Malgré un excellent score, certaines sources d’inquiétudes persistent et rappellent, une fois de plus, que même aux Pays-Bas la protection de la liberté de la presse doit faire l’objet d’une vigilance toute particulière.
Bilan positif
Comme chaque année, les Pays-Bas sont en très bonne position dans le classement RSF de la liberté de la presse. Les médias néerlandais restent, en effet, “totalement indépendants” et “le gouvernement respecte la liberté de la presse aux Pays-Bas et à l’étranger”.
Le pays, réputé pour avoir l’une des plus grandes libertés de la presse au monde, offre une protection juridique forte aux médias et tous les citoyens semblent avoir accès à une grande diversité de médias, tant par leurs contenus que par leurs formes.
RSF salue le respect de la liberté, de l’indépendance éditoriale de la presse et du travail des journalistes aux Pays-Bas.
Des moyens mis à la disposition des journalistes permettent aussi d’assurer la liberté de la presse. Notons ainsi qu’en 2013, les plus grands groupes de médias et journaux néerlandais lançaient un site nommé Publeaks, permettant aux lanceurs d’alerte de révéler des informations en toute sécurité et anonymement, dans le but d’aider à dénoncer les abus et de stimuler le journalisme d’investigation.
Tendances inquiétantes
Le rapport de RSF révèle néanmoins des tendances inquiétantes, en commençant par les attaques des politiciens populistes extrémistes contre la légitimité des médias, ou encore par la pression de certains gouvernements étrangers sur des politiciens néerlandais pour qu’ils interviennent auprès de journalistes ayant parlé négativement de leur pays.
En outre, un projet de loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme ainsi que la “nette croissance des attaques contre les journalistes” invitent à une vigilance particulière.
Un projet de loi qui suscite l’inquiétude des journalistes.
Une réforme du code pénal et du code de procédure pénale est en cours aux Pays-Bas, visant à compléter les instruments juridiques existants pour lutter contre le terrorisme. Un projet de loi en particulier, en vertu duquel les citoyens néerlandais se rendant dans une zone contrôlée par un groupe terroriste doivent demander une autorisation préalable auprès du ministère de la Justice, inquiète les journalistes. Ces derniers se plaignent en effet que cette loi, déjà adoptée par la chambre basse du Parlement et actuellement en cours d’examen par le Sénat, porte atteinte à leur liberté d’exercer leur métier dans les zones de conflit.
La proposition de loi, qui découle d’un accord de coalition, a été adoptée par la Chambre des représentants (Tweede Kamer, chambre basse appelée “Deuxième Chambre”) le 10 septembre 2019. Les membres du SP, du PvdA, de 50PLUS, des D66, du VVD (parti majoritaire du Premier Ministre Marke Rutte), du SGP, de CDA, de ChristenUnie, du PVV et du FVD ont voté pour, tandis que les membres de GroenLinks, du PvdD et de DENK (a eux trois, ils ne représentent que 21 des 150 membres de la chambre) ont voté contre.
Le projet, entre temps mis dans les mains du Sénat (Eerste Kamer, chambre haute appelé “Première Chambre”), a suscité de nombreuses réactions et inquiétudes. Dans son rapport préliminaire remis le 10 février 2020, le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD, parti majoritaire du premier ministre) admettait lui-même qu’ “il y a de fortes critiques de la part des organisations humanitaires, mais aussi des médias et des journalistes.”
Si la majorité des partis reconnaissent l’importance d’une bonne législation pour lutter contre les actes terroristes, où qu’ils soient commis, certains ne comprennent pas pourquoi le gouvernement souhaite également inclure d’autres personnes qui ne sont pas des terroristes potentiels dans l’obligation du projet de loi, comme les travailleurs humanitaires et les journalistes.
L’Association néerlandaise des journalistes plaide notamment en faveur d’une clause d’exception pour les journalistes à inclure dans la loi. Le vote du Sénat est alors très attendu.
Les attaques contre les journalistes
Autre sujet de préoccupation : la sécurité des journalistes. RSF alerte sur les “les attaques sur internet, les menaces de mort contre les journalistes et leur famille”, qui semblent “presque incessantes”, y compris aux Pays-Bas.
Si les autorités néerlandaises sont particulièrement efficaces dans leurs efforts pour protéger les journalistes contre les tentatives d’intimidation ou même d’attaques, les agressions restent, en effet, une inquiétude majeure.
Dans leur rapport « Un climat dangereux » publié en mai 2019, les chercheurs néerlandais Dr Marjolein Odekerken et Laura Das montraient qu’un grand nombre de femmes journalistes avaient subi des violences, intimidations ou menaces en rapport avec leur travail. Les résultats de l’enquête menée auprès de plus de 350 femmes journalistes en mai 2019, et publiés par L’Association néerlandaise indépendante des journalistes, sont inquiétants. Ils révèlent que plus de la moitié d’entre elles ont déclaré avoir été victimes d’intimidations ou de violences dans leur travail et environ 70 % ont déclaré que ces menaces constituaient un danger pour la liberté de la presse.
Certaines journalistes interrogés ont même déclaré que les menaces, tant physiques que numériques, peuvent affecter leur santé mentale et augmenter leur peur, les poussant parfois à s’autocensurer sur des sujets qui ont précédemment conduit au harcèlement.
En 2018 déjà, RSF notait que les Pays-Bas n’échappaient pas à la tendance générale, qui voit une détérioration de la liberté de la presse en Europe, après l’attentat contre le siège du journal De Telegraaf (journal avec la diffusion la plus importante du pays) à Amsterdam dans la nuit du 25 au 26 juin 2018. L’attentat, qui n’a pas fait de victimes, intervenait quelques jours seulement après une première attaque menée contre les bureaux de deux autres journaux néerlandais d’Amsterdam, Panorama et Nieuwe Revu. “Un coup porté à la presse et à la démocratie néerlandaise" réagissait le Premier ministre Mark Rutte.
Des arrestations ont depuis été menées, notamment au sein de la Mocro Maffia, basée aux Pays-Bas. De nombreux journalistes restent cependant sous protection policière.
Plus récemment, un blogueur pakistanais en exil au Pays-Bas a été attaqué et menacé de mort devant son domicile. Alors qu’il rentrait chez lui à Rotterdam, Ahmad Waqass Goray, qui écrit notamment sur les violations des droits de l’homme et des cas de tortures perpétrés par l’armée pakistanaise et l’ISI (services secrets pakistanais), a été agressé le 2 février 2020 avec un motus operandi qui ressemblerait fortement à celui des services secrets pakistanais.
Il est alors essentiel que les Pays-Bas continuent à jouer un rôle exemplaire, d’autant plus dans un contexte européen où le danger est réel pour la liberté de la presse.
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