Pourquoi NewDeal4Europe ? (2)

Après Bretton-Woods et la révolution conservatrice, un nouveau régime mondial de développement

, par Bernard Barthalay

Pourquoi NewDeal4Europe ? (2)
Bernard Barthalay, économiste, fut titulaire de la chaire Jean Monnet (1991-2010) d’économie européenne à l’Université Lumière (Lyon 2).

Bernard Barthalay, économiste, titulaire de la chaire Jean Monnet (1991-2010) d’économie européenne à l’Université Lumière (Lyon 2) et président de Puissance Europe/Weltmacht Europa, prend la plume et nous explique la nécessite d’un New Deal européen, celle du NewDeal4Europe. Seconde partie de l’intervention.

Pour dramatique que soit la situation de l’Europe, elle n’est pas plus désespérée qu’en 1954, 1984 ou 1994, les obstacles ne sont pas moindres et l’ennemi n’est pas moins redoutable.

Se livrer à des parallèles historiques ne manquerait pas d’intérêt, mais le format de ce texte ne s’y prête pas. Un commentaire cursif sur les raisons d’être profondes de NewDeal4Europe suffira.

1) Répété à l’envi, le narratif sur la paix (qui n’est en réalité qu’une paix armée, une trêve au sens de Kant) passe régulièrement à côté de la moitié de la réalité de l’apaisement d’après-guerre en Europe. L’historien Tony Judt défendait à juste titre l’idée qu’à côté de la paix des Etats, l’après-guerre a établi la paix sociale, dont les éléments étaient l’obligation que les Etats s’étaient imposée constitutionnellement de réaliser la croissance et le plein emploi, les régimes de protection sociale et la pratique du dialogue entre les partenaires sociaux et un régime multilatéral, commercial et financier, dit « système de Bretton-Woods ». La Communauté européenne des « pères fondateurs » s’inscrivait dans ce système : , principe de solidarité financière, politiques de cohésion économique, sociale et territoriale, et surtout méthode communautaire (au delà de l’internationalisme classique). Ce contrat social de l’après-guerre est caduc.

2) La révolution conservatrice des années quatre-vingt en est venu à bout. Bien loin du libéralisme classique dont elle se réclame, elle a institué, subrepticement, un nouveau régime de laissez-faire et de chacun-pour-soi, dit « consensus de Washington », par référence aux politiques dictées par le FMI (c’est-à-dire par les créanciers) aux pays endettés, inspirées par un double fondamentalisme : de stabilité budgétaire et d’équilibre budgétaire. Le postulat de rationalité illimitée des agents économiques, la croyance religieuse dans le pouvoir du marché de réaliser la croissance la plus forte possible, et la fable du « ruissellement » qui prétend faussement que la richesse accumulée par quelques-uns finit toujours par abonder le budget des plus pauvres sont devenus la religion universelle, contaminant même la social-démocratie européenne, au point qu’un social-démocrate n’est plus celui qui préfère la redistribution à la prise du pouvoir par la révolution, mais le réformiste social converti à la religion du tout-marché.

3) Ce régime de croissance qui livre l’entreprise à la dictature de la valeur actionnariale déterminée sur les marchés transformés par des modèles mathématiques en « machines à sous » pour le compte des banques, inféode l’industrie à la finance. Ce régime de croissance qui assimile la gestion de la dette souveraine (celle des Etats) à la gestion de la dette d’un particulier et la concurrence des Etats à la concurrence des entreprises jette les Etats européens, et leurs peuples eux-mêmes, les uns contre les autres, dans une guerre de tous contre tous, avec des effets délétères, sensibles au plus profond de nos démocraties dont le tissu social et politique se défait. La crise financière de 2008 a ébranlé ce régime, mais il ne s’est pas écroulé. Les Etats, c’est-à-dire les contribuables, l’ont momentanément sauvé, en sauvant les banques. Et il se perpétue, au prix de la destruction des emplois, de la poursuite d’objectifs de croissance inaccessibles, de la faillite des systèmes de protection sociale, d’une aggravation du risque climatique, d’une polarisation excessive de l’espace européen, d’une impuissance et d’une insignifiance croissantes de l’Europe dans le monde. Une victime collatérale de ce régime est la méthode communautaire, abandonnée au profit de la Unionsmethode, c’est-à-dire du règne du veto, principalement allemand. Ce régime, au lieu d’apprivoiser la souveraineté des Etats, consacre l’imperium du plus riche.

4) NewDeal4Europe est donc ce que Hegel aurait appelé « un concept simple de l’entier ». C’est un condensé de la situation. Il dit à la fois ce qu’on a perdu, ce qui n’est plus possible, ce qui est en travers de la route et ce qu’il faut inventer.

C’est à dessein que NewDeal4Europe est présenté comme un plan extraordinaire. Un régime transitoire de création d’emplois par la conversion énergétique ne viendra pas de la finance, dont c’est le cadet des soucis, mais de l’initiative publique au nom du bien commun, défini au niveau pertinent, qui est européen. Ce n’est pas le régime durable. Dans la durée, le développement ne reposera pas, dans un renversement simple des rôles, sur une finance domestiquée par les institutions représentatives de l’Etat fédéral à naître, mais sur une coexistence équilibrée et évolutive entre a) l’économie marchande, contrainte par le double impératif écologique et sociétal, de soutenabilité et d’équité, b) l’économie négociée autour de la « table » réunissant les agents privés, publics et sociaux, pour répondre à ce double impératif que le marché seul ne peut satisfaire, et c) l’économie circulaire du « commun », du partage collaboratif entre communautés, territoriales ou pas, réelles ou virtuelles, adossées aux technologies du numérique. Cet équilibre ne naîtra pas spontanément. Il exige volonté politique, prospective, prévision, concertation, stratégie, coordination. En un mot, un plan. Ceux qui ont peur du mot, ou bien n’ont pas pris la mesure de l’effort à consentir, ou bien, aveuglés qu’ils sont par des intérêts à court terme, ne veulent comprendre ni la crise de la zone euro, ni les menaces que l’austérité fait peser sur la démocratie. Méfions-nous aussi de ceux qui utilisent le mot « plan » à des fins cosmétiques, pour faire « de gauche » sur la scène tout en cédant aux banquiers dans la coulisse.

Le NewDeal4Europe, porté par les innovateurs, ceux que Spinelli et Rossi opposaient déjà aux immobilistes dans le Manifeste de Ventotene, n’a qu’un ennemi. Et ce n’est pas la finance, qui approche du point de rupture, où la concentration de la richesse, après avoir transformé les citizens en denizens (comme le dit Standing, dans son livre sur le précariat), transformera inéluctablement les ultra-riches en parias, dans un univers d’open data. Une révolution silencieuse a commencé, sans violence armée, celle du scandale de l’ultra-richesse.

Les rentiers n’ont plus qu’un recours, conserver ou prendre le pouvoir par la force et s’en prendre aux réseaux sociaux. Voilà notre adversaire, les rentiers mondiaux des énergies minérales dont l’exploitation conduit à notre perte, pétrole, gaz, nucléaire, et les grosses structures centralisées et pyramidales qu’elles nourrissent. Vous ne les connaissez pas. Mais ils projettent déjà sur la scène politique des professionnels du mensonge, pour qui la conservation ne s’appelle pas rigueur ou austérité, mais statu quo géopolitique et sociétal, habillé en tradition, souvent religieuse, en révolution nationale ou en suprématie raciale. Cette révolution conservatrice-là n’a pas le visage bon enfant de Reagan ou le sourire affable de Thatcher. Elle s’organise autour d’un axe potentiel Poutine-Orban-FN. C’est l’axe de la haine de la démocratie libérale, a fortiori fédérale, née des Lumières. C’est l’axe en Europe d’un néo-fascisme allié au despotisme oriental.

On serait tenté de dire, renversant géographiquement le titre de Remarque, à l’Est rien de nouveau. Avec NewDeal4Europe, il incombait aux fédéralistes d’offrir aux Européens un point de ralliement, pour tous ceux qui ont dressé le constat d’échec du « consensus de Washington » et veulent inventer sur un mode participatif le prochain régime mondial de développement. Si l’histoire enregistre comme un tournant historique le récent discours de Draghi à Jackson Hole, où il s’est prononcé pour un plan d’investissement massifs et pour un rôle accru de la BCE pour stimuler la création d’emplois, alors le troisième régime économique mondial depuis la seconde guerre mondiale, portera peut-être le nom de cette belle vallée du Wyoming. Mais c’est en Europe que ce futur se joue.

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Vos commentaires
  • Le 28 septembre 2014 à 01:09, par Xavier C. En réponse à : Pourquoi NewDeal4Europe ? (2)

    « un double fondamentalisme : de stabilité budgétaire et d’équilibre budgétaire » Dont on n’a pas vu la couleur en France depuis les années 80 !

    Et COMME PAR HASARD, les États qui ont un budget stable et équilibré, qu’ils optent pour une politique redistributrice ou frugale, sont ceux qui s’en sortent le mieux, surtout sur le long terme.

    Inutile d’aller chercher plus loin.

  • Le 28 septembre 2014 à 19:02, par tnemessiacne En réponse à : Pourquoi NewDeal4Europe ? (2)

    @Xavier C

    Mais il n’y a pas d’alternative à la « purge » ? Ce n’est que qu’une question de délais ?

    Le pour le contre. Peut-être qu’un « économiste » (étudiant ou sympathisant) peut répondre à cette difficile question.

    En 97 et 2007 il y avait un certain déficit et 3 % de croissance avec un chômage en légère baisse.

    Le changement idéologique après la belle époque, 1929, 1945 et 1971. La nouvelle révolution industrielle, écologique, numérique et, démocratique. L’avènement de l’Union européenne

  • Le 29 septembre 2014 à 03:44, par Xavier C. En réponse à : Pourquoi NewDeal4Europe ? (2)

    Pourquoi parlez-vous de « purge » ?

    Un État peut avoir un budget très faible ou un peu budget très élevé (nombreux services par exemple), peu importe. Mais est-il si dingue de penser qu’il faut avoir un budget équilibré ? Qu’il est fondamentalement malsain d’avoir un budget instable et déficitaire à répétition ?

    Mon point reste le suivant : M. Barthalay parle d’un fondamentalisme budgétaire (stabilité et équilibre) 1) comme si cela était mauvais (prône-t-il l’instabilité et le déficit ?) et 2) comme si c’était la règle (qu’on me montre donc les pays qui sont « victime » de ce fondamentalisme..... quel pays peut aligner 30 ans de budget à peu près équilibré ?).

    Bref. C’est le fantasme total. Et NewDeal4Europe est donc basé sur un fantasme.

    Il convient d’être lucide et réaliste : nos problèmes actuels proviennent en partie de ce déficit et la solution, sur le long terme, réside dans un budget équilibré. Encore une fois, cela n’influe pas sur le « modèle » : on peut opter pour un État frugal qui ne s’ingère pas dans l’économie ou bien un État très dépensier qui redistribue à tour de bras.

    Tout le reste, avec leur belle économie numérique et écolo, c’est de l’esbroufe. Ils achètent une éphémère sacro-sainte croissance sur le dos de nos enfants, c’est scandaleux.

  • Le 1er octobre 2014 à 11:37, par Bernard Giroud En réponse à : Pourquoi NewDeal4Europe ? (2)

    Excellent article fondamental , Bernard.

    Un point cependant : je ne vais pas prétendre à la puissance excessive d’un Poutine –Orban FN, ;Ceux ci ne sont que le reflet de l’épaisseur du cerveau de certains de nos compatriotes (ici ou ailleurs) égale à un pois chiche.

    La raison de ce désordre est beaucoup plus profond et humain : Il réside dans l’homme lui-même, dans chacun d’entre nous ; D’une façon ou d’une autre, en ayant trop peur d’un avenir que nous avons peine à imaginer ou à construire, nous organisons notre propre enfermement.

    Tout sujet nouveau, toute adaptation nouvelle est toujours susceptible de ne pas aboutir ; C’est du moins ce que l’on croit , lorsque l’on est en amont de ce qui nous parait une montagne.

    En fait il faut avoir le courage de se jeter à l’eau, de casser certains principes, les modifier, les améliorer. En cours de route, l’on s’aperçoit que la vérité industrielle des 85% d’amélioration de l’invention, s’accomplit en cours de route, au cours de la réalisation de cette amélioration, "au fil de l’eau" ; Il faut toujours compter aussi avec le « hasard », idée qui n’est ni plus ni moins celle du sens de l’adaptation rapide, aux circonstances.

    Donc OK pour dire « Niet » à l’impérialisme dogmatique du sacro saint véto ; (Cependant la rigueur allemande est parfois utile) ; Mais il faudra, par ex. bien réexpliquer à tous et chacun que chaque fois, que l’on intervient, en un lieu ou région, sur le plan du commerce (par ex). on s’en rend solidaire, et que si « je permet à tes vaches de venir brouter, un moment, dans mon pré, notre intérêt commun, c’est de le faire repousser ».

    L’analyse est bonne comme je te l’ai dit ; C’est maintenant l’application de la nouvelle direction qui est à définir et à mettre en œuvre ; C’est à mon avis, plus complexe qu’un simple description telle que formulée dans l’ICE, UEF  ; Cette nouvelle direction va nécessiter de trouver les cerveaux, les géniaux, les généreux, dans l’industrie, grands ou petits, ou dans l’initiative publique, , qui seront capables de la mettre en œuvre en la prenant à bras le corps ; Il faudra que nous y participions en « pataugeant » parfois.

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