Pour une gestion rigoureuse des finances publiques, nécessaire à l’économie européenne

, par Eric Drevon-Mollard

Pour une gestion rigoureuse des finances publiques, nécessaire à l'économie européenne

Pour ou contre la politique d’austérité en Europe ? Le sujet fait débat, et notamment au sein des rédacteurs du Taurillon. Voici l’opinion d’Eric sur les politiques de rigueur en Europe.

La mise en œuvre du programme politique du président Emmanuel Macron en témoigne, les commentateurs sont souvent prompts à dénoncer la rigueur budgétaire, même lorsqu’elle est inexistante, mais c’est pourtant grâce à elle que bon nombre de pays européens ont pu renouer avec la croissance économique.

La vulgate keynésienne prise en défaut

Elle postule qu’une hausse du budget de l’État par l’endettement (donc le déficit public et la hausse de la dette publique), augmente la croissance économique par le biais de l’effet multiplicateur : la hausse de la demande globale provoquée par les dépenses supplémentaires suscite une hausse de la production des entreprises, qui s’empressent de satisfaire les envies des consommateurs. Ainsi, la richesse créée par la hausse de la production dépasse l’argent que l’État a investi, et lui permet de rembourser ses dettes. Les keynésiens préconisent également de faciliter les hausses de salaire en augmentant le pouvoir de négociation des travailleurs dans les entreprises, et par des mesures réglementaires comme un salaire minimum élevé. Pourquoi cette politique ne fonctionne-t-elle donc pas dans l’Union ?

La productivité n’augmente plus assez vite

En premier lieu, elle suppose que le pays (ou la zone) ait peu d’échanges commerciaux avec l’extérieur et dispose d’une législation qui empêche la fuite des capitaux. Ensuite, elle nécessite que la productivité du travail augmente rapidement, afin d’absorber les tensions inflationnistes qu’elle provoque, et de ne pas faire chuter le taux de profitabilité des entreprises, qui sinon risquent de ne pouvoir conserver des outils de production modernes. Or, les gains de productivité ont chuté depuis, du fait d’innovations moins utiles à ce niveau à partir des années 1980, compromettant la possibilité de hausses de salaires et le maintien d’une inflation raisonnable. Dans un tel contexte, il n’est plus possible de tricher en absorbant le déficit public par l’inflation, c’est-à-dire la spoliation continue des épargnants et des propriétaires.

Gérer les finances publiques de manière responsable : une nécessité

Les économies sont désormais en concurrence pour former et attirer capitaux et cerveaux. Offrir des services d’intérêt général de qualité, notamment une éducation performante et de bonnes infrastructures, est certes nécessaire, mais doit aller de pair avec une gestion rigoureuse des finances publiques. C’est dans ce contexte qu’ont été décidés les « critères de convergence » de Maastricht, à l’origine pour permettre un passage à l’euro dans de bonnes conditions (notamment éviter qu’elle ne devienne une monnaie faible). Parmi eux, le plus important est la maîtrise des finances publiques : pas plus de 3% de déficit public, et une dette ne dépassant pas les 60% du PIB. [1].

Du danger d’enfreindre la discipline budgétaire

Pour arbitraires que soient ces critères, ils aident à maintenir une discipline entre les états de la zone euro, et à empêcher qu’un des membres compromette la zone toute entière par sa mauvaise gestion. La politique insensée de la Grèce avant la crise de 2008, qui avait de surcroît maquillé ses comptes pour cacher à ses partenaires son important déficit, l’a conduite à une situation délicate lors du retournement de conjoncture, et la crise de confiance qui en a résulté aurait pu mettre en péril l’ensemble de la zone euro si les autres membres ne s’étaient pas portés à son secours (avec l’argent de leurs contribuables).

La rigueur favorise l’efficacité économique

Une certaine rigueur budgétaire est donc nécessaire non seulement au bon fonctionnement de la zone euro, mais aussi à toute économie qui se veut efficace et performante. En effet, si mettre les dettes en commun en émettant des eurobonds aurait l’avantage d’approfondir la construction européenne et d’augmenter la confiance des investisseurs dans la zone, elle ne saurait servir à monétiser les déficits publics : ce qui ne marche pas au niveau d’un seul état ne fonctionnera pas au niveau supérieur : soit on provoquerait de l’inflation, soit on formerait de dangereuses bulles boursières.

Trois exemples de rétablissement économique par une gestion rigoureuse

Lorsqu’on regarde le détail des pays de l’Union Européenne, on constate d’ailleurs que certains ont obtenu une forte croissance économique tout en menant une politique de gestion rigoureuse des deniers publics et en diminuant le périmètre de l’Etat.

L’Irlande se distingue de manière remarquable. En grande difficulté après la crise de 2008, elle a dû demander l’aide de ses partenaires européens pour financer sa dette, ayant perdu la confiance des marchés financiers. Le gouvernement a mené une politique de baisse des dépenses publiques, en témoigne cet article de l’Expansion de 2010, dont l’alarmisme est assez amusant à lire rétrospectivement : [2]. Suite à la crise, on y apprend que le gouvernement vote une « réduction des allocations familiales, des allocations chômage, [une] hausse de l’impôt sur le revenu, [une] baisse de 12% du salaire minimum, [des] coupes dans le budget de la santé, l’éducation et les transports... pour réaliser son objectif de 6 milliards d’euros d’économie dès l’année prochaine ». L’Irlande a vu son taux de chômage passer de plus de 14% en 2010 à 6,3% en 2017. De plus, elle a connu en 2015 une croissance exceptionnelle de 7,8%, qui s’est poursuivie en 2016 à 5,1% du PIB. Elle est certes artificiellement gonflée par les localisations avantageuses des sièges d’entreprises qui cherchent à bénéficier de sa fiscalité avantageuse pour les sociétés, mais bénéficie malgré tout à la population, en témoigne une hausse conséquente de la demande intérieure. [3]

L’Espagne a également été fortement touchée par la crise économique de 2008 à cause d’une mauvaise allocation des investissements qui a provoqué une bulle immobilière et fragilisé ses banques, et d’une hausse des salaires excessive par rapport à la hausse de sa productivité. Le Monde rapporte en 2012 : « les prestations chômage baisseront de 6,3 %, tandis que l’État attend des rentrées fiscales supplémentaires, tirées notamment de la hausse de la TVA, pour 15 milliards d’euros. Les budgets des ministères seront réduits en moyenne de 8,9 % [...]. Les régions, remises au pas après des années de dérive financière, sont mises à contribution, avec de lourdes répercussions sur les budgets de la santé et de l’éducation, qu’il leur revient de gérer en vertu de leur statut d’autonomie. Les retraités eux aussi sont frappés : [...] les pensions seraient revalorisées moins que prévu. » [4] En 2016, le PIB espagnol augmentait de 3,3%, et le chômage était passé de 25% en 2008 à 17,1% en 2017. La compression de la demande qui a fait suite à la rigueur budgétaire a permis de stopper le déficit commercial : le pays a cessé de consommer plus qu’il ne produisait, et il est redevenu compétitif à l’exportation. Les secteurs d’exportation, notamment le tourisme, ont grandement profité de la modération salariale, qui a judicieusement été accompagnée d’un assouplissement du marché du travail.

Enfin, l’Allemagne touche les dividendes de ses efforts du début des années 2000 : la modération salariale, la flexibilisation du marché du travail et la rigueur budgétaire ont permis une consolidation de l’appareil de production par un renforcement des marges et des investissements des entreprises. Le pays se trouve en excédent budgétaire de 0,8% en 2016, [5] et depuis quelques années les salaires progressent de nouveau. Ils suivent la hausse de la productivité et des excédents commerciaux du pays. Le taux de croissance du PIB se situe à 1,9% en 2016.

Résoudre le problème de la divergence économique entre les économies de l’UE

Reste l’argument des partisans de la dépense publique massive à l’échelle de l’Union Européenne : les grandes régions de l’Union ont tendance à diverger en termes de niveau de vie du fait de la dynamique actuelle de l’économie dans les pays développés, facilitée par l’intégration économique des états membres. Pour assurer l’intégration politique, il faudrait compenser cette divergence en faisant preuve de solidarité.

S’il est légitime de vouloir remédier à une trop grande divergence économique sur l’intégration politique en Europe, cela ne peut se faire en détruisant la compétitivité des régions performantes, ni avec de la fausse monnaie. Un budget européen important peut aider à combler les écarts entre les régions, mais il ne peut être mis en place de manière efficace et viable qu’à deux conditions : – Que son accroissement se fasse en diminuant dans la même proportion les budgets des états. La mutualisation des services d’intérêt général le facilite, parce qu’elle est moins coûteuse : une grande armée européenne coûterait moins cher que les petites armées des états membres tout en étant plus performante. Une police fédérale serait plus efficace et moins coûteuse que les polices de chaque pays travaillant séparément. Il en irait de même pour un parquet fédéral, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et le grand banditisme. – Que la part du budget spécifiquement dédiée à la politique économique soit utilisée pour combler les écarts de compétitivité entre régions. Les investissements en matière de recherche et d’éducation gagneraient à se faire au niveau européen, et à s’effectuer là où il y a un retard à combler : les universités des pays du sud de l’Europe ont besoin de davantage de financements, afin d’enrayer la fuite des cerveaux vers l’Amérique, et de dynamiser l’économie locale. De plus, un financement commun facilitera les synergies entre les universités européennes et la mobilité des travailleurs, renforçant l’effet du programme Erasmus. Un organisme d’apprentissage européen, qui pourrait s’appuyer sur la mise en place du programme Erasmsus+ déjà prévu, permettrait enfin d’envoyer des jeunes français et espagnols se former dans des entreprises allemandes ou suédoises.

Le nouveau régime de croissance, qui combine la diminution structurelle des gains de productivité et une interdépendance croissante des économies, rend nécessaire une gestion rigoureuse des finances publiques et des législations souples en matière de droit du travail. Cependant, un État bien géré dispose toujours de marges de manœuvre lui permettant de faire augmenter le niveau de vie de sa population : il lui faut être efficace et utiliser au mieux ses ressources budgétaires pour maintenir en bon état ses infrastructures, ses institutions et le capital technique et scientifique de la main d’œuvre. Le niveau européen est le plus efficace pour certaines de ces missions, parce qu’il permet des économies d’échelle conséquentes, et renforce ainsi sa légitimité politique.

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