Dans son discours de 1952 devant le National Press Club de Washington, Jean Monnet introduisait la construction européenne dans ces termes : « notre époque exige que nous unissions les Européens et que nous ne les maintenions pas séparés. Nous ne coalisons pas les États, nous unissons des Hommes ». Mais peut-on vraiment prétendre unir les individus et les peuples, et cultiver ainsi la perspective d’un avenir européen partagé, sans créer de la solidarité ? Et comment créer cette solidarité sans véritables rencontres et connaissance des cultures des uns et des autres ?
C’est tout l’enjeu de la mobilité européenne des jeunes préparant l’avenir. Et c’est pour cela qu’elle est encore plus porteuse lorsqu’elle se fait autour du thème de la solidarité et de l’engagement. Au-delà des bénéfices nombreux pour ceux qui tentent une expérience de mobilité dans un autre pays européen, ces aventures personnelles et rencontres autour de l’accomplissement d’une mission d’intérêt général ont en effet une portée collective fondamentale. Elles constituent les jalons essentiels du chemin commun menant vers la construction de la société européenne de demain.
C’est pour cela qu’il paraît nécessaire d’établir un service civique européen généralisé. Il permettrait à tous les jeunes de construire leur identité, européenne comme individuelle, et de vivre l’Europe en se mettant au service de ceux qui en ont le plus besoin et des grandes causes de notre temps. Partant, c’est un nouveau modèle de citoyenneté, plus active et authentiquement européenne, car fondé sur l’expérience de soi, de sa culture et celle des autres, qui émergerait. Cette initiative prend alors une dimension cruciale. Les jeunes citoyens, et la classe politique dans leur sillage, partagent le constat d’échec d’une construction européenne imparfaite à laquelle ils peinent à s’identifier. A l’aspect nébuleux et lointain d’une gouvernance européenne souvent trébuchante vient s’ajouter un contexte économique de plus en plus violent marqué par le chômage de masse des jeunes, la perte de sens, des inégalités sociales croissantes, et un contexte environnemental de plus en plus angoissant.
L’Union européenne doit donc faire preuve d’ambition et renouer avec son sens initial. Elle est venue au monde, dans l’esprit de ses créateurs, comme un rêve d’unité et solidarité. En tant que gardienne de cet idéal, l’Union Européenne a le devoir de fournir à cette génération et aux suivantes les outils pour donner un nouveau souffle à cet élan afin de faire face aux incertitudes de l’avenir. De plus, les fondations pour la création d’un tel service civique européen sont déjà posées. Des initiatives sont nées ces dernières années sous la forme de services civiques nationaux qui rencontrent déjà un succès important. Cette réussite démontre l’existence d’une demande, d’une quête de sens chez les jeunes. Ceux-ci désirent vraiment se mettre au service de l’intérêt général et d’un vivre ensemble les dépassant, et retrouver cette démarche dans chaque aspect de leur vie, y compris sur le plan professionnel. Au niveau supranational, un Corps Européen de Solidarité (CES) a timidement vu le jour dans l’ombre du programme Erasmus +.
Contrairement à ce dernier, qui s’est affirmé comme un symbole de la rencontre des cultures européennes étudiantes et l’une des réussites phares de l’Union Européenne, le CES peine encore à s’imposer. Il souffre en effet d’un manque de lisibilité, de visibilité, et surtout encore malheureusement de moyens, en dépit d’une portée symbolique potentiellement forte. La difficulté, dans les négociations budgétaires européennes actuelles, d’augmenter ou même simplement sanctuariser les fonds Erasmus +, alors même qu’il s’agit d’une priorité politique affichée de la quasi totalité des groupes politiques du Parlement, ne lasse pas à ce titre d’inquiéter.
Il est clair pourtant que l’on ne peut pas favoriser l’émergence d’une identité et d’une solidarité européennes communes avec des dispositifs restreints et pensés a minima. Faute d’un véritable effet d’échelle, ceux-ci reste en effet l’apanage d’un petit nombre qui est en général raisonnablement affluent, éduqué et souvent prédisposé au rêve européen. Le Corps Européen de Solidarité peine ainsi à atteindre son objectif d’inclure au moins 25% de jeunes avec moins d’opportunités, là ou les services civiques nationaux se sont affirmés comme de véritables instruments d’intégration et des chances d’offrir un tournant à sa vie. Soyons donc plus ambitieux et exigeants. Proposons une expérience d’un an pour l’ensemble des jeunes, décomposée en deux phases : une première partie de 6 mois dans son pays d’origine, et une seconde, également de 6 mois, dans un autre pays de l’Union européenne.
Ces deux expériences combinées associent l’avantage d’articuler les dispositifs nationaux de service civique existants avec les moyens européens et de créer un véritable brassage. Elles permettent d’avancer plus progressivement vers l’expérience de mobilité tout en capitalisant sur des dispositifs déjà établis et fonctionnant à plein.Les semaines seront ainsi tout du long partagées entre des projets d’intérêt général, des temps d’apprentissage de la citoyenneté et d’orientation. Des cours de langue seront dispensés et le temps à l’étranger permettra de consolider un véritable apprentissage. Le service civique européen doit ainsi permettre de recréer du lien social, de développer une conscience des enjeux collectifs nationaux et européens et d’accompagner la maturation de la jeunesse vers une citoyenneté avertie et exigeante, se vivant à l’échelle européenne.
Généralisé à toute une classe d’âge, à qui l’accès au dispositif serait garanti, il permettrait également, par le nombre de jeunes concernés, de disposer d’une forte capacité d’action pour développer des réponses concrètes aux urgences de nos sociétés : égalité des chances, lutte contre la précarité, crise environnementale, transition énergétique et agricole, accompagnement du vieillissement, maîtrise des nouveaux outils digitaux, et tout ce qui demain nécessitera la mobilisation de l’énergie de tous les citoyens pour y faire face. Un projet pilote existe déjà en ce sens. [1]
Il est donc grand temps que les jeunes européens de toutes cultures et origines sociales bénéficient d’une structure et de moyens pour rencontrer le rêve européen, l’incarner et en devenir les ambassadeurs, face aux défis d’aujourd’hui et de demain. Le chancelier Adenauer aurait dit « quand le monde a l’air trop grand et complexe, il faut se rappeler que les grands idéaux ont tous trouvés naissance dans des foyers, des quartiers ordinaires. ». Il faut redonner cette impulsion populaire à l’Union Européenne, une pulsation nourrie par les rencontres individuelles européennes, ou bien se préparer dès maintenant à la voir sombrer à plus ou moins long terme.
Par Camille VAILLON, Eileen DAUTRY et Shanna CAMILLERI, pour le Collectif pour un Service Civique Européen
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