Une position ferme du Parlement Européen face à un Conseil balbutiant
Par la décision de remettre le Prix Sakharov 2020, l’équivalent du Prix Nobel de la paix remis par le Parlement Européen, ce dernier confirme sa position gravée dans sa résolution 2020/2779 où il rejetait le résultat des élections, demandait des sanctions, y compris contre Aleksandr Lukashenko, Président depuis 1994 sans interruption.
Dans le même temps, on observe un Conseil Européen divisé sur la marche à suivre : globalement, celui-ci partage le même constat que le Parlement Européen, mais butte sur les moyens de sanction. Emmanuel Macron, avec Angela Merkel, ont d’abord demandé une médiation européenne, sous l’égide de l’OSCE et avec la Russie , discours réaffirmé à Vilnius lors de sa rencontre avec Svetlana Tsikhanovskaya, La Pologne et la Lituanie se sont montrées ferme dès le début. Puis Chypre refusait de voter les sanctions contre le régime bélarusse tant qu’il n’y avait pas de sanctions contre les explorations sous-marines de la Turquie dans ses eaux territoriales. En plus de cela, la peur de revivre un scénario ukrainien bis (révolution, démission de Ianoukovitch suivi de l’annexion de la Crimée et du Donbass par la Russie) inspire énormément de prudence de la Commission européenne et du Conseil Européen.
Qui sont les récompensés du Prix Sakharov ?
Tout d’abord, un trio de femmes : Svetlana Tsikhanovskaya, Veronika Tsepkalo et Mariya Kalesnikava. La première est la femme de Siarheï Tsikhanovski, blogueur qui dénonçait la gestion de la crise de la COVID, mais au-delà de ça, faisait le tour des territoires pour donner de la voix à la colère qui grondait dans le pays, inculpé pour trouble à l’ordre public à cause de ses meetings. Elle prendra la suite de son mari en devenant candidate. La deuxième est la femme de Valery Tsepkalo, ancien ambassadeur du Bélarus et qui s’était transformé en businessman à succès dans l’informatique. Puis la dernière n’était autre que la directrice de campagne de Viktar Babaryka, ancien PDG de Belgazprombank, lui aussi candidat, mais inculpé pour blanchiment d’argent.
Ensuite, il reconnaît l’impact du Présidium du conseil de coordination (Координация Рада, Koordinatsiya rada), plateforme du mouvement d’opposition au régime, où tout citoyen peut s’inscrire. Ils peuvent y soutenir les propositions du conseil, comme la libération des prisonniers politiques, l’annulation des élections et la convocation de nouvelles sous supervision internationale et l’application de valeurs démocratiques, le tout avec déjà une esquisse de programme pour la suite. On y trouve la prix Nobel de littérature 2015 Svetlana Aleksievitch, le chef du comité de grève de MTZ (Fabriquant public de tracteurs) Siarheï Dylevski, La Présidente du Parti Chrétien démocrate bélarusse Volha Kovalkova.
Puis enfin, des opposants historiques. Ales Bialiatski, fondateur de l’ONG Viasna (le printemps), qui est pionnière dans la lutte pour les droits de l’Homme (notamment l’abrogation de la peine de mort), la défense des persécutés politiques avec un fonds de soutien et la récolte des témoignages des violences policières et de la torture. Bialiatski est d’ailleurs surnommé « le Sakharov bélarusse ». Et Mikalaï Statkievitch, ancien Président du Parti Social-Démocrate bélarusse, candidat à la présidentielle en 2010, emprisonné à de maintes reprises, notamment de 2011 à 2015, puis régulièrement par la suite, dernièrement arrêté alors qu’il se rendait à un meeting de Svetlana Tsikhanovskaya. Il est actuellement écroué et risque 3 ans de prison.
Un prix comme un message politique
Symboliquement, le Parlement Européen affirme son soutien plein et entier à une opposition à une dictature aux portes de la frontière extérieure de l’Union Européenne, qui semble épouser les valeurs énumérées à l’Article 2 du Traité de l’Union Européenne : L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.
On y retrouve Viasna qui a subi de nombreuses pressions et interdictions depuis sa fondation en 1996, notamment son fondateur, Ales Bialiatski, sera poursuivi en 2011 et condamné quelques mois après pour évasion fiscale pour avoir transféré le compte bancaire de l’ONG en Pologne et en Lituanie. Viasna s’était déjà vu dissoute officiellement en 2003 et cette condamnation a permis de saisir les bureaux de l’association. Il ne ressortira de prison qu’en 2014 au bénéfice d’une amnistie et d’un dialogue avec l’UE qui se soldera par la libération de Statkiévitch et du relâchement des sanctions européennes.
C’est la première fois que l’on voit des personnalités qui ont profité du régime se présenter contre le régime : Valery Tsepkalo, ancien ministre des affaires étrangères devenu homme d’affaires, ou encore Pavel Latushko, membre du Présidium du Conseil de coordination qui a été quant à lui Ministre de la culture et ancien ambassadeur en France.
Pour ce qui est de la représentation démocratique, on voit Volha Kovalkova dans les heureux élus du prix Sakharov, elle qui représente les démocrates-chrétiens. Les églises aussi sont des lieux de contestations. Beaucoup de mouvements politiques se sont agrégés alors que c’était toujours extrêmement difficile.
On peut d’ailleurs percevoir ce prix comme un message à l’intention de certains pays de l’UE, notamment à la Pologne et la Hongrie qui se battent pour que les fonds européens ne soient pas conditionnés au respect des valeurs démocratiques. C’est une révolution des femmes qui s’élève alors que ces 2 pays s’opposent à la Convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes. La Pologne se dresse d’ailleurs contre le premier défenseur de la démocratie au Bélarus. Un message certainement aussi destiné aux chefs d’Etat et leur gestion de la crise des réfugiés, notamment le groupe de Visegrad qui s’était mis d’accord sur les conclusions de Bratislava d’avoir la liberté d’accueillir les réfugiés s’ils le voulaient, et la Pologne aujourd’hui accueille des réfugiés politiques bélarusses, révélant une solidarité européenne à géométrie variable.
Aussi, c’est un message diplomatique adressé à Aleksandr Loukashenko, la non-reconnaissance de son élection, mais aussi à Vladimir Poutine et ses intentions expansionnistes et son interventionnisme dans le cadre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (Héritière du Pacte de Varsovie) mais aussi des traités d’union entre les 2 pays signé en 1997 et 1999 qui sont le point de départ des velléités d’intégration pleine et entière du Bélarus à la Fédération de Russie.
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