Le Taurillon : Pourquoi êtes-vous candidate à la primaire de la droite et du centre ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Je suis candidate à la primaire de la droite et du centre car je ne trouve l’ensemble de mes convictions chez aucun de mes concurrents. J’ai un projet à porter : je veux effectuer de grosses transformations là où les autres candidats voudraient essayer de réparer un modèle qui ne fonctionne plus. Les conservateurs de gauche ne veulent rien changer, et les conservateurs de droite voudraient revenir à ce qui fonctionnait hier. Au contraire, je veux aller vers ce qui fonctionnera demain. Il y a des faits : la mondialisation, l’émergence du travail indépendant, la contrainte écologique. En 2016, la question n’est plus de savoir si l’on est pour ou contre, mais de savoir comment on construit une société qui s’inscrit dans ce nouveau monde.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres candidats à la primaire ?
N.K-M : Je porte un projet cohérent avec les enjeux du XXIème siècle : le numérique, l’écologie, l’Europe, la condition féminine… La question identitaire est importante, mais ce n’est pas le quotidien des Français. Ceux qui en ont fait le cœur de leurs déclarations essaient de cacher le vide de leur programme. Alors quand les autres candidats débattent de burkini, de Gaulois, de double ration de frites, moi je parle de chômage, d’éducation, de santé et de dépendance des personnes âgées. Voilà le quotidien des Français, voilà ce qu’ils veulent voir changer en 2017.
Si demain vous portez la candidature des Républicains et du Centre à la présidentielle, quelles sont les mesures principales que vous souhaiteriez prendre pour réformer l’Union européenne ?
N. K-M : La perception d’un décalage grandissant entre l’Union européenne et les besoins réels des citoyens français est pour partie fondée. Pour moi, l’Europe est fondamentale et il est temps de trancher des questions fondamentales. La France néglige le levier européen. Elle la subit. Je souhaite que la France reprenne la main. Il faudra affronter trois défis majeurs :
Tout d’abord le Brexit : les britanniques voudraient les nombreux avantages de l’Europe sans la solidarité : il faut leur imposer un NON catégorique.
Il faudra ensuite redonner du sens au projet européen en le faisant à partir de trois grandes politiques : une politique migratoire, une politique de lutte contre le terrorisme et une politique d’investissement et de croissance. Il faudra également renforcer le dialogue franco-allemand, pilier de l’avancement de l’Europe, qui a été massacré par le Président Hollande.
Enfin, il nous faut un traitement européen des sujets d’actualité auxquels la France seule ne peut pas répondre efficacement. Je pense à l’immigration, au droit de séjour, au renseignement et à la lutte contre le terrorisme ; je suis à ce titre favorable à la création d’une agence européenne du renseignement et d’un parquet européen.
Les questions européennes n’ont pas été abordées pendant les débats télévisés pour la primaire, comment expliquer que la droite ne se saisisse pas d’un sujet aussi important ?
N. K-M : J’ai demandé, pour les deux premiers débats télévisés, que les thèmes de l’Europe, de la Santé, de l’écologie et de l’éducation soient débattus. Au second débat, j’ai obtenu que l’on parle d’Europe et d’éducation. Et finalement, l’Europe est passée à la trappe, car les autres candidats et les journalistes ont préféré parler de François Bayrou plutôt que d’Europe. Cela donne une image un peu ringarde de cette primaire, dont les Français n’ont absolument pas besoin pour faire leur choix le 20 novembre. J’espère que nous parlerons enfin des sujets qui les préoccupent, Europe en tête, lors du débat de jeudi 17.
Vous faites le constat d’une Europe trop technocratique et manquant de vision. Quelles perspectives envisagez-vous pour renforcer l’Union européenne et la rapprocher des citoyens ?
N. K-M : L’Union européenne et ses institutions sont trop loin des citoyens, qui manifestent cet éloignement par un désintéressement. Rapprocher le citoyen européen de l’Union européenne passe en premier lieu par un renouveau démocratique. Je propose à ce titre que le Parlement européen soit élu à partir de listes partisanes européennes, et non plus par pays. Je propose également que le président de la Commission soit désigné par le Parlement européen, et soit le chef de file du parti vainqueur des élections, premier de la liste européenne unique.
L’avenir de l’Union européenne, c’est aussi et surtout les jeunes. Je salue dans ce sens, le projet récemment mis en place dans lequel des apprentis vont pouvoir se former pendant un an dans douze pays européens.
Vous plaidez pour un « traitement européen de l’immigration et du droit de séjour », que proposez-vous concrètement ? La politique européenne en la matière doit-elle s’aligner sur le volontarisme affiché par l’Allemagne ?
N. K-M : L’amitié franco-allemande a toujours été un pilier pour l’Union européenne et le sera toujours. Il faut néanmoins notifier que les pays membres de l’Union européenne ont parfois des besoins différents. La Chancelière Angela Merkel a adopté une politique volontariste quant à l’accueil des migrants, notamment pour répondre à un besoin démographique que nous n’avons pas en France.
Il faut en effet un traitement européen de l’immigration et du droit de séjour. Tout d’abord, il faut renforcer les frontières de l’Union européenne. Ensuite, je veux renégocier Schengen, qui ne fonctionne pas bien aujourd’hui. Il faut aussi revoir les conditions d’applications de demande d’asile dans les pays membres. La politique commune concernant le droit d’asile n’est pas si commune.
Pour lutter contre le terrorisme vous proposez la création d’une agence européenne de renseignement et d’un parquet européen. A ce compte-là pourquoi ne pas proposer aussi la création d’une armée européenne ?
N. K-M : L’armée et le renseignement n’ont pas les mêmes attributions. L’armée est une institution régalienne de la France et doit le rester. Les soldats français se battent pour défendre leur nation. En revanche, je suis favorable à ce que l’Union européenne s’appuie sur des armées nationales officiellement, et les finance en conséquence ; je souhaite que nos dépenses miliaires soient ainsi sorties des critères de Maastricht. C’est une mesure pragmatique : les pays qui investissent dans l’armée protègent de fait l’Union européenne, elle doit le reconnaître.
Le chômage des jeunes est devenu endémique en France et en Europe, que proposez-vous pour y mettre un terme ? La réorientation de la formation vers les jeunes suffira-t-elle ?
N.K-M : Le chômage des jeunes est inacceptable. Un quart des jeunes est sans emploi aujourd’hui, et même parmi les plus diplômés, près de 40% des jeunes avec un bac+5 n’ont toujours pas trouvé d’emploi après un an de recherche. Quel espoir donnons-nous là aux jeunes qui se lancent dans des études longues et coûteuses ? J’identifie plusieurs causes. D’abord, la faiblesse des créations d’emploi, à laquelle je compte remédier par un vrai choc fiscal en faveur de l’investissement et de l’emploi.
Ensuite, le manque de coordination entre l’offre de formation et le marché du travail : bien des formations débouchent sur des métiers où l’on recrute beaucoup trop peu, alors que d’autres secteurs sont à la recherche de jeunes qualifiés depuis plusieurs années. Enfin, et cela dépasse le seul chômage des jeunes, je suis très inquiète de la difficulté rencontrée pour changer de voie. Aujourd’hui, tout le monde sait qu’il sera amené à changer de métier, probablement plusieurs fois. Pourtant, les droits à la formation sont peu mis en avant et profitent largement plus aux cadres qui ont déjà suivi plusieurs années de formations qu’aux autres. Au sein des actifs ayant déjà un emploi, je propose donc d’orienter les fonds vers les salariés des petites entreprises davantage que vers ceux des grandes entreprises, et vers les employés et les ouvriers davantage que vers les cadres. Je veux aussi réformer la gestion des fonds de la formation professionnelle en réduisant le nombre d’organismes, de façon à ce que la qualité et l’efficacité de leurs actions puissent être mieux contrôlées. L’évaluation de leur efficacité sera la base de la sélection des organismes.
Vous avez été Secrétaire d’Etat chargée de l’écologie, puis Ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. L’environnement est-il toujours pour vous une préoccupation majeure ? Quelles sont vos propositions ?
N.K-M : Les citoyens sont de plus en plus concernés par les sujets environnementaux, ils sont trop souvent bridés dans leur action par des lenteurs, des inerties, des pratiques et des dictats, voire une absence complète d’information sur les moyens qui sont réellement mis à leur disposition par les pouvoirs publics pour améliorer la qualité de leur environnement direct et immédiat. Il faut remettre le citoyen au cœur de son environnement, en étant à la fois pragmatique et participatif. Il faut en priorité favoriser les circuits courts. Les circuits courts alimentaires premièrement, à travers une fiscalité incitative, un étiquetage environnemental et la mise en place de bons d’achat sociaux. Les plateformes et les magasins de producteurs dédiés aux produits issus de l’agriculture de proximité incitent également aux circuits courts. Il faut aussi développer l’autoproduction et l’autoconsommation d’énergie. Et enfin faciliter le télétravail, pour que chacun puisse s’organiser plus librement mais aussi car cela contribue à réduire l’impact carbone de chaque salarié.
Vous soutenez la dépénalisation du cannabis, pourquoi ?
N.K-M : La question de l’addiction des jeunes est un vrai sujet. C’est quelque chose de problématique pour la santé et pour la concentration pendant les études. Le système actuel ne fonctionne pas et n’est pas satisfaisant. La dépénalisation permet de continuer à envoyer un signal, notamment à la jeunesse qui est aujourd’hui très touchée par la consommation de cannabis. Cependant, je suis contre la légalisation qui enverrait un signal incitatif aux plus jeunes alors que la dépénalisation permet de continuer à dire « c’est interdit » parce qu’on pense que c’est problématique en terme de santé.
Vous défendez la vision de la Commission comme gouvernement de l’Union européenne, vous défendez la création d’un FBI européen, vous cherchez à renforcer le parlement européen. Êtes-vous donc favorable au fédéralisme européen ?
N.K-M : La population européenne a déjà du mal à s’identifier à l’Union Européenne ; penser au fédéralisme à l’heure actuelle n’aurait pas de résonance chez les citoyens européens. Il faut d’abord instaurer une réelle Europe politique, en rendant les institutions plus démocratiques et en recentrant les missions de l’Union européenne autour des enjeux qui ne peuvent être résolus à l’échelle nationale. Le succès de cette Europe permettra d’envisager un futur.
Propos recueillis par la rédaction du Taurillon.
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