Quelle place pour l’Union européenne dans le processus de paix afghan ?

, par Florian Laur

Quelle place pour l'Union européenne dans le processus de paix afghan ?

La chute du régime taliban en novembre 2001 a provoqué un regain d’optimisme à la suite d’une longue période de guerre et d’instabilité politique. En effet, la mise en place de la République islamique d’Afghanistan soutenue par les Nations-Unies en 2004 et l’élection du président Hamid Karzaï semblaient conduire le pays vers une relative reconstruction. Néanmoins 19 ans après le régime taliban et 5 ans après le départ officiel de la majorité des forces internationales, la situation semble à nouveau se détériorer avec une recrudescence des attaques talibanes et un pays qui ne parvient pas à trouver une issue au conflit. C’est dans ce contexte que l’Union européenne cherche sa place dans le processus de paix afghan dont la question a été abordée lors du dernier Conseil des affaires étrangères du 29 mai dernier, à côté des États-Unis qui semblent avoir la mainmise sur le dossier.

Les États-Unis et la solution armée : une issue impossible

Pour bien comprendre la prédominance des États-Unis dans le dossier afghan, il faut revenir aux attentats du 11 septembre 2001 revendiqués par Oussama Ben Laden, chef d’Al-Qaida. En effet, ces attentats, les plus meurtriers à ce jour, vont conduire l’administration Bush à lancer la « guerre contre le terrorisme ». Les talibans qui étaient alors au pouvoir en Afghanistan depuis 1996 sont soupçonnés d’abriter et de protéger Oussama Ben Laden et ses sympathisants. Les États-Unis, alors en quête d’une revanche, vont, avec le Royaume-Uni, mener l’opération Enduring freedom qui va entraîner la chute des talibans fin 2001. Cette opération menée par les américains se fait en toute indépendance des organisations internationales, elle va d’ailleurs se poursuivre en parallèle de la mission de l’OTAN. Ce n’est que par la suite que les Nations-Unies vont adopter à l’unanimité la résolution 1386 qui entraîne la création de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) dont le commandant est confié à l’OTAN, et appuyé par des pays partenaires à l’organisation.

Néanmoins, ce changement de régime n’a pas réduit au silence l’opposition talibane. Celle-ci a repris ses méthodes de guérilla datant du premier conflit contre l’URSS. À partir de 2006, l’organisation va réussir à se restructurer et va reprendre une guerre plus formelle contre les troupes de la FIAS. Les américains ont fourni des efforts considérables dans cette guerre qui est la plus longue de leur histoire. Les efforts militaires ont été conséquents avec un déploiement de plus de 150 000 militaires sur le terrain au plus fort de leur intervention. Sur le plan des aides financières, là encore les américains sont en tête, le SIGAR (special inspector general for Afghan reconstruction) estime que plus de 136.97 milliards de dollars ont été distribués depuis 2002 pour la reconstruction du pays. La majorité des fonds (86.38 Mds de dollars) ont été cependant dirigés pour la sécurité.

Cette forte intervention américaine ne semble pas porter ses fruits. En effet, la FIAS, portée par les américains n’arrive pas à maintenir la paix et à contrôler l’ensemble du territoire (les talibans sont actifs dans plus de 60% du territoire afghan). L’autorité de Kaboul, qui est perçue comme aux mains des américains, se voit alors remise en cause, d’autant plus que les provinces les plus reculées qui ne voient pas arriver les aides nationales et internationales se tournent vers les talibans. Cette guerre afghane menée par les forces internationales s’est donc très vite enlisée, perdant alors de la visibilité dans les médias occidentaux, qui se contentait de ne relayer alors que les soldats blessés ou morts, ce qui a entrainé de facto une impopularité croissante du conflit auprès des populations occidentales.

Le retrait d’une grande partie des troupes internationales entre 2012 et 2015 s’accompagne alors d’un changement de mission, la mission FIAS est remplacée le 1er janvier 2015 par la mission Resolute support qui a surtout pour objectif de former et d’accompagner l’armée afghane mais cela n’a pas entraîné de réels changements sur la situation sur le terrain si ce n’est un renforcement des talibans face à une armée afghane qui ne parvient pas à se structurer et à assurer son rôle dans l’ensemble du pays. Cette mission a eu pour effet de retirer une grande partie des troupes internationales en donnant l’impression par une passation aux autorités afghanes que le conflit était résolu.

La solution militaire paraît dès le début du conflit vouée à l’échec. En effet, elle fut nécessaire pour renverser le pouvoir taliban en 2001, mais elle n’a pas été suivie ensuite d’une mission civile portant sur un règlement pacifique du conflit. Cette situation paraît sur la forme un peu similaire à la guerre contre l’URSS de 1979 et 1989 menée les talibans (et les moudjahidine) qui pourtant bien moins équipés ont par une meilleure connaissance des lieux et avec un certain soutien de la population résisté à l’armée rouge.

Un accord de paix États-Unis-Talibans : une solution viable ?

L’annonce d’un accord de paix le 29 février dernier à Doha entre les États-Unis et les talibans a marqué un véritable revirement dans la stratégie américaine. Donald Trump souhaitait dès son élection entraîner un désengagement des troupes américaines en Afghanistan et dans le reste du monde. Cet accord est historique mais surtout symbolique (c’est l’une des rares fois où la première puissance mondiale signe un véritable accord avec un mouvement insurgé). Il montre aussi que les États-Unis sont bien les maîtres du jeu, les partenaires de l’OTAN ainsi que le gouvernement afghan qui bien que mentionnés dans l’accord, n’ont pas eu une place importante dans les négociations. Par ailleurs cet accord est critiqué, notamment sur sa viabilité. Georges Lefeuvre chercheur associé à l’IRIS et spécialiste de l’Afghanistan met en garde face à cet accord, il souligne notamment qu’aucune des dispositions n’ont pu être mise en œuvre dans les trois derniers mois, qu’un cessez le feu n’est mentionné qu’une fois dans le texte en vue d’un dialogue intra-afghan. Il pointe aussi du doigt que cet accord semble surtout être une porte de sortie pour les États-Unis du conflit pour ne pas faire passer leur retrait pour une cuisante défaite après de lourdes pertes humaines et financières.

Le processus de paix afghan : une opportunité à saisir pour l’Union européenne

L’accord États-Unis-Talibans montre bien que les États-Unis ont toujours eu une place centrale dans la gestion du conflit afghan et cela pourrait laisser suggérer que les européens n’ont pas réellement eu (ou pu trouver) leur place dans ce conflit. Pourtant, les États-membres se sont préoccupés dès le début de la question afghane. Ils ont répondu présent pour rejoindre la FIAS en 2001 (25 pays de l’UE engagés). Néanmoins, l’Union européenne en une seule entité n’a jamais su s’afficher pleinement dans le conflit. Les pays se sont en effet surtout tenus à leurs engagements otaniens et onusiens. Ce manque de coopération au niveau militaire a d’ailleurs été soulevé, reprochant aux européens de seulement suivre les politiques américaines. La mission de police EUPOL Afghanistan a pourtant été lancée en 2007 et poursuivie jusqu’en 2016 dans le cadre de la PSDC avec pour objectif une formation des agents de police afghans. Mais cette mission n’a pas réellement atteint les objectifs escomptés comme le révèle cette étude de 2017 qui indique que la mission a subi des problèmes tant internes qu’externes en faisant face à un manque de coordination que ceux soient entre les partenaires européens sur les objectifs de la mission, mais aussi notamment avec la concurrence de missions américaines.

C’est sur le plan purement civil que l’Union européenne a un rôle déterminant à jouer. En effet, un article de The Diplomat fait état de nombreuses améliorations sur la gouvernance avec une amélioration économique liée en partie aux aides européennes. Ou encore un très bon travail de la mission d’observation électorale de l’UE lors des élections présidentielles de 2009 avec la découverte de 1.5 millions de bulletins suspects. De plus les relations entre le gouvernement afghan et l’Union européenne sont très cordiales, comme en témoigne l’accord de coopération signé le 16 novembre 2016 qui insiste notamment sur des partenariats économiques.

Le retrait progressif qui s’amorce pour les américains peut alors ouvrir une opportunité unique pour l’Union européenne de mettre à profit ses outils pour améliorer l’État de droit et la stabilité des institutions par ses missions de soutien aux autorités locales. On peut prendre pour exemple la mission EULEX Kosovo qui est venue compléter sur les plans civils, la mission KFOR de l’OTAN bien qu’elle soit critiquée pour des soupçons de corruption.

La mise à l’ordre du jour de la question afghane, lors du dernier conseil des affaires étrangères le 29 mai dernier, témoigne bien d’une volonté de s’affirmer sur le dossier pour ne pas laisser un vide après le départ des américains qui profiterait aux puissances voisines (Russie et Chine notamment) mais aussi aux talibans. Les conclusions qui en sortentd’ailleurs bien aller dans ce sens appelant toutes les parties en présence au dialogue et rappelant les objectifs de la stratégie de l’UE sur l’Afghanistan établis par la commission européenne en 2018.

L’Union européenne ne doit pas être réticente à prendre en main une telle mission, en se détachant de la tutelle américaine, pour travailler en pleine coopération avec le gouvernement afghan mais aussi avec les talibans qui ne peuvent être ignorés. Il faut arriver à mettre en place un régime stable capable de ne plus dépendre des aides internationales et d’être acteur de son propre maintien de la paix pour lutter efficacement contre les menaces notamment celles du développement de l’État islamique à l’est et plus récemment du coronavirus qui a montré les faibles infrastructures de santé dans le pays. Ce cheminement prendrait alors sa place dans le développement actuel de la doctrine de la politique étrangère de l’UE qui se tourne vers une résolution des conflits plus diplomatique que militaire (qui elle reste confiée aux États-membres et à l’OTAN) avec un réel accompagnement post-conflit.

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