Le Taurillon : Bonjour Ines, comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris la décision du Tribunal constitutionnel polonais qui déclarait l’avortement inconstitutionnel ?
Ines L. : C’était un mélange de beaucoup d’émotions. La première, c’était de la colère. a fait quatre ans qu’ils essaient de faire passer ça, qu’on se bat pour l’éviter. On essaye de mobiliser le plus de monde possible, parce que si ça passe, après, il n’y aura plus de limites.
J’étais énervée, mais d’un autre côté, je m’y attendais un peu. Cela fait tellement longtemps que le PIS (Parti Droit et justice) insiste sur ce point. C’est une suite logique de tout ce qu’ils ont mis en place, ils s’en sont pris au législatif, au judiciaire, aux médias… Le fait d’être passé par le tribunal constitutionnel m’a aussi un peu dépitée.
Pourquoi avez-vous décidé de vous engager en France et comment s’est déroulée l’organisation de votre manifestation à Paris ?
Quand j’ai commencé à recevoir les premiers messages de mes camarades de l’association de la Défense de la démocratie en Pologne (ADDP) ou simplement de la part d’amis, je me suis dit qu’il fallait organiser quelque chose. Nous avons créé une conversation à dix et on s’est dit, “on y va ! ” Ce jeudi 22 octobre, lorsque le tribunal constitutionnel polonais a pris cette décision, on a tous ressenti une sorte de dépit, mais on a tous voulu faire quelque chose.
La difficulté avec le fait d’être à l’étranger, c’est qu’il n’y a pas d’institution officielle vers laquelle se tourner. Cela entraîne beaucoup d’échanges, de discussions et finalement, notre groupe s’est élargi. Avec une amie à l’ADDP, on a pris l’initiative de lancer quelque chose au nom de l’association. D’habitude, nous prenons le temps d’organiser les choses mais là, nous n’avions pas le temps d’attendre. Nous avons improvisé et ça a marché. Il faut aussi comprendre que la plupart des gens impliqués sont des habitués, des militants, des activistes à l’étranger depuis des décennies. Ils ont des réseaux.
Nous nous sommes donc rassemblés à Paris, aux Invalides, devant le consulat de Pologne. En général, nous faisons cela à côté de la statue du mémorial de Solidarnosc. Il faut déclarer la manifestation à la Préfecture au moins trois jours avant, mais nous l’avons organisée en seulement deux jours. Heureusement, les autorités connaissent l’association, ce qui les a rassurées.
Pourquoi considérez-vous qu’il est important de montrer votre engagement depuis un autre pays ?
Nous sommes certes en France mais nous restons Polonais, nous sommes un groupe de personnes connectées, et on continue de s’inquièter pour notre pays. Certains envisagen de rentrer un jour. C’est difficile de se dire, “j’y habite plus, je fais comme si ça n’existait pas”. L’idée c’est de montrer qu’on est Polonais et qu’on est contre ce qui se passe là-bas. Pour ceux qui sont au pays, voir qu’il y a un soutien de leurs concitoyens à Paris, Berlin, New York, c’est une belle preuve de solidarité. Et à l’inverse, quand on a vu à Varsovie des milliers et des milliers de personnes qui occupaient le centre-ville, ça nous a fait plaisir de voir que, sur place, ils étaient aussi très mobilisés.
À Paris, quand on se rassemble, il y a des Polonais mais aussi des Français. Nous avons scandé les mêmes slogans qu’en Pologne, mais il fallait aussi qu’on en fasse en français, nous en avons pris des universels, en scandant des mots comme “liberté”, nous avons parfois fait des traductions, et puis certains ont été inventés sur le tas. Nous devons aussi rappeler la situation en général sur les droits LGBT, les atteintes à la démocratie, à l’état de droit… Nous sommes en France, tout le monde n’est pas forcément au courant de la situation.
Ce genre de manifestation, c’est à la fois une opportunité de montrer notre solidarité avec la Pologne, notre désaccord avec le pouvoir et d’aborder certains sujets importants, et donc attirer de nouvelles personnes. Ce ne sont pas les quelques centaines de Polonais à Paris qui vont changer la donne, mais nous souhaitons adresser un message aux institutions, dépasser le côté symbolique des choses, attirer l’attention de l’Europe. Une députée européenne était présente le jour du regroupement.
Sur les réseaux sociaux aussi, l’engagement a été marqué. Comment s’organisent les groupes et quels liens avez-vous entre Polonais expatriés ?
Il y a une grande solidarité entre les Polonais du monde entier. La diaspora polonaise est très importante. C’est un peuple qui émigre dans différents pays d’Europe et aux Etats-Unis, depuis longtemps et en masse. C’est important que les Polonais voient qu’on est actif ailleurs.
Chaque pays en général a ses groupes sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de questions politiques ou culturelles, car dans ces derniers on peut parler de festivals et de cuisine.
En termes de militantisme, il existe aussi des divisions. Rien qu’en Pologne, il existe plusieurs groupes différents, auxquels nous, les Polonais de l’étranger, nous sommes raccrochés, soit individuellement en tant que personne, soit en tant qu’association. Des groupes de discussions sont créés dans chaque pays, il y a des sous-groupes, des groupes européens… Honnêtement, parfois c’est le bazar. Mais dans ce genre de situation grave, nous pouvons avoir une grande émulation même de la part de gens d’habitude moins actifs. En effet, dès qu’il faut se mobiliser, on est tous dans un, deux, trois groupes, les infos circulent rapidement aux niveaux européen comme mondial. C’est une situation qui dépasse les frontières.
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