Les événements des sept dernières années ont cependant rapidement remis en question cette politique multivectorielle. Suite à la décision de l’ancien président Viktor Ianoukovitch de rompre les négociations sur un projet d’association avec l’Union européenne - en vue de conclure des accords sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union douanière des anciennes républiques soviétiques - de grandes manifestations pro-européennes avaient éclaté sur la place Maïdan de Kiev, conduisant à la destitution de M. Ianoukovitch. Avec la crainte de voir le nouveau gouvernement ukrainien de Petro Porochenko intégrer le giron occidental, Vladimir Poutine avait décidé d’annexer la Crimée et de soutenir les groupes séparatistes russophones du Donbass pour faire sécession de l’Ukraine. Cette intervention a fait basculer durablement l’Est de l’Ukraine dans le conflit entre les insurgés de Donetsk et Louhansk et l’armée ukrainienne.
Depuis lors, des tentatives de cessez-le-feu ont été menées par la France et l’Allemagne. Le plus récent, signé le 27 juillet 2020 - généré par la volonté de Kiev et de Moscou de rechercher une solution politique au conflit - avait au moins tenu pendant plus de six mois. Mais depuis, les attaques de drones armés et d’artillerie se sont multipliées entre les soldats ukrainiens et les groupes séparatistes pro-russes ; les tensions ont été exacerbées par le déploiement de 100 000 soldats russes le long de la frontière ukrainienne pendant plus de trois semaines en avril. La situation sur la ligne de front n’a guère changé depuis, avec des escarmouches régulières entre les deux principaux acteurs du conflit.
Une adhésion en principe simple
Pour intégrer l’Alliance atlantique, un pays candidat est tenu de respecter certaines formalités et valeurs institutionnelles. Les pays candidats doivent respecter les valeurs énoncées dans le traité de l’Atlantique Nord et satisfaire à un certain nombre de critères politiques, économiques et militaires établis dans l’étude de 1995 sur l’élargissement. Ils sont notamment tenus d’avoir un système politique démocratique fondé sur une économie de marché et de moderniser et rendre interopérables leurs forces armées.
Pour Kiev, l’adhésion à l’OTAN est devenue un objectif stratégique de la politique étrangère et de sécurité du pays, surtout depuis le déclenchement des tensions dans les territoires ukrainiens limitrophes de la Russie. Dans ce contexte, le Parlement ukrainien - la Verkhovna Rada - avait fait inscrire en loi l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique comme un objectif stratégique du pays.
Arrivé au pouvoir en 2019, le président Volodymyr Zelensky a depuis fait de cet objectif l’une des priorités de son mandat. Une adhésion à l’OTAN renforcerait avant tout les chances du gouvernement ukrainien de retrouver une implication plus importante des pays de l’Alliance atlantique dans le conflit ukrainien et donc une plus grande chance de réintégrer le Donbass dans le giron ukrainien. En rejoignant la communauté euro-atlantique, l’Ukraine pourrait bénéficier de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord, qui dispose que lorsqu’un pays membre est victime d’une attaque armée, une réponse concrète est requise de la part de tous les pays membres pour aider le pays attaqué. Mais la puissance de la corruption au sein des institutions publiques ukrainiennes a fortement endommagé la crédibilité de l’Ukraine auprès des chancelleries occidentales et donc ses chances de rejoindre l’Alliance atlantique.
De l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche
La victoire de Joe Biden à la dernière élection présidentielle américaine de novembre 2020 avait donné à M. Zelensky l’espoir de voir l’Ukraine rejoindre prochainement le Plan d’action - une étape préliminaire à l’adhésion d’un pays candidat à l’OTAN. Durant la présidence Trump, l’ancien occupant du Bureau ovale avait notamment projeté une politique paradoxale sur le conflit ukrainien - envoyant des armes létales à Kiev tout en souhaitant une meilleure relation personnelle avec M. Poutine. En ce sens, l’arrivée de M. Biden à la Maison Blanche, envoyé spécial des États-Unis en Ukraine au cours de l’administration Obama, a été perçue comme un retour de l’engagement politique des États-Unis dans le conflit ukrainien.
Dès les premières semaines de sa présidence, M. Biden avait donné le ton quant à ses relations avec le Kremlin. Lors de son premier appel téléphonique à M. Poutine, l’occupant de la Maison Blanche avait souligné au président russe que son administration serait intraitable face aux agressions russes sur la scène internationale. En avril, le président démocrate avait notamment mis en garde le Kremlin contre le piratage massif des agences fédérales américaines et l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de novembre dernier. Lors du récent regain de tension dans le Donbass, l’administration Biden a notamment autorisé l’envoi de 500 soldats supplémentaires en Allemagne. Mais la conjoncture stratégique dans l’Indo-Pacifique a rapidement obligé l’administration Biden à calibrer sa politique. La Chine de Xi Jinping entend contester la domination économique et stratégique américaine dans une région qui s’étend de l’océan Indien à l’océan Pacifique en passant par l’Asie du Sud-Est : par des projets d’infrastructures économiques et des manœuvres militaires autour de Taïwan, dans les détroits de Miyako et de Bashi, et dans l’Himalaya. L’Empire du Milieu entend également renforcer ses relations avec les pays en développement d’Asie du Sud-Est en envoyant en grande quantité ses vaccins chinois notamment au Cambodge et en Indonésie. Face à la politique offensive du Parti communiste chinois, le président Biden entend rallier les Européens à sa politique contre la Chine. L’administration Biden ne veut ainsi plus prendre le risque de fâcher les alliés traditionnels de Washington - dont l’Allemagne, alliée et soutien du projet de gazoduc russe Nord Stream 2, reliant la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique, sans passer par l’Ukraine. Fin mai, l’administration Biden a ainsi décidé de lever les sanctions contre la société énergétique russe Gazprom qui exploite le gazoduc - au grand plaisir de Moscou. Cette position stratégique laisse un goût amer aux autorités ukrainiennes. Durant les premières semaines de son mandat, le président Biden avait adopté une position hostile au gazoduc. Le revirement stratégique américain risque de priver l’économie ukrainienne de 3 milliards de dollars de revenus annuels provenant des droits de transit. L’absence de discussions de fond sur les tensions conflictuelles dans le Donbass lors du dernier sommet américano-russe à Genève en juin 2021, a également porté un coup aux objectifs stratégiques ukrainiens.
L’amorce d’une détente entre les deux puissances nucléaires avait également propulsé la volonté des dirigeants français et allemand de proposer un dialogue européen avec le maître du Kremlin. À l’occasion du dernier sommet européen de juin 2021, Emmanuel Macron et Angela Merkel avaient ensemble tenté de convaincre leurs homologues européens de renouer, sans conditions ni préalables, un dialogue au plus haut niveau avec le président Poutine. La France et l’Allemagne redoutent notamment qu’une politique hostile à l’égard du Kremlin amène la Russie à se rapprocher de la Chine - tant sur le plan économique que sécuritaire. Si cette proposition avait été rejetée par les pays européens frontaliers de la Russie, la proposition française en particulier avait laissé un goût amer aux autorités ukrainiennes, qui comptaient sur Emmanuel Macron pour relancer les accords de Minsk.
En somme, malgré les supplications du président Zelensky : le niveau de corruption au sein de l’administration ukrainienne et le recalibrage de la ligne politique du président Biden à l’égard de la Russie repoussent d’autant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
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