Relations UE-Maroc : Construction du partenariat le plus approfondi de l’UE

, par Suzie Holt

Relations UE-Maroc : Construction du partenariat le plus approfondi de l'UE
©Pixabay

Le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a invalidé deux accords commerciaux liant le Maroc et l’UE. “Une décision historique” pour les indépendantistes du Front Polisario, qui s’opposaient à ces accords. Elle annule un accord de pêche de 2019, et oblige les États membres à étiqueter les produits venant du Sahara occidental comme tels et non plus comme des produits marocains. Cet événement semble endommager les liens solides que l’Union entretient avec son voisin maghrébin depuis plus de vingt ans.

Des partenaires commerciaux importants

Le Maroc et l’UE sont des partenaires commerciaux importants. Le Maroc est le premier partenaire commercial de l’Union en Méditerranée du Sud, et l’UE est le premier fournisseur ainsi que le premier client du Maroc. En 2023, les échanges de marchandises entre les deux régions représentaient 56 milliards d’euros.

Les liens commerciaux transméditerranéens ont été institutionnalisés en 2000, avec l’entrée en vigueur de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre l’UE et le Maroc. Sa mesure principale est la suppression des droits de douane. L’accord euro-méditerranéen a été complété par d’autres textes, renforçant le partenariat économique. Par exemple, en 2010, les deux parties ont signé un accord sur l’agriculture permettant de faciliter le commerce des produits agricoles et issus de la pêche des deux côtés de la Méditerranée.

En 2013, des négociations avaient été engagées dans l’optique de parvenir à un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA). L’objectif de celui-ci est l’intégration progressive de l’économie concernée au marché européen. On y retrouve, comme dans un accord de libre-échange classique, des mesures permettant de favoriser le commerce en dehors des frontières européennes, comme la baisse des droits de douane. L’accord en question est dit « complet et approfondi » car il procède à une harmonisation des règles commerciales, juridiques et économiques.

Cependant, les négociations de l’ALECA entre l’UE et le Maroc ont été suspendues pendant plusieurs années car certains acteurs économiques marocains doutaient de l’effet positif d’un approfondissement de l’accord pour le Maroc. Elles ont repris en 2019. L’accord n’a pas encore vu le jour mais l’Union a rappelé qu’elle était prête à adapter les négociations de l’ALECA aux évolutions du partenariat avec le Maroc et à mettre en place d’autres initiatives pour faciliter le commerce et l’investissement durable.

Un partenariat politique au-delà de la politique commerciale

Si le commerce est un volet crucial du partenariat entre l’UE et le Maroc, ce n’est pas le seul domaine dans lequel des liens plus étroits sont plébiscités. La mise en place de la Politique européenne de voisinage (PEV) a permis d’institutionnaliser le dialogue entre les deux partenaires. Lancée en 2004 dans la perspective de l’élargissement de l’UE qui a inclus les pays d’Europe centrale et orientale, elle a pour objectif principal de favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité dans les pays frontaliers de l’Union. Au même titre que d’autres pays du Maghreb, le Maroc est partenaire de la PEV. Dans ce cadre, des experts européens et marocains se réunissent de façon régulière au sein de comités techniques sur diverses thématiques comme le dialogue politique, la justice ou encore la sécurité.

Dans un second temps, la feuille de route sur le statut avancé du Maroc est signée en 2008. Ce document est le résultat d’un groupe de travail dans le cadre du Conseil d’association UE-Maroc, qui devait réfléchir à des moyens de renforcer les relations entre les deux partenaires. Les réflexions menées ont conduit le Maroc à définir un “statut avancé” dans ses relations avec l’UE. Celui-ci comprend plusieurs mesures et objectifs comme un renforcement de la coopération politique entre les deux parties notamment par l’organisation régulière de sommets bilatéraux et l’intégration progressive du Maroc au marché intérieur européen.

Les autres textes renforçant le partenariat sont des déclarations conjointes. Deux représentent des étapes majeures dans l’évolution du partenariat transméditerranéen. La première date de 2013 et porte sur “un partenariat pour la mobilité”. Cette déclaration formule divers objectifs relatifs à la migration : mieux gérer la migration régulière, lutter contre celle irrégulière et la traite des êtres humains, ainsi que veiller au respect des droits des réfugiés.

La seconde est la déclaration conjointe pour un partenariat euro-marocain publiée en 2019. Quatre espaces structurant leurs relations sont identifiés dans le texte : un espace de convergence des valeurs, de convergence économique et de cohésion sociale, de connaissances partagées et de concertation politique et coopération accrue en matière de sécurité. Deux domaines de coopération spécifique sont également identifiés, en matière d’environnement et de mobilité et de migration. Le propos final de la déclaration souligne sa visée exemplaire : “ce type de Partenariat de prospérité partagée se veut un exemple dynamique susceptible d’être utilisé par les partenaires qui partagent le même niveau d’ambition”.

Le dernier texte politique en date sur ce partenariat est le Nouvel Agenda pour la Méditerranée, publié en février 2021. L’objectif premier de ce texte est la relance économique et sociale en Méditerranée suite à la pandémie de Covid 19. Il détaille un plan d’investissement économique spécifique pour les voisins méridionaux de l’UE. Les deux parties ont d’ailleurs lancé en 2022 un partenariat vert pour détailler leur action commune dans la lutte contre le changement climatique, une première entre l’UE et l’un de ses partenaires. Ce partenariat a été lancé dans le but de faire progresser la dimension extérieure du Pacte vert pour l’Europe, adopté durant le premier mandat d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission.

Le partenariat entre l’UE et le Maroc s’est donc construit progressivement sur le volet politique par la signature de déclarations conjointes, reposant essentiellement sur le travail du Conseil d’association UE-Maroc. Il s’agit d’un des partenaires les plus approfondis de l’UE, servant d’exemple pour les relations euro-méditerranéennes.

Quel avenir pour les relations UE-Maroc ?

Le partenariat UE-Maroc est l’un des plus institutionnalisés au sein de l’Union et le plus important de l’espace méditerranéen. Les décisions récentes de la CJUE, notamment celle annulant l’accord de pêche de 2019, apparaissent comme un obstacle au libre-échange en cours de développement entre les deux parties. Cette décision a provoqué un malaise diffus au sein des institutions européennes.

Pour les élus des États membres impactés, le temps presse. Le député socialiste espagnol Nicolas Gonzalez Casarès a insisté sur l’urgence de la situation, la décision de la CJUE ayant des conséquences importantes pour la flotte de pêche espagnole. L’Espagne est le pays membre le plus touché par cette annulation avec 93 navires de pêche et 20% de la production provenant des eaux marocaines. De plus, le ralentissement du partenariat avec l’UE pourrait amener le Maroc à se rapprocher de la Russie de Vladimir Poutine, ce qui aurait d’importantes conséquences géopolitiques pour le Vieux continent 12. En effet, l’accord de pêche entre la Russie et le Maroc, expiré depuis septembre 2024, a été maintenu jusqu’à la fin de l’année dès le lendemain de la décision de la CJUE. Il renforce la présence russe dans la région en lui octroyant un quota annuel de pêche de 140 000 tonnes dans la zone atlantique. Mais ce qui inquiète l’UE c’est la volonté d’une future coopération entre les deux pays qui couvrirait l’ensemble de la façade atlantique. Cette volonté s’est exprimée lors de la quatrième session de la Commission mixte russo-marocaine qui s’est tenue en mai 2024.

Les relations UE-Maroc sont donc actuellement dans une impasse dont la Commission européenne doit sortir, en conciliant intérêts économiques et stratégiques et respect du peuple sahraoui. Le Sahara occidental représente des enjeux géopolitiques importants puisqu’il s’agit du dernier territoire africain dont le statut postcolonial n’est pas réglé. La région est divisée en deux : 80% est contrôlé par le Maroc à l’ouest et moins de 20% par les indépendantistes du Front Polisario à l’est. Les deux accords annulés par la CJUE avaient été signé sans l’accord du peuple sahraoui, qui avait simplement été consulté.

La couverture du numéro 26 « L’Odysée des voix levées »
©Jeu de l’Oie

Cet article a été écrit en collaboration avec le Jeu de l’Oie. Le Jeu de l’Oie est une revue semestrielle d’actualité internationale fondée en 2009 par des étudiants de Sciences Po Lille. Chaque numéro s’organise autour de trois grands dossiers thématiques auxquels peuvent contribuer tous les étudiants désireux d’éclairer le lecteur sur un sujet choisi. Le numéro 26, « L’Odyssée des voix levées », s’articule autour des thèmes suivants : « Inconnu », « Contester », « Méditerranée » et le présent article y est disponible. Suivez les aventures et les nouvelles couvées du Jeu de l’Oie sur Instagram (@jeu_2_loie) et sur son site internet (www.lejeu2loie.fr)

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