Des avancées sur le numérique
C’était donc au tour de l’Estonie de prendre la main sur l’agenda européen. Les fonctionnaires estoniens ont pu travailler pendant six mois sur les priorités définies par leurs responsables politiques et tenter d’imposer leurs préoccupations, en premier lieux desquelles on retrouvait le numérique. Après avoir organisé plus de 275 événements et dirigé plus de 1 200 groupes de travail à Bruxelles, l’Estonie est parvenue à faire adopter par le Conseil le règlement sur la libre circulation des données, qui vise à terme à créer un marché unique du stockage et du traitement de données. Elle qui a fait du digital son image de marque, avec la mise en place de concepts novateurs comme celui de e-residence ou le développement très poussé de l’e-administration, a donc tenu l’un de ses objectifs principaux.
Mais ce « champion du numérique » n’a quand même pas fait le poids face au couple franco-allemand, qui a repris la main lorsqu’il s’est agi de proposer une taxation sur les géants du numérique. L’Estonie a été arrêtée à mi-chemin dans la réalisation de ses ambitions digitales, laissant au passage douter de sa capacité réelle à faire bouger les lignes politiques européennes face aux Etats membres les plus puissants.
Une influence finalement limitée
Le contexte politique a également été favorable à l’Estonie sur le sujet autrement plus sensible de l’immigration. Bien que la résolution des causes profondes de la crise migratoire ait été considérée comme la principale ligne d’action de l’Estonie au niveau de l’UE (42% de la population de l’Etat balte l’ont mentionnée parmi les deux activités les plus importantes), elle a été incapable de faire avancer la réforme du « règlement Dublin III », qui définit les procédures de demandes d’asile. Le fait que le nombre de migrants arrivant en Europe ait diminué pendant le mandat estonien, a aidé le sujet à sortir du centre de l’attention politique européenne.
Le bilan est également mitigé sur les questions environnementales. Si Tallinn enregistre de nombreux succès, comme les avancées dans les négociations sur la correction de la directive encadrant le système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (ETS), le Bureau européen de l’environnement ne manque pas de souligner que « les résultats s’avèrent décevants car ils ne permettront pas à l’UE de remplir ses engagements pris lors de l’Accord de Paris ». [2]
Le système de présidence tournante mis en cause
Le bilan politique de la présidence estonienne apparaît donc bien terne au regard des enjeux du numérique ou des migrations. Cependant, difficile d’en vouloir à l’Etat balte qui n’a pu agir que dans les limites très restreintes que lui autorise son rôle de président du conseil de l’Union européenne. Inefficace du point de vue de la gouvernance, cette présidence tournante reste quand même un moyen de communication à ne pas négliger pour des petits Etats en quête de visibilité. Au moins de ce côté-là, le pari est gagné pour l’Estonie qui a réussi à consolider son image de champion du numérique dans l’Union et a également réussi à faire parler d’Europe à l’intérieur de ses frontières. Une étude [3] révèle que 61% de la population considère que la présidence estonienne a été un succès.
Pour redonner tout son sens à la fonction de présidence de l’Union européenne, en tant que pouvoir exécutif, il faudra savoir dépasser la logique intergouvernementale actuelle symbolisée par le poids disproportionné qu’a pris le Conseil européen. Le système qui prévaut aujourd’hui doit laisser la place à un réel pouvoir exécutif, avec une présidence de l’UE assurée, par exemple, par le président de la Commission européenne. Sans le dépassement de l’Europe des Etats et l’évolution vers une union fédérale, ce sont les Etats qui continueront à gagner au détriment des citoyens européens.
Suivre les commentaires : |