt alors avec son professeur de lycée et ami résistant Álvaro Cunhal qui tente de soviétiser le pays. Les Portugais doivent considérablement à M. Soares la pérennité de leur« démocratie tranquille » où les partis extrémismes demeurent asphyxiés.
A la tête du gouvernement entre 1976 et 1978 puis entre 1983 et 1985, il se confronte à une grave crise économique et sociale. Il fait alors dépendre sa réussite d’un « appui populaire, ferme et indiscuté ». « Nous devons faire courageusement face aux problèmes si nous voulons sauver la démocratie », prévient-il à la télévision le 9 septembre 1976. Il impose des mesures d’austérité et restructure le secteur public. Parallèlement, il renforce la protection sociale des Portugais et généralise le remboursement des frais médicaux.
« C’est l’Europe fédérale ou la guerre »
Les valeurs de paix, de liberté, de prospérité, de justice et les aspirations sociales portées par l’Union européenne le convainquent. Le premier ministre Mário signe le traité d’adhésion à Belem en 1985 et le président Soares en assure l’entrée en vigueur quelques mois plus tard. Pragmatique, il accepte les sacrifices et cherche à rouvrir son pays sur le monde. En 2013, sur RFI, il plaide pour un approfondissement radical de l’Union Européenne. « C’est l’Europe fédérale ou la guerre. L’Europe doit réactiver la solidarité entre les pays. La banque centrale doit soutenir l’économie. Il faut renforcer la zone Euro ». D’après lui, l’Union ne pourra pas élaborer une stratégie efficace de sortie de crise tant qu’elle ne disposera pas d’un gouvernement européen social et démocratique.
Entre 2011 et 2014, la troïka emmenée par la Commission européenne, la banque centrale européenne et le FMI fait suffoquer les Portugais. Dans son livre Portugal état d’urgence, Mário Soares accuse l’argent fou qui étouffe et l’austérité incontrôlée : « On détruit l’héritage de la révolution des Œillets et de l’état social. » Il regrette que « l’argent prenne plus d’importance que les êtres humains dont on ne s’occupe plus. »
Mário Soares laisse un gouffre immense. Seuls les livres d’histoire décrivent désormais sa vision poétique du monde et son insatiable curiosité culturelle. Il ne traversera plus la rue pour discuter avec les gens qui l’auront insulté. A la jeune génération, qui ne s’en souvient qu’à peine, de refaire respirer la politique portugaise.
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