Quo vadis Catalogne ?

Brève histoire d’une crise aux conséquences européennes

, par Joaquin Rivas

Quo vadis Catalogne ?
CC correualba

Le référendum de dimanche en Catalogne, considéré comme illégal par la justice et le gouvernement espagnol, s’est déroulé dans un contexte explosif entre manifestations populaires massives et violences policières. La crise économique et une mauvaise gestion politique ont conduit à cette situation délétère. Une indépendance sans le consentement de l’Etat espagnol, conduirait cependant la Catalogne hors de l’Union européenne et dans l’impasse.

La crise provoquée par le référendum sur l’indépendance de la Catalogne a des causes multiples dont les racines sont à chercher autant dans l’histoire particulière de ce territoire que dans des phénomènes politiques et économiques récents. Il semble cependant que tous les acteurs n’ont pas pris la mesure européenne de ce qu’il se joue en Catalogne.

Des disparités historiques aggravées par la crise économique

L’Espagne est un Etat aux multiples nationalités. La Constitution espagnole, approuvée après le référendum constitutionnel de 1978, établit que l’Etat espagnol est organisé en communautés autonomes qui bénéficient d’une certaine autonomie pour la gestion de leurs intérêts respectifs.

La situation catalane de ces derniers jours fait écho à une réalité historique qui a défini l’Espagne de sa création à la réunification des royaumes péninsulaires par les monarques catholiques en 1492, après la reconquête du royaume de Grenade aux maures. Contrairement à d’autres pays voisins comme la France, dans le cas espagnol, même après la création de l’État, des particularités territoriales et une série de privilèges ont persisté, ce qui explique la réalité complexe de l’Etat espagnol actuel.

Un équilibre raisonnable entre le nationalisme catalan et son appartenance à l’Etat espagnol semblait avoir été atteint après l’arrivée de la démocratie en Espagne à la fin de la dictature de Francisco Franco (1939-1975), avec la restauration du gouvernement catalan (la Generalitat) et un degré d’autonomie des régions espagnoles parmi les plus fortes en Europe. Le point de rupture se fait au 21ème siècle, après la suspension d’une partie de l’Estatut, la constitution régionale - approuvé par le Parlement catalan, le Parlement et le Sénat espagnols, un référendum en Catalogne et par la Cour constitutionnelle - et l’irruption de la crise économique en 2007. La Catalogne, comme le reste de l’Espagne, a vécu la crise avec une certaine cruauté, particulièrement pour les classes moyennes. Celles-ci avaient traditionnellement soutenu l’ancienne « Convergencia i Union » (CiU, centre droit) et le Parti socialiste. Les politiques d’austérité gérées par le gouvernement catalan ont engendré une profonde insatisfaction et un malaise croissant la société catalane. La privatisation et le démantèlement des services publics, en particulier les soins de santé et les transports, et la perte de pouvoir d’achat de la classe moyenne, ont créé de la frustration. De 2009 à 2015, les dépenses sociales ont été réduites de 26,26% en Catalogne, pour une moyenne espagnole de 14,53% [1]. Enfin, en 2012 la crise financière oblige la Catalogne à demander un sauvetage bancaire à l’Etat espagnol.

Des responsables politiques qui attisent le conflit

Le mal-être de la société catalane a poussé son président Artur Mas à trouver des bouc-émissaires pour s’exonérer de la responsabilité de la récession économique. L’État espagnol et son gouvernement sont érigés comme responsables, des ennemis récurrents et facilement assimilés par la population. La devise était également limpide : Espanya ens roba (l’Espagne nous vole).

D’autre part, le gouvernement espagnol n’a pas été à la hauteur pour éviter les images diffusées ces derniers jours dans la presse nationale et internationale. Le président Rajoy, déjà connu pour son incapacité à faire de la politique, a conduit à une situation qui aurait pu être évitée par un dialogue franc et honnête sur la réalité territoriale actuelle de l’Espagne.

Le risque d’une sortie de l’Union européenne

Sans tenir compte des statistiques officielles des cinq dernières années qui présagent d’un résultat indécis avec un référendum hypothétique, il semble difficile de croire que la société catalane veuille être indépendante d’un État membre de l’Union européenne. Comme les Basques, les Galiciens ou les Andalous, les Catalans se sentent différents du reste des Espagnols et souhaitent plus d’autonomie politique et administrative. Cependant, pour la plupart, il n’y a pas de volonté de s’isoler et de cesser de profiter des avantages de l’Union européenne. C’est l’un des aspects les plus importants du débat qui pourtant n’a pas été clairement expliqué par les partis catalans défendant l’indépendance de la Catalogne ou par ceux qui défendent la Constitution espagnole. Une Catalogne indépendante serait automatiquement en dehors de l’Union européenne. De toute évidence, rien n’empêcherait un nouvel Etat de vouloir adhérer. Cependant, le droit européen en vigueur concernant l’entrée de nouveaux membres ne permet pas cette possibilité. L’article 49 du traité sur l’Union européenne oblige le Parlement européen à voter à la majorité et le Conseil européen à décider à l’unanimité. Ainsi, une indépendance non-conforme aurait comme conséquence directe l’opposition de l’Etat espagnol à l’entrée de la Catalogne dans l’UE.

En tant qu’Andalou et Espagnol résidant en Belgique, je suis préoccupé par la perception externe de la question catalane. Le manque de volonté de la part des deux gouvernements de parier sur le dialogue peut provoquer une image partisane et partielle de la réalité territoriale espagnole. Nous ne devrions pas nous demander si l’Espagne flirt de nouveau avec une guerre civile, mais se soucier d’une potentielle aggravation de la situation et de l’impact possible dans les régions d’autres États de l’Union européenne.

Article traduit par Fanny Devaux

Notes

[1Cinco Días, 28/09/2017

Vos commentaires
  • Le 3 octobre 2017 à 14:11, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Quo vadis Catalogne ?

    « L’impact possible dans d’autres régions européennes » ? Sans doute, vivant en Belgique, l’auteur pense-t-il à la Flandre...Mais si les situations présentent de réelles ressemblances, notamment économiques (deux entités riches), elles sont aussi très différentes. En Espagne, deux systèmes s’affrontent, tous deux mono - maniaques, l’un arc-bouté sur l’état-nation, l’autre qui rêve de s’en affranchir. En Belgique, deux entités politiques, Flandre et Wallonie, rendues schizophrènes : au Nord, une N-VA mobilisée statutairement par son indépendance, mais depuis peu biberonnée au pouvoir total dans l’état fédéral et la mainmise sur les ministères régaliens et au sud, des Wallons qui s’exaspèrent de la tutelle flamande, mais s’arc-boutent sur leur belgitude gage d’une improbable rédemption...Gouverner, c’et prévoir, à Madrid, comme à Bruxelles, l’émergence des forces centrifuges. Mais on préfère la posture de Ponce Pilate ! Gare au réveil de ceux qui faisaient la richesse de l’Europe médiéval et ses pôles économiques avant même le surgissement des états-nations !

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