Un parti aux origines pro-européennes
En 1974, la dictature des colonels qui dirige la Grèce depuis 1967 organise un coup d’État à Chypre ; la Turquie riposte en envahissant la partie nord de l’île. En plus d’être le point de départ de la partition actuelle de Chypre, cette crise ébranle la dictature grecque. Elle décide ainsi d’appeler au pouvoir un ancien premier ministre très populaire grâce au “miracle économique” vécu par le pays sous son mandat : Konstantínos Karamanlís (qui était pourtant en exil et critiquait la dictature). Contrairement aux attentes du régime des colonels, il apaise la situation avec la Turquie et évite une guerre entre les 2 pays, fait juger les responsables militaires de la dictature et instaure une démocratie pluraliste avec des élections libres en 1974. Il fonde ainsi son parti de centre-droit, Nouvelle Démocratie, et, sous le slogan « Karamanlís ou les tanks » et remporte largement ces élections avec près de 55% des voix. Figure majeure de l’Europe et récipiendaire du prix international d’Aix-la-Chapelle, il fait entrer son pays dans la Communauté Économique Européenne en signant l’acte d’adhésion en 1979.
Une lente dérive à droite
L’engagement pour une démocratie pluraliste de Karamanlís n’a pas vraiment résisté aux évolutions de son parti : depuis l’élection de Kyriákos Mitsotákis, la démocratie grecque a en effet souffert d’une rhétorique nationaliste, d’une réduction drastique de la liberté de la presse ainsi que de scandales comme l’affaire des écoutes. Pour autant, le parti Nouvelle Démocratie diffère des autres partis qui affaiblissent l’État de droit en Europe (comme le FIDESZ ou le parti Droit et Justice) par une différence majeure : il n’est pas eurosceptique et n’hésite pas à souligner son attachement à l’Union européenne.
Comprendre la spécificité de ce parti nécessite de s’intéresser au système politique grec : démocratie parlementaire, la vie politique était à l’origine dominée par deux partis, la Nouvelle Démocratie ou ND (à droite) et le Mouvement social panhellénique ou PASOK (gauche). Cependant, comme beaucoup de pays européens, ce système bipartisan s’est transformé depuis 1974 : la Nouvelle Démocratie et le PASOK sont toujours présents mais SYRIZA et le KKE (Parti Communiste de Grèce) ont aussi émergé. Autre caractéristique majeure qui perdure encore de nos jours, la vie politique grecque est très liée à 3 familles : les Karamanlís (ND), les Mitsotákis (ND) et les Papandreou (PASOK). Sur les 11 premiers ministres grecs qui ont passé plus d’un an au pouvoir depuis la fondation de la République actuelle en 1974, 7 font partie d’une de ces 3 familles.
Depuis la crise des dettes souveraines de 2015, la gauche apparaît également mal au point : forcé par la Troïka (FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne) d’imposer des mesures d’austérité malgré un programme anti-austéritaire, Aléxis Tsípras et son parti SYRIZA ont perdu de nombreux électeurs… La gauche est ainsi divisée, au profit de la droite et de l’extrême droite. Les élections législatives de juin 2019 et encore plus celles de 2023 ont ainsi montré cette recomposition du paysage politique du pays : la Nouvelle Démocratie a ainsi remporté le scrutin avec près de 55% des sièges, du jamais-vu depuis 1974. Si le parti néo-nazi Aube dorée n’a pas réussi à entrer au Parlement en 2019 puis a été dissous l’année suivante, il n’en reste pas moins que la droite et l’extrême droite cultivent des liens de plus en plus forts : Spyrídon-Ádonis Georgiádis, vice-président du parti Nouvelle Démocratie et ministre du Travail et des Affaires sociales, a ainsi animé des émissions de télévision pour le compte du LAOS (parti nationaliste d’extrême droite) tandis que Makis Voridis, ministre d’État, avait fait, dans sa jeunesse, des expéditions à la hache contre des opposants politiques ainsi que des saluts nazis.
Des atteintes à l’État de droit qui se multiplient
Même si les atteintes à l’État de droit se multiplient en Grèce, la situation est moins grave qu’en Pologne ou en Hongrie dans la plupart des cas. Il n’en reste pas moins que, depuis son arrivée au pouvoir en 2019, Kyriákos Mitsotákis a adopté une rhétorique nationaliste, particulièrement contre le pouvoir turc d’Erdogan qui n’a pas manqué de répondre par son propre discours nationaliste. L’attitude du gouvernement grec vis-à-vis des migrants a aussi été maintes fois critiquée : Amnesty International a dénoncé des refoulements utilisant une force excessive et l’accusation du gouvernement selon laquelle les réfugiés étaient “très probablement” à l’origine des incendies (malgré les preuves contraires fournies par les pompiers) a été fortement critiquée.
Selon le World Justice Project, la Grèce est passée 36ème à 47ème dans le classement de l’État de droit entre 2019 et 2023, notamment suite aux scandales d’espionnage. Le Covid a permis aux services de renseignement grecs d’espionner des personnalités importantes : Predator, un logiciel espion avait ainsi infecté les téléphones de nombreux politiciens, journalistes et hommes d’affaires du pays en passant par la plateforme de vaccination nationale. L’affaire révélée en 2022 avait d’abord été niée par le gouvernement avant qu’il soit contraint d’admettre face aux preuves qu’ils étaient présents pour assurer la sécurité nationale, vis-à-vis de la Turquie notamment… Un argument qui n’a pas convaincu les parlementaires du pays : 142 d’entre eux ont demandé l’ouverture d’une enquête tout comme le Parlement européen.
L’inquiétude principale sur l’État de droit en Grèce concerne cependant les médias : selon le classement de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières (RSF), Athènes est passé de la 65ème à la 107ème place de 2019 à 2023, derrière le Qatar (la Pologne et la Hongrie se classent bien mieux, 67ème pour la première et 72ème pour la deuxième) ! Contrairement à la situation polonaise où le gouvernement assure son contrôle sur les médias publics, la liberté de la presse est menacée en Grèce par le fait que les sources d’informations sont entre les mains de 3 grands hommes d’affaires, tous proches idéologiquement de Nouvelle Démocratie. La couverture médiatique d’une collision entre 2 trains qui a tué 57 personnes en début d’année 2023 illustre bien ces liens : pour dédouaner le gouvernement des accusations de sous-investissement dans le réseau ferroviaire, certains journalistes ont ainsi promu la thèse selon laquelle la responsabilité incomberait au chef de gare qui n’aurait pas activé le système de sécurité automatique (alors que celui-ci n’avait pas été installé) tandis que d’autres ont choisi de minimiser l’information en faisant allusion à la mort de 104 personnes durant un incendie de forêt lors du gouvernement de gauche précédent. Les Grecs sont ainsi les Européens qui font le moins confiance aux médias : seuls 19% d’entre eux leur faisaient confiance en 2023, soit une baisse de 16% par rapport à l’année précédente.
Une indifférence générale
Diplômé de Harvard et polyglotte en anglais, français et allemand, Kyriákos Mitsotákis n’est pas le genre de dirigeant à inquiéter ses homologues. De plus, bien que son gouvernement ait affaibli l’État de droit en Grèce, son parti est pro-européen et libéral sur le plan économique (mais conservateur sur le plan politique). De nombreux dirigeants et journaux ont ainsi loué les résultats grecs en termes d’endettement : la dette publique grecque qui atteignait 205% du PIB en 2020 devrait s’établir à 160,7% cette année selon le FMI et la Grèce emprunte aujourd’hui sur les marchés financiers à des taux d’intérêts inférieurs à ceux des États-Unis. De plus, il dispose de soutiens importants, notamment de la France qui, en plus des traditionnelles bonnes relations franco-grecques, s’implique fortement à ses côtés face à la Turquie. Après les élections de 2023 ayant reconduit le gouvernement de Mitsotákis pour 4 ans, la situation en Grèce ne semble pas prête de changer.
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