Treffpunkteuropa.de : Pourquoi avoir fondé JEF Turquie ?
Cansu Ekmerçioğlu : Nous avons constaté l’absence d’organisation où les jeunes Turcs pourraient contribuer à l’amélioration des relations Turquie-UE. Au vu de certains des développements récents, beaucoup ont perdu confiance en l’UE. Un processus de négociations à rallonge, la position négative de certains gouvernements, de même que l’actuelle crise des pays de la zone euro ont affaibli le désir d’appartenance à l’UE dans la société turque. La plupart de ces problèmes trouvent leur origine dans un déficit d’informations au sein de la population. Les citoyens d’États membres de l’UE connaissent trop peu la culture et l’histoire de la Turquie. En Turquie, ce sont les institutions européennes qui sont trop peu expliquées aux gens. Il faut s’atteler à combler ces manques. En effet, les deux ensembles que sont l’UE et la Turquie partagent en commun des valeurs fondamentales telles que l’État de droit, la liberté et la démocratie. Nous voulons pour notre pays un avenir au sein de l’UE afin de perpétuer la promotion de ces valeurs. Parallèlement, des groupes JEF Turquie s’organisent déjà sur tout le territoire turc, d’Istanbul, Ankara et Izmir à Van, Trazabon et Diyarbakir.
TE : Les négociations d’adhésion sont pour l’instant au point mort. On a parfois l’impression que ce sujet ne fait plus partie de l’agenda politique. Pourquoi vous engager malgré tout ?
C.E. : Pour nous, l’Union européenne constitue le projet de paix le plus pérenne de l’histoire humaine. De nombreuses relations ont déjà été établies entre l’UE et la Turquie – dans le tourisme, le commerce, au sein du très prisé programme ERASMUS. L’UE n’est pas seulement un thème de la politique étrangère du pays. Elle influe déjà grandement sur le processus de réforme de la politique intérieure de la Turquie. Il est en outre évident que de bonnes relations entre l’UE et le Turquie contribuent à la stabilité de toute la région.
Par ailleurs, je suis une avocate du fédéralisme de même que du principe de subsidiarité. Ainsi seulement verra-t-on émerger la stabilité, la paix et la démocratie. Pour le moment, il est impossible de tenir un tel discours en Turquie, mais nous souhaitons provoquer le débat. Le système de gouvernement turc est trop centralisé. On attache par exemple trop peu d’importance aux droits des minorités. Cela doit changer. La visite à Bruxelles du Premier ministre Erdoğan de même que la visite d’État du Président Hollande en Turquie sont des signes qui nous donnent bon espoir. Le processus concernant le régime des visas et l’accord bilatéral de rapatriement prévus portent en eux beaucoup de promesses. De nouveaux chapitres de cette aventure commune s’ouvrent. En dépit des obstacles, le processus va de l’avant.
TE : Au mois d’août, ce sera la première fois que le Président de la République turc sera élu au suffrage universel direct. Pensez-vous que l’Union européenne puisse constituer un thème de la campagne ?
C.E. : Hélas, non. Nous sommes là face à un dilemme d’ordre politique. Le discours politique prend sa source dans les antagonismes de la société turque : kémalistes / sécularistes face aux religieux, sunnites face aux alaouites, kurdes face aux Turcs, musulmans face aux non-musulmans. Mais nous travaillons sur une campagne visant à contraindre les hommes politiques à prendre position sur la question européenne. Le Premier ministre Erdoğan s’est rendu à Bruxelles cette année et a déclaré que l’année 2014 serait « l’année de l’Europe ». J’aimerais croire qu’il est sincère.
TE : Quels sont en Turquie les projets du JEF ?
C.E. : Nous travaillons en commun avec l’association « Bridging Europe » sur le projet « l’UE et la Turquie : un nouveau dialogue ». Nous imprimons des tracts à vocation informative de même que des infographies afin de rendre plus compréhensibles aux Européens la politique et la société turques. Nos priorités pour le moment demeurent la liberté sur Internet et le droit du numérique. Nous militons tout particulièrement pour le développement des médias locaux et du journalisme citoyen. Les citoyens doivent porter un regard critique sur l’information qu’ils glanent sur Internet et savoir démêler le vrai du faux. Au mois de septembre, nous lançons un projet « Démocratie en marche ». Au moyen d’un bus, nous nous déplacerons dans 17 villes, rencontrerons des dirigeants locaux, les membres de notre mouvement ainsi que ceux d’autres ONG. Nous voulons discuter sur le terrain de thèmes concernant l’Union européenne. Tous nos projets sont créés pour faire germer chez les jeunes des velléités militantes. Les thèmes comprennent notamment les droits des femmes, les droits des LGBT, la liberté d’opinion, la pluralité des médias de même que le renforcement de l’engagement citoyen local.
TE : Cansu, vous sentez-vous européenne ou turque ?
C.E. : Je me sens les deux : une Européenne aux racines imprégnées de culture et d’histoire turques. Mais sans doute ne suis-je pas représentative de la population de mon pays. Je suis étudiante dans des universités qui recourent à des méthodes d’enseignement et des standards européens et américains et ai été étudiante ERASMUS dans la ville de Bordeaux. Cela rend bien compte de l’importance de tels échanges culturels. C’est pourquoi j’espère des avancées notamment en matière de visas. Trop nombreux sont les cas d’étudiants turcs qui se sont vu refuser un Visa par un État membre de l’UE. Il est souvent difficile d’en entrevoir les raisons. Si un entrepreneur n’est pas en mesure de pouvoir se déplacer dans l’UE pour assister à des réunions et perd de l’argent à cause de cela, il aura tôt fait de partir investir dans les pays asiatiques. Quand des étudiants ou d’autres personnes ont de la famille résidant dans l’UE et s’échinent en vain à obtenir un visa, c’est la déception qui domine. Ce n’est pas de la sorte qu’un citoyen turc pourra se construire sa propre vision de l’UE. Ainsi perdurent les stéréotypes. Et c’est pourtant bien ce type d’échanges qu’il faut promouvoir afin de permettre l’avènement d’un avenir commun.
1. Le 10 juillet 2014 à 13:48, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Quid d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne ? Nombreux sont ceux pour lesquels l’UE n’inspire plus confiance.
Qui a le plus changé en cinq ans ? L’Union européenne...ou le leadership politique en Turquie ? Une Turquie qui s’éloigne de la république kémaliste, qui refuse la synthèse d’Atatürk entre laïcité et racines religieuses ( Sainte-Sophie devenue musée des traditions religieuses locales, chrétiennes et islamiques mais l’on voudrait reconvertir en mosquée), une Turquie diplomatique qui a changé de cap, des droits de l’homme mis en veilleuse, comme les réseaux sociaux... La faute à l’Europe ?
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