Quand l’Union européenne n’est plus qu’accessoire aux yeux des États-Unis

, par Traduit par Julien Hagelstein (ULG-HEL, Liège, Belgique), Isabel Lerch

Quand l'Union européenne n'est plus qu'accessoire aux yeux des États-Unis

« Fuck the EU » - Ce propos gênant de la diplomate américaine Victoria Nuland a entraîné une vague de scandale politique il y a plus de deux semaines. Et pourtant, ce faux-pas rhétorique de diplomatie de la part des États-Unis reflète non seulement la complexité de la situation en Ukraine, mais permet également de comprendre en un clin d’œil de l’idée que se font les États-Unis de l’Union européenne et du rôle que celle-ci joue à l’international. Un commentaire.

Il ne faut jamais retirer une phrase de son contexte. Voilà ce que l’on nous serine à l’école dès l’apprentissage de la technique de citation des sources. Et pourtant : certaines déclarations sont tellement fondamentales et explicites que, même isolées, elles en disent long. « Fuck the EU » en fait partie.

Petit retour en arrière : il y a peu, Victoria Nuland, chargée des affaires européennes, s’entretenait confidentiellement au téléphone avec Geoffrey Pyatt, l’ambassadeur américain en Ukraine, pour traiter de pistes de solution à la crise politique ukrainienne. Une conversation tout à fait usuelle entre diplomates, donc, à cette différence qu’elle faisait l’objet d’un enregistrement et que cette phrase en est ressortie : « Fuck the EU ». En faisant fi des règles de citations des sources et en la retirant de son contexte, le lecteur se pose une question fondamentale : les États-Unis se sentent-ils politiquement supérieurs, et si oui, dans quelle mesure, à l’Union européenne ? Cette question vaut la peine que l’on s’y intéresse : Comment les Américains perçoivent-ils le rôle que joue l’Europe dans le monde ?

L’Union européenne : géant économique et avorton politique ?

Depuis sa création, l’Union européenne doit lutter contre le préjugé selon lequel elle est un géant économique, mais un avorton politique. Cette perception trouve ses racines dans l’histoire : aux balbutiements de la Communauté européenne, la coopération économique entre les États membres était favorisée, et ce, même si le projet d’une Europe commune fût porté dès le départ par la vision ambitieuse d’une communauté européenne politique et de valeurs.

La Communauté européenne du charbon et de l’acier jeta les fondements d’une coopération économique. L’idée au cœur de cette communauté était que les États membres ne se feraient plus la guerre s’ils étaient liés entre eux par des intérêts économiques. Cette interdépendance économique devait également assurer la stabilité politique ainsi que la paix sur le continent européen. Et le projet se concrétisa : l’union politique de l’Europe arriva.

Aucun paradigme commun de politique étrangère jusqu’ici.

Ce modèle d’intégration européenne est resté tel quel. L’unification des États membres est d’abord économique, et ensuite politique. Cette intégration disparate se fait surtout ressentir dans la perception de l’Union européenne sur la scène internationale. Économiquement, l’Union agit comme un seul État : fermée vers l’extérieur dans ses relations commerciales et unie vers l’intérieur grâce à un marché commun. Néanmoins, d’un point de vue politique, elle ne s’est jamais montrée aussi fermée qu’un État. Certes, il existe une politique étrangère et de sécurité commune (la PESC), dont le visage est celui de Catherine Ashton, Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangère et la politique de sécurité. Cependant, la baronne Ashton n’est pas une ministre des Affaires étrangères comme les autres, et un paradigme commun de politique étrangère fait toujours défaut, parce que les différents intérêts nationaux et les traditions en matière de politique étrangère sont bien trop hétérogènes.

C’est sur ces deux piliers (la force économique et la politique étrangère européenne toujours immature) que repose la perception américaine de l’Union européenne. Son rôle dans le monde est incontestable : sur le plan international, elle est la plus grande puissance commerciale et détient la deuxième devise mondiale. Elle est également le principal bailleur de fonds dans le domaine de l’aide au développement, en investissant annuellement sept milliards d’euros pour des mesures d’aide dans les pays en développement. Cette position économique forte ne fait pas seulement de l’Union un partenaire commercial indispensable, mais lui confère également une prétention au pouvoir. Les États-Unis en sont bien conscients.

De faibles signaux politiques

Pourtant, comme le montre très clairement ce nouvel exemple de crise politique en Ukraine, l’Union européenne ne profite pas (encore) de cette responsabilité politique internationale. Alors que les États-Unis défendent un avis politique fermé vers l’extérieur, ils ne peuvent compter sur des signaux politiques clairs de la part des Européens. Ce manque d’efficacité dans les décisions de politique étrangère ternit le rôle international de l’Union et, donc, sa réputation auprès des États-Unis, qui restent encore et toujours son principal partenaire. L’ère de l’auto-découverte politique devrait aboutir le plus rapidement possible à une politique étrangère plus cohérente dans l’Union européenne. Si tel n’est le cas, celle-ci risque de perdre son importance auprès de concurrents internationaux, tels que les pays BRICS, et, ce faisant, l’attrait qu’elle représente pour les États-Unis.

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