Le Guyana : le nouveau Dubaï d’Amérique latine ?
Lorsqu’on pense à l’Amérique latine, le Brésil, la Colombie, l’Argentine ou le Chili viennent souvent en tête. Dans un continent souvent décrit comme hispanophone et lusophone, la région des Guyanes est une exception et est donc souvent oubliée. En effet, cette région qui comprend une partie du Venezuela, le Guyana, le Suriname et la Guyane française n’a pas vraiment vécu la colonisation hispanique et portugaise. Le Guyana est ainsi le seul pays latino-américain ayant l’anglais comme langue officielle. Peu peuplé, 90 % de ses 800 000 habitants se concentrent sur le littoral atlantique (où se trouve entre autres la capitale Georgetown) et très peu à l’intérieur des terres, la majorité de la population est également à l’est du fleuve Essequibo. Cependant, la région à l’ouest du fleuve (la Guayana Esequiba), bien que peuplée de près de 120 000 habitants, représente ⅔ du territoire du pays et regorge de ressources pétrolières prometteuses pour le développement du Guyana.
Longtemps un des pays les plus pauvres du continent, les réformes du gouvernement à la fin du XXe siècle et l’industrie pétrolière ont permis au pays de se démocratiser (le Guyana est aujourd’hui une démocratie, certes imparfaite mais au même niveau que certains pays européens comme la Roumanie), et de se hisser dans les plus riches d’Amérique du sud (en PIB par habitant) avec un des taux de croissance les plus élevés de la planète. Aujourd’hui, l’exploitation pétrolière dans l’Essequibo est ainsi vue par beaucoup de Guyaniens comme nécessaire.
Venezuela : entre crises économiques et politiques
Le Venezuela, bien que voisin du Guyana, est fondamentalement différent. Ancienne colonie espagnole aujourd’hui hispanophone, qui a pour capitale Caracas, il est considérablement plus peuplé que le Guyana avec près de 28 millions d’habitants. Le pays est également très dépendant du pétrole et possède les premières réserves mondiales, bien qu’il ne soit que le 22e producteur.
Autre divergence majeure qui a son importance : contrairement au Guyana pauvre dans les années 1950 qui s’est considérablement enrichi et démocratisé, la démocratie et l’économie vénézuélienne se sont affaiblies. Alors que des années 1950 à 1980, le pays était un des plus riches du continent, il fait face à une très forte crise économique aujourd’hui. Aussi, démocratique au début des années 2000, le régime de Maduro (le président actuel) est maintenant considéré par beaucoup comme un régime autoritaire. Visualiser cette histoire récente est ainsi nécessaire pour comprendre la situation actuelle au Venezuela et une explication de ses ambitions d’annexion de la Guayana Esequiba.
En 1950, alors que l’Europe sortait de la guerre, le Venezuela était ainsi le 4e pays le plus riche du monde en PIB par habitant et de 1950 à 1980, il bénéficie toujours d’une forte croissance principalement portée par le pétrole. Cependant, lors des années 1990, le Venezuela fait face à une baisse des cours du pétrole, des faillites bancaires et donc de fortes tensions politiques… En 1999, un jeune officier ayant tenté 2 coups d’État est élu à la tête du pays : Hugo Chavez. Malgré des débuts difficiles, la situation du pays s’améliore après les années 2003 avec une hausse des cours du pétrole, les investissements sociaux du gouvernement commencent aussi à porter leurs fruits. Cette situation, brièvement interrompue par la crise de 2008, dure jusqu’en 2013-2014 avec un PIB multiplié par 5 de 1999 à 2014, qui atteint 482 milliards de dollars. Si le bilan social de Chavez est très positif avec une réduction de l’analphabétisme et de la pauvreté, il a absorbé une grande partie des revenus pétroliers empêchant l’économie de se diversifier. Le bilan économique de Chavez à sa mort est ainsi critiqué avec une dette élevée, une inflation de 20 % et une forte dépendance au pétrole.
De 2014 à 2016, les prix du pétrole chutent de 70 % plongeant le pays dans une crise économique dont il ne s’est toujours pas remis. Sur le plan politique, le nouveau président Maduro, ancien vice-président de Chavez (mort en 2013), n’a pas la même aura que son prédécesseur et le régime devient de plus en plus autoritaire. L’inflation explose, les pénuries s’accumulent, les Vénézuéliens doivent faire la queue pour obtenir des produits de première nécessité... La crise entre dans un cercle vicieux et une situation d’hyperinflation s’installe (en 2018, le taux d’inflation avait même atteint 1 000 000 %), provoquant une forte pauvreté et émigration. À partir de 2017, des sanctions américaines contre un régime de plus en plus autoritaire aggravent la situation d’un pays très dépendant de ses importations de biens de première nécessité et de ses exportations de pétrole. Politiquement, Maduro a donc été de plus en plus contesté par de fortes manifestations réprimées sévèrement. Sa réélection en 2018 dans une élection qualifiée de ni libre ni équitable par les observateurs internationaux aggrave la crise politique : Juan Guaido, opposant soutenu par l’Assemblée nationale, se déclare président par intérim alors que Nicolas Maduro est soutenu par l’exécutif, l’armée et la justice.
Même si la situation politique s’est calmée et que les sanctions occidentales vont être retirées avec la promesse d’organiser des élections libres et équitables en 2024, le Venezuela reste toujours dans une situation de crise majeure.
Conflit sur l’Essequibo : des origines lointaines
Les revendications territoriales du Venezuela sur l’Essequibo ne sont pas nouvelles : le conflit territorial dure en effet depuis le XIXe siècle. En 1841, le Guyana est cédé par les Néerlandais aux Britanniques, le Royaume-Uni décide donc de tracer une frontière précise avec le Venezuela mais la trace en englobant des territoires vénézuéliens. Caracas conteste la frontière avec le Guyana, alors colonie britannique : le Royaume-Uni propose un compromis mais le Venezuela refuse et en appelle à un arbitrage américain. En 1897, les 2 pays règlent leur dispute territoriale avec le traité de Washington mais en 1962, le Venezuela réclame à nouveau sa souveraineté sur la région… À partir de ce moment, l’affaire est gérée par la Cour Internationale de Justice (CIJ) mais le Venezuela rejette sa compétence juridique dans cette affaire. Le conflit reste ensuite en sommeil pendant plusieurs décennies mais il est réveillé en 2015 par la découverte d’immenses réserves de pétrole (de 11 millions de barils d’une valeur de 1 trillion de dollars au cours actuel !) dans la zone maritime de l’Essequibo par la société américaine Exxon Mobil. En pleine crise et en opposition face aux américains, le Venezuela proteste vivement, disant que le Guyana n’a pas le droit de faire des prospections pétrolières et revendiquant la zone.
Depuis cette découverte, le conflit n’a pas diminué et il atteint son paroxysme en novembre 2023 : Maduro annonce la tenue d’un référendum (évidemment illégal) demandant entre autres aux Vénézuéliens s’ils souhaitent annexer le Guayana Esequiba. En plus de la découverte de pétrole au Guayana Esequiba, l’annonce de ce référendum par le président vénézuélien a des raisons plus politiques : il permettrait ainsi de distraire les habitants de la mauvaise situation économique du pays en jouant la carte du nationalisme. Le résultat était déjà connu d’avance au vu des forts courants nationalistes, de l’absence de campagnes d’opposition et de la tendance des électeurs mécontents à s’abstenir plutôt que de voter « non » : le 3 décembre, 95 % des électeurs vénézuéliens se prononcent ainsi pour l’annexion. Même s’il n’y a pas encore de conséquences concrètes, ce référendum pourrait servir de prétexte à une invasion du Guyana mais les observateurs restent prudents : le Venezuela fait face à de nombreuses difficultés et envahir un territoire comme la Guayana Esequiba qui représente un tiers de la superficie française et est couvert de forêt amazonienne risque de s’avérer compliqué et un échec de l’invasion pourrait aussi marquer la fin du régime de Maduro.
Un référendum fortement condamné
L’annonce de la tenue du référendum a évidemment soulevé une forte condamnation de la part du Guyana. Les instances internationales ou régionales telles que l’ONU, la Cour Internationale de Justice, le Commonwealth ou l’Organisation des États Américains (OAS) ont également critiqué la tenue de ce référendum et rappelé son illégalité. De nombreux pays occidentaux ont également appelé à la paix, tels que le Royaume-Uni, les États-Unis et la France (qui est particulièrement impliquée car la Guyane Française se trouve dans la région), de même que des pays latino-américains, comme le Brésil qui a renforcé la présence de troupes à la frontière avec le Venezuela.
Pour l’instant, ce que fera Maduro n’est pas encore clair : il pourra se servir du résultat du référendum comme justification pour annexer la Guayana Esequiba par la force, ou faire pression sur le pays sans guerre, voire même reculer. Ce qui est sûr pour l’instant, c’est que, comme l’affirme le président brésilien Lula à propos de ce conflit, « s’il y a une chose dont le monde n’a pas besoin, dont l’Amérique du Sud n’a pas besoin, c’est de troubles. » Reste à savoir si cela sera entendu par Maduro…
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