Protestations en Serbie : atteintes à la liberté de la presse et corruption entre autres enjeux

, par Juuso Järviniemi, Traduit par Lorène Weber

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Protestations en Serbie : atteintes à la liberté de la presse et corruption entre autres enjeux
Photo : Flickr - Ignacio - CC BY-NC 2.0

Si manifestations des gilets jaunes occupent l’espace médiatique français depuis plusieurs mois, un autre pays européen connaît des protestations depuis la fin de l’année dernière. En Serbie, jusqu’à 50 000 manifestants se réunissent chaque semaine. Cependant, le président serbe Aleksandar Vučić a déclaré que même si cinq millions de Serbes allaient dans la rue (le pays compte sept millions d’habitants), il ne cèderait pas à leurs demandes.

Les manifestations, organisées sous le nom #1od5miliona (un sur cinq millions), sont soutenues par l’« Alliance pour la Serbie », un groupe rassemblant une trentaine de partis politiques et d’ONG. Les manifestations hebdomadaires ont commencé après l’agression en novembre dernier de Borko Stefanović, homme politique de l’opposition.

A l’issue de l’élection législative de 2016, le parti conservateur de Vučić, le Parti progressiste serbe, a remporté 48% des voix et une majorité de 131 sièges (sur 250) au Parlement. Les partis de l’opposition ont accusé le parti au pouvoir d’avoir bourré les urnes, alors que les observateurs de l’OSCE ont rapporté que des travailleurs du secteur public avaient subi des pressions pour voter pour le parti majoritaire.

Selon un rapport de la Freedom House, l’élection présidentielle de 2017, remportée par Vučić pour un mandat de cinq ans, a été assombrie par des allégations d’achat de voix, entre autres choses. Qui plus est, Vučić demeure le chef du parti tout en état Président du pays, ce qui est contraire à la Constitution.

La sécurité des journalistes menacée

Selon Reporters Sans Frontières (RSF), la Serbie est devenue un pays où il est dangereux d’être journaliste. Le pays est à la 76ème place du Classement mondial de la liberté de la presse 2018 dressé par l’organisation. RSF mentionne des attaques contre des journalistes n’ayant jamais fait l’objet d’une enquête ou étant restées impunies. La Freedom House, elle, cite le rapport de l’Association des journalistes indépendants de Serbie selon lequel, en 2017, 92 attaques (verbales et physiques) contre des journalistes ont été listées.

Par ailleurs, des fonds publics ont été alloués à des médias pro-gouvernementaux via des procédures obscures. Dans le même temps, les médias de l’opposition ont dû fermer suite à des « inspections financières » ayant conduit à de lourdes amendes pour des journaux tels que Novine Vranjske, ayant dû fermer en 2017.

La corruption et les attaques contre l’indépendance judiciaire soulèvent des inquiétudes

Dans l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, la Serbie est à la 87ème place mondiale. L’emprise du gouvernement sur le pouvoir judiciaire est une question pressante, en particulier au vu des discussions sur les propositions de modifications constitutionnelles en 2018. Entre autres choses, ces changements autoriseraient le Parlement à désigner et congédier les membres de la Cour constitutionnelle, ce qui a suscité des critiques à l’international.

Un exemple récent de corruption présumée concerne les illuminations de Noël à Belgrade, dont le coût s’est élevé à plusieurs millions. En décembre dernier, le Guardian rapportait que les conditions fixées par la municipalité pour ces illuminations étaient très spécifiques, et n’étaient remplies que par un seul fournisseur en Serbie comme si les règles avaient été spécifiquement écrites pour lui.

Sur l’Indice de perception de la corruption, la Serbie est en net recul, et selon Transparency International, cela pourrait continuer si le gouvernement continue à ébranler des institutions visant à faire respecter l’état de droit.

Quelles perspectives pour la Serbie ?

Les manifestants du mouvement #1od5miliona demandent un gouvernement de transition pour un an, le temps d’établir une élection juste et équitable. Dans la mesure où la coalition de partis et de groupes derrière ces manifestations est composée d’idéologies différentes, ces groupes ne se rassembleront pas sous une même manière ; ils seront en désaccord sur les politiques à mener, mais ils travaillent actuellement ensemble sur des problèmes fondamentaux et systémiques. Maja Bjeloš de l’Institut d’études de sécurité de Prague, écrit que l’idée d’un « gouvernement d’experts » demeure encore « loin d’être faisable », et que le succès des manifestations dépendra de la capacité de l’opposition de formuler une alternative au gouvernement actuel.

La Serbie est candidate à l’adhésion à l’Union européenne depuis 2012, et la question du Kosovo a notamment été un frein principal à son adhésion. Des négociations portant sur des échanges de terres, qui donneraient à la Serbie les terres à majorité serbe du Kosovo, et au Kosovo les terres à majorité albanienne de la Serbie, se poursuivent, et pourraient ouvrir la voie vers la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo. Néanmoins, des observateurs craignent que cet échange de terres ouvre une boîte de Pandore dans une région de l’Europe où les frontières nationales sont à la source de sérieux conflits.

Dans tous les cas, Maja Bjeloš affirme que le Président serbe Aleksandar Vučić est considéré par beaucoup de diplomates occidentaux comme un garant de la stabilité des Balkans occidentaux. En marge des capacités de l’opposition nationale, elle souligne la capacité de Vučić de maintenir la légitimité internationale comme un facteur clé de son futur politique. Selon ses dires, « en Serbie, ce qui compte, c’est la légitimité extérieure ».

En d’autres termes, ce qui importe, c’est si la communité internationale et européenne choisit de fermer les yeux ou au contraire d’élever la voix au nom de la liberté.

Du 18 au 24 février, les Jeunes Européens Fédéralistes organisent une semaine de campagne « Democracy Under Pressure ». Cette campagne appelle les citoyens européens à défendre la démocratie et à s’exprimer pour ceux qui ne le peuvent pas. Plusieurs articles seront publiés dans les jours à venir sur les différentes éditions linguistiques de notre magazine, en lien avec ces sujets.

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