Pourquoi l’entrée de l’AfD au Bundestag était inévitable

, par Théo Boucart

Pourquoi l'entrée de l'AfD au Bundestag était inévitable
Alice Weidel, l’une des deux têtes de liste de l’AfD aux élections fédérales de 2017 lors du congrès du parti en avril 2017, à Cologne. CC - Wikimedia Commons

L’Alternative pour l’Allemagne, le parti populiste et nationaliste allemand, entre au Bundestag pour la première fois de sa courte existence. La situation sociale de la république fédérale rendait cela inévitable. Néanmoins cette entrée ne signifierait-elle pas le début de la chute du parti d’extrême droite ?

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans un pays encore traumatisé par les horreurs nazies du milieu du XXème siècle. L’AfD est devenue dimanche la troisième force politique du Bundestag avec 12,6% des voix, seulement 8 points derrière le SPD de Martin Schulz. Ce succès éclatant pour la formation ultra-conservatrice pourrait cependant leur être préjudiciable à terme car l’envoi de nombreux députés à Berlin met le jeune parti face à ses responsabilités et promesses et lui impose d’adopter la culture du consensus, au risque de tensions internes et de perte de crédibilité.

D’où vient l’AfD ?

L’Alternative pour l’Allemagne (en allemand Alternative für Deutschland, AfD) a été créée en février 2013 par Bernd Lucke, économiste à l’Université de Hambourg, Konrad Adam, ancien journaliste et Alexander Gauland, ancien fonctionnaire de la chancellerie de Hesse. Ce parti fut formé en réaction à la politique économique et européenne d’Angela Merkel et comptait dans ses rangs de nombreux professeurs, écrivains et journalistes opposés au concept de monnaie unique en Europe mais pas au projet européen en lui-même [1]. L’AfD recueillit 4.7% des voix lors des élections fédérales en 2013 et manqua de peu l’entrée au Bundestag. Depuis lors, les succès électoraux s’enchaînèrent aux élections européennes et locales.

La ligne du parti s’est déplacée à droite lors de l’élection en 2015 de Frauke Petry, chimiste et entrepreneur, à la direction du parti face à Bernd Lucke, provoquant le départ d’un nombre important de cadres de la ligne libérale. La crise migratoire et l’accueil de centaine de milliers de réfugiés galvanisa le courant xénophobe de la formation politique, très critique de la politique d’accueil d’Angela Merkel. Au fil des années, l’AfD adopta des positions de plus en plus conservatrices, eurosceptiques et hostiles aux étrangers, achevant sa transformation en un parti d’extrême-droite européenne « classique ».

Ce que les élections de dimanche disent sur l’Allemagne de 2017

Le score éclatant de l’AfD montre une importante fracture sociale et territoriale au sein de la république fédérale d’Allemagne, un pays très souvent érigé en modèle de réussite économique. La croissance allemande a été de 2% en 2016 et le taux de chômage se situe actuellement à 5.7%. Dans le même temps le nombre de Mini Jobs explose et le sentiment d’insécurité et de vulnérabilité à la pauvreté augmente. Selon Eurostat en 2015, 16.7% de la population est considérée comme pauvre selon les standards allemands [2]. Le fossé se creuse entre les « gagnants » et les « perdants » d’une mondialisation difficilement maîtrisée.

La fracture territoriale n’en est pas moins grande : l’AfD est le deuxième parti dans les Länder de l’ancienne Allemagne de l’Est avec 22.5% des suffrages exprimés (elle n’obtient « que » 11% dans les Länder de l’Ouest). La formation d’extrême droite obtient ses meilleurs scores en Saxe avec 27% (le premier parti du Land), en Thuringe avec 23% et dans le Brandebourg avec 20%. A l’inverse, elle obtient à peine 10% à Brême, 9% en Basse-Saxe et 8% dans le Schleswig-Holstein [3]. Les électeurs de l’AfD semblent avoir envoyé un signal à Berlin : le gouvernement ne peut plus ignorer la détresse sociale d’une partie grandissante de la population.

L’AfD risque de ne pas survivre à son entrée au Bundestag

Le système électoral allemand est certes complexe, mais il a le mérite d’être très juste. Ainsi avec près de 13% des voix, l’AfD va envoyer environ 95 députés au Bundestag. A titre de comparaison, le Front National avait réalisé 13.2% au premier tour des élections législatives de juin mais n’a obtenu au final que 8 députés. Si le nombre d’élus AfD est suffisamment important pour conférer au parti une influence certaine, il ne faudrait pas exagérer son poids réel. Le SPD sera selon toute vraisemblance le premier parti d’opposition et pourrait dans certains cas s’allier avec die Linke. L’AfD est actuellement trop à droite pour s’allier avec qui que ce soit au Bundestag (que ce soit les partis du futur gouvernement ou de l’opposition) et la culture du compromis, pilier de la politique allemande, lui est encore étrangère.

Les dissensions internes sont aussi un facteur affaiblissant la capacité de l’AfD à peser sur le travail législatif du Bundestag. Dès 2015, le parti a subi sa première scission à la suite de l’élection de Frauke Petry à la direction du parti. Juste après les résultats de dimanche, cette même Frauke Petry a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas siéger avec ses collègues au Bundestag, jugeant la ligne suivie trop conservatrice. [4] L’AfD fait face à un dilemme de taille : soit elle conserve ses positions au risque d’être marginalisée au Bundestag, soit elle accepte de négocier avec les autres partis, au grand risque de se discréditer aux yeux de ses électeurs. C’est ce qu’a connu le parti nationaliste finlandais, au pouvoir de 2015 à 2017 avec le centre-droit : sa participation lui a non seulement valu la perte de la moitié de son électorat de 2015, mais le parti s’est scindé en deux à la suite de cette expérience [5]. S’impliquer pleinement dans la vie parlementaire impose donc à l’AfD des choix difficilement faisables actuellement.

Ce qu’Angela Merkel doit faire pour éviter une nouvelle poussée de l’AfD

Angela Merkel est quasiment certaine d’être réélue chancelière par le Bundestag à l’issue des négociations du contrat de gouvernement dans quelques mois. L’un de ses principaux défis sera de répondre à la colère exprimée par les électeurs de l’AfD. Sur ces six millions de votants, 1 000 000 viennent de la CDU-CSU, 500 000 du SPD, 500 000 de die Linke et 1 200 000 abstentionnistes de 2013. Cela représente près de la moitié de l’électorat, des gens déçus par la politique traditionnelle mais pas forcément racistes. Le futur gouvernement ne doit en aucun cas les punir, mais bien trouver des solutions pour faire perdre à l’AfD sa raison d’être. L’affirmation d’un engagement fort pour une nouvelle solidarité européenne est également très importante car une Europe qui protège contre les crises économiques et le dumping social aura bien évidemment des conséquences très positives en Allemagne.

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