Pour en finir avec les mascarades étatiques

, par Marion Larché

Pour en finir avec les mascarades étatiques
Plusieurs manifestations demandent l’accueil et la prise en charge de l’ensemble des migrants. - Gustave Deghilage

Les réponses étatiques à la crise des réfugiés ne suffiront pas à résoudre de manière satisfaisante cette crise humanitaire qui se déroule sous nos yeux. Seule une Europe plus unie et plus forte parviendra à endiguer ces maux. Seule une Europe humaniste et responsable peut agir !

L’horreur a atteint son paroxysme. La réalité a enfin heurté la conscience de certains qui découvrent, avec stupeur, que des enfants syriens meurent chaque semaine en tentant de rejoindre nos côtes.

Il aura donc fallu une photo, cette photo, pour heurter, alerter et sensibiliser la classe politique et l’opinion publique. Pourtant, le processus de responsabilisation et d’action politique reste, lui, au point mort. Pire encore, la mascarade politicienne s’invite, accompagnée d’une certaine dose de culpabilisation, de honte et de vacillement démagogique à la table des humanistes et des défenseurs de la cause des réfugiés.

La lettre commune envoyée par la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande aux autorités européennes, débute ainsi « l’afflux de migrants est un grand défi pour l’Europe ». Si j’en étais la destinataire, je répondrais qu’il ne s’agit pas d’un défi ou d’un challenge auquel nous sommes confrontés, nous, le peuple d’Europe. Il s’agit d’une responsabilité européenne. Une responsabilité collective dont nos dirigeants ne savent que trop peu en représenter la voix. La construction du mur en Hongrie, les images choquantes de ces réfugiés jetés aux sols par les forces de l’ordre ou entassés dans des trains, ces naufrages mortels et ces corps engloutis par la mer ou abandonnés sur nos plages… Un drame humain se joue à nouveau aux portes de l’Europe, sur son sol même. L’Histoire s’écrit et il est temps d’en adoucir les pages.

Cette chère patrie européenne doit le faire, parce qu’elle seule peut le faire. Celle dont la lumière humaniste a su briller à nouveau après les atrocités et la barbarie des guerres la secouant au début du XXe siècle pour construire cet idéal de paix et de préservation de nos droits fondamentaux. Celle dont le phare éclaire encore certaines régions du monde en affirmant et en protégeant les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit. Celle dont la lumière s’éteint un peu plus chaque fois qu’un réfugié est rejeté de son sein, qu’un corps est englouti par les flots ou abandonné sur ses plages. Celle dont le projet politique initial disparait dans les abysses d’une technocratie qui en bafoue et piétine les fondements mêmes.

Cette responsabilité européenne collective exige une action européenne unanime et immédiate. Elle exige la fin de la méthode intergouvernementale. La lettre est adressée « aux autorités européennes » et elle est, en réalité, dictée à l’attention des chefs d’États européens, à qui l’on demande, après en avoir pourtant rejeté l’éventualité il y a quelques mois, de se « répartir les réfugiés ». Lors de sa conférence de presse, le président de la République a affirmé, après avoir pourtant rappelé que « la réponse à cette crise devait être européenne et commune », que face à ces drames, il avait proposé, avec Angela Merkel, « un mécanisme obligatoire d’accueil des réfugiés ». Ainsi, « la France et l’Allemagne travaillent ensemble et présenteront des propositions au Conseil des ministres de l’intérieur le 14 septembre prochain ».

Si cette réunion devait déboucher sur une impasse, alors seul « le Conseil européen devrait être saisi ». Ce retour au bilatéralisme franco-allemand nous rappelle à nouveau que l’Europe n’est que trop guidée par les mêmes puissances étatiques, jetant ainsi un discrédit supplémentaire au projet européen qui se morcelle peu à peu et dont les citoyens peinent à en identifier les acteurs. Nous laisser croire que la solution sera européenne quand on sait qu’en matière d’asile et d’immigration, les cartes se jouent et se distribuent individuellement faute d’intégration politique dans ce domaine, n’est que leurre et illusion. Faut-il rappeler – préciser – que l’article 68 TFUE prévoit que « le Conseil européen définit à l’unanimité les orientations de la politique d’immigration et d’asile » ? L’affirmation renouvelée de la superpuissance du Conseil européen éloigne encore davantage les espoirs de résolution efficace de cette crise humanitaire, et entérine avec eux, les attentes et exigences démocratiques. Et le Conseil de ministres de l’Intérieur de lundi dernier a démontré une nouvelle fois son incapacité à agir. François Hollande l’avait rappelé : « le Parlement européen pourra débattre de la question dans les prochains jours ». L’on ne peut s’en réjouir lorsque l’on sait qu’il est la seule institution européenne dont les membres sont élus au suffrage universel direct !

Cette responsabilité européenne appelle aussi une réponse efficace et cohérente, non protectrice de la défense de chaque intérêt étatique. « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts », disait Isaac Newton. L’Europe forteresse se voit ériger en une terre semée de murs, de barbelés et de frontières militairement contrôlées. Début septembre, l’Allemagne demandait encore à l’Italie de renforcer les contrôles au tunnel de Brenner à la suite de l’afflux massif de migrants. Comme si les forteresses pouvaient empêcher des êtres humains, en quête de paix et de liberté, de risquer leurs propres vies pour les franchir… On parle de « répartition des demandeurs d’asile ». Le président français l’a annoncé, « la France accueillera 24 000 personnes ». On envisage que les capitales refusant de participer à cette répartition verseraient une somme aux autres en guise de contribution alternative. Sur quels critères comptez-vous sélectionner les plus chanceux d’entre eux, Messieurs les technocrates ? Les vies humaines ne se marchandent pas. Et la fixation catégorique de chiffres absurdes ne peut empêcher ces femmes et ces hommes prêts à braver les tempêtes sur des bateaux pneumatiques surchargés, à risquer à nouveau leurs vies pour parvenir jusqu’à nos portes…

« La seule chose qui peut nous sauver est d’être citoyens du monde » [1]. La reconnaissance que chaque être humain vivant sur cette planète forme, avec ses semblables, un peuple commun, doté des mêmes droits, dont le premier d’entre eux est la liberté d’exister, et des mêmes devoirs, se traduit par une volonté réelle de bouleverser l’ordre du monde actuel, par la diffusion de valeurs humanistes et par la restructuration de nos systèmes institutionnels. Si la solidarité, le rapprochement entre les peuples et la réorganisation de nos États nations relèvent encore de l’utopie à l’échelle mondiale, le processus a déjà commencé dans le berceau européen et on le détruit par le maintien de mythes et d’incohérences politiques. Notre patrie européenne se meurt et les mots jetés par Victor Hugo s’envolent avec elle : « nous ne ferons plus qu’un seul peuple, qu’une seule famille, qu’une seule république. Je vais démolir mes forteresses, tu vas démolir les tiennes. Ma vengeance, c’est la fraternité ! Plus de frontières ! Soyons les États-Unis d’Europe, soyons la fédération continentale, soyons la liberté européenne, soyons la paix universelle ».

Notes

[1Entretien avec Jorge Luis Borges publié dans le Monde diplomatique en août 2001.

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