Querelle vinicole dans l’Adriatique

, par Paul Brachet

Querelle vinicole dans l'Adriatique
Source : Pixabay

Noël et le Nouvel an se rapprochent au fur et à mesure que les jours passent. Elément central d’une table digne des fêtes de fin d’année en Europe : le vin ! Mais lequel ? Alors que le champagne était une évidence pour la plupart des Européens, le prosecco lui fait désormais concurrence. Une seule ombre au tableau pour les adeptes du vin italien…Le prošek croate et la possibilité que celui-ci devienne une AOP.

Le prošek est un vin originaire de Dalmatie, province de Croatie. Cette dernière, en sa qualité de membre de l’Union européenne, a demandé pour son vin le statut d’appellation d’origine protégée (AOP). Ce statut a pour but de préserver l’authenticité du prošek et l’ensemble du savoir-faire qui l’entoure. Mais c’est un autre dessein que poursuivent les autorités croates. En effet, la demande d’AOP vise à officialiser le nom « prošek » alors qu’aujourd’hui, le vin a le nom purement qualificatif de Vino dalmato (vin dalmate). Cela devrait permettre à ce dernier une reconnaissance à l’échelle européenne. Évidemment, l’Italie s’oppose strictement à cette volonté croate.

Le prošek, adversaire du prosecco, « menace » pour l’Italie et la Vénétie

L’Italie est vent debout depuis que la Croatie a fait officiellement la demande d’AOP pour le prošek auprès de la Commission européenne. Les autorités de la péninsule ont mis en garde contre une telle décision qui pourrait venir « tromper le consommateur (…) par une consonance trop proche de celle du prosecco » selon le Ministre de l’agriculture Stefano Patuanelli.

La Croatie se défend de toutes malversations et prétend que le prošek n’a rien à voir avec le prosecco actuel : le prošek est un vin liquoreux tandis que le prosecco est un vin effervescent, le prosecco est produit en Vénétie sur des collines homonymes alors que le prošek est produit en Dalmatie, région séparée de l’Italie par la mer Adriatique. De plus, le gouvernement croate affirme que son vin est pluri-centenaire et doit à ce titre être protégé et reconnu au niveau européen. Le prosecco et le prošek ont bien un ancêtre commun, le prosecco vénitien du XVIIIème siècle, mais à partir de l’invention du prosecco mousseux en 1821, les deux vins ont évolué de manière complètement différente créant deux vins à part entière. Bref pour le gouvernement croate, le consommateur européen ne peut être trompé par la seule appellation certes proche , mais pas identique, des deux vins.

Mais les propos rassurants de la Croatie n’ont en rien calmé les émois italiens. Aujourd’hui, la totalité des forces politiques italiennes fait bloc autour du gouvernement quant à ce qui est considéré comme la défense du patrimoine italien, de la production « Made in Italy » et plus généralement de l’identité italienne. En effet, des personnalités venant de tous bords sont venues apporter leur soutien inconditionnel au gouvernement pour la « protection de l’esprit italien que représente le prosecco » comme le présente Luca Ciriani, sénateur Fratelli d’Italia (extrême droite). Le gouvernement italien avait déjà fait reconnaître les collines de Prosecco au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2019 afin de préserver les savoir-faire liés à ce territoire, et notamment le vin du même nom.

La scène politique vénète n’est pas en reste sur ce débat. Alors que la région a récemment multiplié les actions de promotion d’une culture régionale encore vivace –jusqu’au point d’organiser un référendum pour son autonomie culturelle et financière en 2017- le Président de la région, le populaire Luca Zaia issu de la branche modérée de la Lega, a affirmé que le prošek représentait une « menace pour la Vénétie » et que les actions de préservation du prošek par la Croatie constituait une « réelle guerre de propagande ». C’est donc chiffes et documents historiques à la main que Luca Zaia est venu « défendre l’identité vénète » à la chambre régionale.

Suite aux différentes accusations des politiques, reprises amplement par les médias, la défense du prosecco a été soutenue et continue de l’être par l’entièreté de la population de la péninsule qui considère ce vin croate comme une atteinte à l’identité et à l’économie de l’Italie. Ce dernier, étant considéré comme le summum de la qualité en Italie, est gage de fierté pour ses habitants et est considéré comme d’un intérêt supérieur à toutes querelles politiques, brisant ainsi les clivages et créant une “Union sacrée” .

Une situation évoluant dans le sens de la Croatie au grand dam de l’Italie

Les tempétueuses gesticulations italiennes n’ont en rien découragé la Croatie dans sa quête pour la reconnaissance du prošek. Au contraire, les autorités ont redoublé d’efforts et de lobbying auprès des institutions européennes pour que leur vin soit reconnu comme une AOP.

Les récentes positions de la Cour de Justice de l’Union européenne et de la Commission européenne sont prometteuses pour la Croatie mais jugées inquiétantes par l’Italie. Le Cour de Justice a ainsi statué que deux produits homonymes peuvent bénéficier d’une AOP si ces produits sont différents au point que le consommateur moyen ne puisse les confondre. De même, la Commission a affirmé qu’elle reconsidérait la demande d’AOP du vin croate. L’Italie voit d’un mauvais œil ses deux décisions, notamment parce qu’elles avaient permis par le passé la reconnaissance du vin blanc hongrois, le “tokay” au détriment du tokai de Frioul sommé à changer de nom et à devenir « friulano », et qu’elles pourraient permettre à l’avenir la reconnaissance du vin croate prošek et du vin slovène proseka. Ce dernier affirme être d’ailleurs à l’origine même du prosecco du temps où le littoral slovène était sous domination de la République de Venise.

Ce litige n’est donc pas près de se terminer, même après la décision finale, car la mise en exergue des identités nationales et régionales sur une simple question de toponymie ne peut conduire qu’à un débat de plus en plus entravé par des visions étriquées et s’éloignant peu à peu d’une question centrale. Un produit s’il est emblématique d’une histoire et d’une culture peut-il demander, au même titre que ses pairs et sans pour autant les concurrencer, la reconnaissance et la protection d’une AOP ?

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