Pacte mondial sur les migrations : l’UE en ordre dispersé

, par Antoine Potor

Pacte mondial sur les migrations : l'UE en ordre dispersé

C’est hier à Marrakech qu’a débuté l’acte final concernant le Pacte de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur les migrations que les Etats membres se sont engagés à négocier lors d’une résolution adoptée par l’Assemblée Générale en septembre 2016 dans laquelle était également présentée la nécessité de négociations sur la condition des réfugiés, qui à l’heure actuelle est encore en discussions.

Depuis deux ans, plusieurs pays ont annoncé leur retrait des négociations, à commencer par les Etats-Unis du Président Trump dès décembre 2017. Plus récemment, le Pacte a divisé les pays européens dont plusieurs ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne seraient pas présents les 10 et 11 décembre pour signer le pacte. Ce texte onusien agite le débat public, et souffre également d’un flux de fausses informations.

La base d’une “coopération internationale”

Les Etats réunis le 10 décembre ont approuvé le Pacte sur les migrations à Marrakech avant qu’il ne soit officiellement adopté le 19 décembre prochain par l’Assemblée Générale de l’ONU.

Ce texte négocié depuis plus de deux ans liste une série de 23 objectifs qui doivent assurer des migrations “sûres, ordonnées et régulières” en s’appuyant sur de nombreux textes internationaux déjà en vigueur comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont on célébrait hier le 70ème anniversaire. Chacun des objectifs s’accompagne d’un engagement plus précis et de plusieurs mesures qui doivent permettre de le réaliser comme le renforcement de la lutte contre le trafic de migrants (qui a notamment lieu en Libye) en renforçant notamment la coopération dans “les domaines du développement, de l’information et de la justice”.

Malgré cet énoncé, le texte n’a rien de contraignant et il le rappelle dès son préambule : “Le présent Pacte établit un cadre de coopération juridique non contraignant [...] et respecte la souveraineté des Etats” (Préambule.7). L’essence même de ce pacte est donc de fournir des “instruments de politiques publiques” pour les Etats qui souhaitent avancer sur ces questions, c’est à dire plus de 150 Etats membres de l’ONU.

Au-delà de toutes les précautions prises par le texte pour satisfaire le plus grand nombre - ce qui amoindri sa portée - il a suscité énormément de débats dans de nombreux pays et notamment au sein de l’Union européenne qui est arrivée à Marrakech divisée. En plus des débats qui peuvent être utiles, le Pacte a subi des discours mensongers, dénoncés par la représentante spéciale de l’ONU pour les migrations Louise Arbour.

Une Union européenne désunie

Une suite de refus

Des pays comme l’Autriche ou l’Italie ont quant à eux annoncé en amont qu’ils ne participeraient pas à la réunion intergouvernementale de Marrakech. La décision du gouvernement de Sebastian Kurz apparaît d’ailleurs assez hypocrite quand un des fondements de cette décision évoque “la naissance d’un nouveau droit international contraignant” à l’opposé de ce que le Pacte précise expressément dans son préambule. Cette opposition de la part du pays qui assure la présidence actuelle du Conseil de l’Union européenne n’a pas manqué d’influencer d’autres Etats et partis politiques, comme en Belgique.

Crise gouvernementale en Belgique

En Belgique, le Pacte sur les migrations a provoqué une crise gouvernementale - ou plutôt, a été utilisé pour provoquer une crise gouvernementale. La coalition dite “suédoise” du gouvernement belge s’est divisée, alors que le parti flamand, N-VA, a imposé un ultimatum au Premier ministre belge, Charles Michel : si ce dernier décidait de signer le pacte, le parti quitterait le gouvernement. Le Premier ministre n’a pas cédé, au nom du multilatéralisme affirme-t-il, et doit maintenant gouverner avec une coalition minoritaire. Ce dénouement n’est certainement pas anodin, à quelques mois des élections fédérales en Belgique.

Vague de fausses informations en France

En France, le pacte de Marrakech n’a donné lieu à aucun débat public, mais bien à un détournement politique en marge du mouvement des “gilets jaunes”. Le Président Macron devait initialement se rendre au Maroc pour y marquer l’approbation française mais cette mission a été déléguée au Secrétaire d’état Jean-Baptiste Lemoyne, l’hôte de l’Elysée devant le soir même “s’exprimer à la Nation”. Des représentants politiques, notamment de la droite et de l’extrême droite ont détourné le sens du texte comme Marine Le Pen qui a parlé d’un “acte de trahison”. Pourtant ce sont bien les représentants auto-proclamés du mouvement des gilets jaunes qui ont fait proliférer des fausses informations sur un texte qui selon eux aboutirait à la “mise sous tutelle de la France par l’ONU” ou encore l’arrivée de “480 millions de migrants en Europe”. On peut déplorer ici le manque d’action des pouvoirs publics dans les médias pour rétablir la vérité sur un texte hautement symbolique, se sont finalement ces derniers qui se sont chargés de rétablir le réel sens du texte onusien.

Les conséquences de cette désunion

Après plusieurs années de “crise migratoire”, les migrations restent aujourd’hui au coeur du débat européen. Il est question ici de vies humaines. Malheureusement, les errements politiques - notamment en France - ont gangrené le Pacte. Ils ont abouti à réduire la portée d’un texte qui ne s’oppose en rien à la volonté des Etats, mais qui cherche à lister pour eux des solutions permettant de renforcer une coopération fébrile sur le sujet et peut-être aboutir à des solutions plus concrètes.

Doit-on s’étonner de ce résultat quand les Etats membres ont à chaque retour de l’Aquarius rechigné à ouvrir leurs ports, aboutissant il y a quelques jours à l’arrêt des missions de sauvetages du bâteau de SOS Méditerranée ?

Ce comportement à l’échelle européenne aboutit à un constat : alors que Olaf Scholz, Vice Chancelier et Ministre des Finances allemand, a appelé il y a quelques semaines la France à céder son siège permanent au Conseil de Sécurité l’ONU, ce qui serait un grand pas pour l’essor d’une diplomatie européenne, cette possibilité semble pourtant encore bien lointaine face à la dispersion européenne sur la scène internationale.

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