Le Président Macron était particulièrement attendu sur la scène européenne après sa large victoire en mai dernier. Sa visite à la Chancellerie fédérale de Berlin le jour de sa prise de fonction a envoyé un signal positif à l’Union européenne. Ses propositions pour relancer la zone euro et remettre l’Europe sociale à l’ordre du jour ont eu un écho favorable en Allemagne. Cela n’a pas été le cas dans tous les États membres.
Des avancées dans la défense et la lutte contre le terrorisme
Le Conseil Européen s’est engagé à créer un fonds de défense pour une coopération renforcée entre tous les États membres. Ce fonds serait doté d’une capacité financière de 590 millions d’euros par an d’ici 2020 puis au moins 1,5 milliards d’euros par an à partir de 2020 [1] et aurait pour but de financer des investissements dans l’équipement et les projets de coopération de défense. Il ne s’agit pas, comme l’a rappelé la Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Federica Mogherini, d’une « armée européenne », mais d’une coopération renforcée dans le domaine de la défense, à l’heure où l’OTAN apparaît affaiblie et où la Russie représente une menace pour les frontières orientales de l’UE.
Concernant la lutte contre le terrorisme, les avancées sont également notables. Les contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen, la lutte contre la radicalisation en ligne et le financement du terrorisme sont réaffirmés [2]. L’amélioration de l’échange d’informations entre les États membres est également à l’ordre du jour, malgré la sensibilité politique de ce sujet, enjeu de souveraineté majeur pour les pays. L’idée d’un « FBI européen », souhaitée par certains responsables, est cependant irréalisable à l’heure actuelle [ [www.rfi.fr : Lutte antiterroriste : un « FBI européen » est-il vraiment possible ?]].
Les résultats du Conseil Européen ont été présentés lors d’une conférence de presse commune entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, illustrant ainsi le renouveau du couple franco-allemand sur la scène européenne et les progrès réalisés lors de ce Conseil Européen. Si l’énergie, la communication et la détermination du jeune Président ont permis d’avancer sur des sujets sensibles, il ne faut pas oublier le rôle fondamental de la Commission Européenne en amont.
Les problèmes des travailleurs détachés et des investissements étrangers
Si la défense et la lutte contre le terrorisme font partie de « l’Europe qui protège » d’Emmanuel Macron, le contrôle des IDE [3] dans les secteurs stratégiques et la révision de la directive travailleurs détachés le sont également. Sur ces deux sujets, le Président français n’a pas obtenu gain de cause. [4]
L’Union Européenne est paradoxalement la première puissance commerciale et le marché le moins bien protégé face à la concurrence extérieure. Les mesures antidumping de la Commission Européenne (la seule institution gérant la politique commerciale) furent longtemps des mesures uniquement compensatoires (appelées dans le jargon juridique le « droit moindre ») tandis que d’autres pays comme les États-Unis, sans même parler de la Chine, utilisent des outils de défense commerciale bien plus dissuasifs. La proposition de la France, de l’Allemagne et de l’Italie était un contrôle bien plus renforcé et la possibilité pour la Commission Européenne de mettre son veto sur le rachat d’entreprises de secteurs dits « stratégiques ». Le document de travail final abandonne le veto et propose un contrôle moins strict [5]. De nombreux pays du sud de l’Europe (Portugal, Espagne et Grèce) ainsi que les pays nordiques sont en effet contre des mesures trop protectionnistes.
Emmanuel Macron voulait également une révision de la directive des travailleurs détachés vers une lutte plus stricte contre la fraude au détachement et une limitation de la période de détachement. La directive actuelle, datant de 1996, était déjà critiquée par les pays d’Europe centrale et orientale. La proposition du Président français, ainsi que des critiques à peine voilées vers le groupe de Višegrad, a créé un climat tendu. La réunion entre les cinq chefs d’État concernés (France, Pologne, Hongrie, République Tchèque et Slovaquie) a permis un dialogue bienvenu mais ni les problèmes ni la méfiance réciproque n’ont entièrement disparu.
Un nouveau rôle pour la France en Europe
À l’issue du premier Conseil Européen d’Emmanuel Macron, force est de constater que malgré son accueil en fanfare à Bruxelles, il aura beaucoup de mal à trouver un consensus européen sur toutes les thématiques qu’il défend. Deux raisons, parmi d’autres, peuvent expliquer cette situation loin d’être inédite. La première est bien évidemment les divergences d’intérêts dans une union de 28 membres aux attentes et aux dispositions bien différentes. Un travail d’harmonisation de la « perception de l’idée européenne », fastidieux mais essentiel, devra être fait dans les années à venir.
La deuxième raison tient à l’influence française en Europe et particulièrement à la manière de faire valoir ses intérêts lors des travaux institutionnels. Tandis qu’un pays comme le Royaume-Uni agit en amont des négociations et fait en sorte de nommer des nationaux aux postes clé de la Commission Européenne, la France, qui a eu une culture très récente du lobbying, a pendant longtemps préféré infléchir le sens des négociations au moment où elles allaient être conclues. Le Conseil Européen des 22 et 23 juin en a été encore une fois l’illustration : le Président Macron n’a pas réussi à peser de tout son poids pour imposer ses idées car il manquait tout un travail préparatoire de persuasion et de lobbying auprès de tous les partenaires européens sur des sujets aussi sensibles que les investissements étrangers ou les travailleurs détachés. Le Président français doit prendre conscience de cela et agir en conséquence à l’avenir.
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